Fyctia
Faux calculs
Comment prend-on la mesure de sa vie ? En heures, en succès, en moments de bonheur ?
Depuis l'annonce de ma maladie, l'échelle de la mienne varie étrangement. Au départ, je calculais le temps entre mes rendez-vous, ma chimio et son nombre croissant d'effets secondaires. Puis, j'ai changé mes repères. J'ai abandonné ma montre, mon agenda pour un mètre ruban. À vrai dire, le terme centimètre ou même millimètre semble plus juste.
Certains regardent pousser les fleurs, moi j'observe mes cheveux pointer sur mon crâne dépouillé.
Lorsque le médecin à la blouse d'un blanc aussi immaculé que le paradis m'a annoncé ma sentence, je me suis tout de suite réfugiée sous une armure d'humour. Mais, faire comprendre ce mal à ma famille en lançant une devinette n'était pas l'idée du siècle.
— Vous connaissez le comble pour une statisticienne comme moi ? leur avais-je demandé ?
Mes larmes en roue libre sur mes joues annonçaient déjà un flop évident. Sans surprise, mon public sidéré était resté muet, mais coûte que coûte, j'avais décidé de finir la représentation de ce simulacre.
— Vous donnez votre langue au chat ? Et bien, c'est de faire partie des mauvaises probabilités. Et pas des moindres avec mes 25 % de chances d'avoir un cancer du sein avant mes 40 ans.
La violence du sens de mes mots et de ma maladresse avait déclenché une gifle visuelle de la part de mes proches, suivie d'un effondrement émotionnel intense. Le soir même, ma mère m'avait bordée comme une enfant et ajusté ma couverture, véritable patchwork de culpabilité, d'incompréhension et d'épuisement.
De cette expérience mal avisée, j'ai gardé cette approche des chiffres, car elle me donnait l'impression d'avoir encore un semblant de contrôle sur mon existence.
Mais maintenant, leur valeur n'est plus !
Assise dans un coin de la pièce, j'observe mes jambes trembler de peur ou d'impatience. Je veux fuir, loin de ses femmes parlant de leur sein, celui qui n'est plus. Ce membre fantôme qui hante mes nuits et mes jours. Certaines le font sans tabous, parfois sans pudeur. Mais moi, je suis incapable d'arracher le pansement collé sur ma peau et celui qui tente de colmater mes maux.
L'opération et la radiothérapie ont accaparé mon esprit et mon énergie, mais depuis quelques jours, je prends en pleine face mon corps mutilé, abandonné par ma féminité. Trop tôt.
Consciemment, je coupe les ponts avec ma carcasse, elle n'est pas moi !
Subitement, ma lucidité si cruelle ampute ma respiration.
— Je n'ai que 25 ans, soufflé-je en réalisant que mes mots sont audibles.
Mon mal-être et le silence qui suit envahissent l'espace. Personne ne me juge. Pourtant, ils le pourraient. L'âge est-il un facteur d'exception ? Les regards bienveillants me caressent. Honteuse, je me tapis un peu plus dans mon recoin.
À présent, je pense à ma mère. Je lui en veux de m'avoir suggéré ce groupe de paroles. L'idée a sonné dans un premier temps comme une communication alternative. En effet, mes amies n'osent plus parler des choses joyeuses devant moi, comme si mon cancer m'avait également ôté le droit de rire aux facéties de la vie. Quant à ma famille, elle m'étouffe d'amour, de conseils, d'attentions.
Je me sens incomprise. Égoïste.
Mes forces maintenant en infériorité devant mes émotions indomptées, font sauter tous mes calculs pour tenir le cap ! Quelle est l'inconnue de mon équation ? Le courage ? L'acceptation ?
Je fixe la série de photos accrochée au mur. La métaphore est claire ! Un cliché de l'orage qui approche, celui de l'éclair qui vous paralyse et vous charge en énergie pour mener le combat et pour finir cette mer d'huile, reflet du retour à une vie paisible.
Pourtant, une image manque. Le bateau échoué sur la côte. Pourra-t-il être restauré ?
L'angoisse comprime ma cage thoracique et j'aspire à trouver une échappatoire. Une femme s'approche lentement pour ne pas me brusquer. Je prie pour qu'elle ne tente pas de libérer mes paroles. Elle s'accroupit devant moi et me chuchote quelques mots avec sa voix douce et son regard rassurant.
— Tu as le droit de partir, tu sais ? La première fois, je suis restée seulement dix minutes, j'avais l'impression d'être figée sur place, alors que les autres avaient retrouvé l'appétit de la vie. Lorsque tu seras prête, tu reviendras pour poser tes questions ou partager tes réponses.
Tandis qu'elle m'aide à me lever et m'accompagne vers la porte, mes yeux humides de peine et de gratitude fixent cette brune aux cheveux mi-longs. Dans une quinzaine de centimètres, je retrouverai peut-être confiance en moi et un certain altruisme.
Une dernière fois, sa main serre mes doigts, passage du témoin d'une liberté sûrement immanquable.
8 commentaires
danielle35
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Il y a 4 ans
Ashley Moon
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Il y a 4 ans
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Il y a 4 ans
Sonyawriter
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Il y a 4 ans
Senefiance
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Roxy427
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Il y a 4 ans
Senefiance
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Il y a 4 ans
Roxy427
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Il y a 4 ans