Fyctia
Volume en racines
Une fois à l’extérieur, je prends une bouffée d’air peu salvatrice. Je m’installe sur un banc impersonnel devant l’hôpital, une assise nécessaire pour se délester du poids cumulé dans ces couloirs, à l’odeur si particulière.
Les gens passent devant moi, leurs pas résonnent sur le trottoir. Les ombres avancent, le vide reste. Je cherche un point d’ancrage auquel me raccrocher, pourtant ce sont des bulles de savon, légères et aériennes qui captent mon attention.
Je m’attends à voir débouler une fillette en train de tremper et retremper le cercle fixé au bout du bouchon dans le produit magique. Cependant, je ne repère qu’une femme septuagénaire dans un fauteuil roulant, poussée par un jeune infirmier. Avec une grande insouciance, elle éclate quelques minces films d’eau et laisse voyager les autres.
— Voilà la ballade est terminée Maryse, s’exclame le soignant.
Le beau brun se place à côté d’elle et lui propose son bras. La femme au regard plein de malice se lève presque aussi alerte qu’une gazelle. Je suis intriguée par ce manège et reste focalisée sur ce visage et ces expressions qui me rappellent une certaine poupette, la super mamie du film « la boum ». Ma mère ne manque jamais cette rediffusion culte des années 80.
— Votre petit-fils vient vous chercher ? lui demande-t-il.
— Il ne va pas tarder ! En attendant, je vais tenir compagnie à cette demoiselle, répond-elle en m’adressant un grand sourire.
— Très bien, n’oubliez pas votre rendez-vous de la semaine prochaine !
— Comment pourrai-je rater un rencard avec vous, lance-t-elle en battant des cils.
Le garçon éclate de rire et s’éloigne. Elle s’installe au bout du banc, ajuste sa veste à paillettes et passe sa main dans sa chevelure courte et bouclée. Après tout, ma chasse aux centimètres n’est peut-être pas nécessaire ! Gagner en volume pour aborder les choses avec plus de légèreté est une combinaison possible !
— Cancer du sein ! annonce ma voisine.
— Pardon ?
— Vous avez un cancer du sein, répète-t-elle. Je ne me trompe pas ?
Je suis déstabilisée par sa question, mais surtout par son aplomb. Ses pupilles fouillent dans mes yeux et ma tête, à la recherche d’une réponse ou d’une réaction.
— C’est la réalité jeune fille, en parler est naturel !
— Comment avez-vous...
— Deviner ? Facile ! Vous n’êtes pas maquillée, donc je soupçonne un abandon de votre féminité et vous portez une grosse écharpe pour vous cacher, malgré les températures très douces. À force d’arpenter les méandres de cet établissement, je suis devenue une vraie professionnelle du profilage médical, dit-elle en riant.
Son vocabulaire soutenu associé à une pointe d’humour révèle une personnalité à la fois sage et décalée. C’est perturbant, mais j’aime la lumière qui se dégage d’elle !
— Et vous ? chuchotai-je par peur de fêler le voile d’un secret.
— D’après vous ? Essayez, chercher les indices ! Jouer !
Son audace brise mon armure. Maryse est à mes côtés, mais dans un autre monde, le sien. Un monde où la vie respire ! Quelques mots suffisent à me faire basculer et glisser auprès d’elle.
— Je me lance ! dis-je. Le teint terne, votre main sur l’abdomen et le fond de l’œil jaune, je penche pour un problème de foie.
— Gagné ! Allez on passe à autre chose, je laisse tous ces termes négatifs dans le cabinet du médecin. Moi, je cueille le jour !
— tout à l’air si simple avec vous !
— Comment vous appelez-vous ?
— Lola.
— Et bien Lola, il n’y a rien de plus facile. Tenez, soufflez, m’ordonna-t-elle en me collant son tube à bulles entre les doigts.
La maladie peut tuer, mais pas le ridicule. Pourtant, j’hésite encore à me donner en spectacle. Devant mon manque d’action, Maryse commence à chantonner.
— "I shake it off, I shake it off"
— C’est Taylor Swift !
— Bien oui, mon bel âge ne m’empêche pas d’être branchée ! Alors comme elle le dit dans sa chanson vous allez vous en foutre et ignorer le regard des autres !
— Pourquoi faire ça ? C’est un jeu d’enfants !
— Un jour, ma petite fille de cinq ans m’a offert ce flacon et m’a fait promettre de souffler pour éloigner les microbes de mon corps et les transformer en jolies choses.
Au-delà de ce serment, j’ai l’impression d’extraire un peu le mal, de le voir plus vulnérable, de pouvoir le détruire du bout des doigts. Et puis, Lola, avouez que c’est simplement beau !
Comment un échange avec une inconnue, sur un banc peut-il devenir un coup de foudre amical ? Car, c’est certain, j’aime déjà cette sacrée bonne femme !
J’inspire en pleine conscience, remerciant la beauté du hasard et souffle au milieu du cercle. Ces petits bonheurs prennent la forme de sphères, à la surface chatoyante.
Une légère sonnerie me sort de ma contemplation. Maryse lit le message un peu contrariée.
— Mince, râle-t-elle, mon petit-fils est coincé dans les embouteillages, je vais avoir du retard pour la couleur.
— Je peux vous accompagner si vous le souhaitez.
— vraiment ? C'est gentil !
— Avec grand plaisir, ajouté- je, je passe réellement un bon moment avec vous ! Où se trouve votre coiffeur ?
— Qui vous a parlé de coiffeur ? Tu as des affaires de rechanges ?
— J’ai du mal à vous suivre ! dis-je.
— Vous avez déjà été à une « color party » ?
Notre conversation est surréaliste ! Mais, j’ai une envie folle de passer plus de temps avec ce personnage. La courbe de cette relation fait osciller mes émotions. Les bonnes. Les positives chargées d’un renouveau.
8 commentaires
danielle35
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Il y a 4 ans
Ashley Moon
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Il y a 4 ans