Fyctia
11) Oh, la cagole !
— Me revoilà mon raton. Comment s’est passé ta journée ? Bien ?!
Dans le placard du vestibule, je me délaisse de mon trench coat beige qui m’arrive facilement aux pieds.
— Tu sais, cela n’a pas été facile aujourd’hui...
Je trimballe ma peine parmi l’entrée, exhalant un chuchotis souffreteux.
— L’autre zigoto que j’ai amené de mon ami Bernardt s’est débattu comme un beau diable. Il lui a fallu au moins pour le maîtriser et le piquer avec un tranquillisant.
Je me dirige vers le frigo de la cuisine.
— Oui, cela n'a pas été facile. J'ai eu quand même eu de la tristesse pour ce pauvre clampin. On aurait dit qu’il avait peur des hôpitaux. Oui... J'ai besoin d’un remontant et vit...
Je sens un truc mou et qui s’étale sous mon pied. De suite, je me statufie.
Je vois la traînée maronnâtre qu’on a essayé d'effacer.
— Mon raton ! Qu’est-ce que t’as fait ?!!
Je le dévisage. Il me dévisage. Nous dévisageons.
Trêve de conjugaison, il est l’heure de la punition.
Oui, il la mériterait vraiment mais son regard de chien battu me fait fondre.
Je ne peux décidément pas lui en vouloir. Il avait trop envie de se soulager et avait honte de ce qu’il avait fait. Donc, il a caché.
*** ***
Je suis devant la barre grise. Celle de l’AtlanticCare Regional Medical Center du Campus Universitaire de Mainland. Avec son enseigne bleue et rouge, et sa stature froide, on dirait un Big Market qui n’aurait pas été fini.
Ah l’Albanie ! Que de mélancolie ! Son drapeau, ses châteaux... Enfin, tout ça.
Je ne me souviens plus exactement. Il faut dire que je n’y suis allé qu’une fois quand j’avais trois ans.
Les portes vitrées glissent pour me laisser une place de roi et j’entre.
Je dis bonjour à la femme à l’accueil. Aucune réponse.
— ... Tu me sauves la vie, Ashley. Mon étoile de Sapin était en berne. Et ma boule fétiche, tu sais, la bleue et argentée, je l’ai cassée ...
C’est à moi qu’elle casse les boules. Elle rumine bruyamment son chewing-gum, se manucure ses ongles et parle en même temps au téléphone.
Ouah ! C'est un trésor de coordination qu’elle déploie celle-là. Il manquerait plus qu’elle fasse des claquettes.
Et le plus pire, c'est que je sais qu’elle m’a vu. Je ne suis pas devenu l’homme invisible en un clignement d’œil. Sinon, j’aurais pu me mettre tout nu. À l’aise Blaise.
— ... Oh, je te dis ! Que de préparations on fait pour Noël !! D’abord, les cadeaux pour les nenfants, puis les petits nenfants ...
Suis-je tombé dans une faille temporelle ? J’ai devant moi un revenant des années soixante dix. Elle a tout l’allure d’une pine plus down que up vu sa bigoudine grossière qui tombe à moitié. Avec ses tatouages en décalcomanie, elle devrait s’acheter un style. Ce serait son cadeau.
En attendant, elle me snobe royalement. Je lui fais un petit grognement de gorge dont j’ai le secret et rate mon effet. Cela a plutôt l'air d’un pirate qui a envie de dégueuler après une cuite qu’autre chose.
— ... Tu sais. Pour une bonne cuisson de ce plat, le secret, c’est de bien arroser la dinde sinon elle est toute sèche ...
Je n’en dirais pas tant. C’est tout à fait elle. Toujours l’attitude de pimbêche. Elle lance une oeillade inquisitrice et pince les lèvres.
Bon ! Je n’ai plus qu’un moyen. La méthode familiale des Hedgson.
BOUM !!
J’ai balancé un grand coup de pied dans le comptoir marqueté de merisier et d’aluminium. Je secoue ainsi l’espèce de décoration de verre et la groupie du branliste. Elle raccroche prestement et se reprend vite dans un air professionnel qui lui va siii biiien.
— Oui, que puis-je pour vous ?
Elle le prononce d’un ton digne d’une soprano nasillarde.
— J’aimerais visiter quelqu’un.... Euh, rendre visite à quelqu'un.
Je rougis. Il y a un monde entre visiter quelqu’un et rendre visite à quelqu'un.
— Vous ne pouvez pas ! Les heures pour visiter les patients sont bientôt terminées.
— Cependant, je ne suis pas en dehors des clous. Je peux encore entrer dans sa chambre et prendre des nouvelles de lui.
Sa moue est vraiment contrariée. Pour moi, sa face, c’est digne d’une tragédie grecque. Elle n’avait pas prise en compte l’éventualité que je la contredise.
— C’est que...
Que quoi ? Queue de raton laveur.
J’attends un miracle de cette standardiste du dimanche. Il ne viendra pas. Je ne dois mon salut qu’à un médecin qui passe par là. Mais c’est le doc à la serpillière toute raide ! Coup de chance !
— Môsieur, Môsieur ! Vous vous souvenez de moi ?!
J’ai l’impression que si, vu sa face de molosse et ses crocs sortis à peine la parole échangée. Va-t-il me sauter au cou ?
— Oui. Qu’est-ce que vous me voulez ?!!
Pas de bonjour. Sympathique, le bonhomme. On en rencontre tous les jours des comme ça. C’est comme s’il m’aboyait après.
— Je venais juste voir l’état du jeune homme que je vous ai amené.
Encore le même air de tragédie grecque. Décidément, ils ont lu toute la panoplie de la pléiade ou quoi ?!
— C’est que...
Que quoi ? Queue de mon cher ragondin.
— Le malade a besoin de repos.
— Mais il est en état de recevoir de la visite.
Il est visiblement agacé. Ses babines sont retroussées sur sa vieille face de pomme fripée et ses yeux bleu glacial.
— Les visites sont bientôt fi...
— Rassurez-vous ! Je n’en aurais pas pour longtemps ...
Même si j’égalerais jamais mon raton d’amour, je lui lance une mine triste qui aurait apitoyer des dieux.
Et il craque.
— Bon, d’accord ! Venez !!
Enfin, je vais voir le loustic que j’ai sauvé. Car je l’avais décidé quand je me suis dit :
Pourquoi ne pas lui rendre visite ? Il ne peut pas être si terrible que ça. Le milieu hospitalier avait dû le stresser plus que sa raison.
Enfin, c’était ce que je croyais avant de le rencontrer de nouveau.
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15 commentaires
Krissa Danos
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Il y a 8 jours
loup pourpre
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Il y a 8 jours
Gottesmann Pascal
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Il y a 14 jours
loup pourpre
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Il y a 14 jours