Fyctia
Pourquoi doit-on courir ?
Alia
Cette folle course a raison de mon taux d'alcoolémie élevé.
Je me sens dégrisée en quelques secondes.
Peut-être est-ce dû à l'air glacial qui me fouette le visage, alors que je tente de battre mon record personnel de course à talons.
C'est ironique bien sûr.
Le sport est mon ennemi mortel depuis mes six ans.
Courir. Très peu pour moi.
Damian a tenté de me convertir pendant des mois, avant de comprendre que sur ce point, nous n'étions pas du tout sur la même longueur d'onde.
Avec son métier, il a besoin de faire du sport. Course, musculation et yoga, mon ami s'entraine tous les jours.
De mon côté, je peux le regarder s'il veut, mais jamais je ne participerai pas à la torture qu'il s'inflige volontairement.
Je suis plutôt la fille qui mange des chips en le regardant faire.
Je suis le soutien moral de mon ami, pas sa partenaire de sport.
En cours d'EPS, je manquais toujours de m'évanouir avant même d'avoir fait un tour de stade.
Comprenez mon dégout.
Alors courir aujourd'hui comme une dératée à travers un aéroport où se côtoie de nombreux jets privés appartenant à de grandes fortunes, avec des talons de 8 cms, après avoir pris une cuite dont je n'ai absolument aucun souvenir et une haleine qui me donne le super pouvoir de tuer des zombies juste en leur soufflant dessus, c'est mission impossible. Pourtant, mes jambes font de grandes foulées contre mon gré.
Une professionnelle jusqu'au bout des talons.
Avec mes mains, je palpe mes côtes à la recherche des douleurs que je ressens.
L'écho des vagues d'alcool dans mon estomac résonne sur le tarmac et les sushis tentent de remonter, au lieu de rester gentiment imbibés dans la mer d'alcool.
Pourquoi l'univers s'est-il ligué contre moi aujourd'hui ?
Le souffle court, les poumons vides étant donné que l'air ne passe plus dans ces derniers, je suis au bout de ma vie et mince, je suis trop jeune pour être essoufflée en vrai.
Que la vie est dure !
Mes talons claquent le bitume et mes pieds souffrent à chaque pas.
Le cuir des mes chaussures entaille ma chair et je sens le sang coulé.
Peut-on mourir en se vidant de son sang par les pieds ?
Je n'ai pas envie de savoir répondre à cette question.
Est-ce que j'avais déjà senti mes doigts de pied avant aujourd'hui ?
Je ne crois pas.
Quoique que je ne me sois jamais posée cette question avant.
Pourtant là en cet instant, ils me rappellent douloureusement qu'ils font partie de moi et outch quoi !
Dans quel état je vais remonter dans l'avion ?
Il ne faudrait pas que le client soit déjà là, parce que j'ai peur qu'il me voit dans un état déplorable.
Le copilote tente de me parler pendant qu'on court.
Mais qui fait ça?
Avec le peu d'oxygène qui alimente mon cerveau, je ne comprends toujours pas pourquoi mon corps ne git pas encore au sol.
Est-ce que je suis professionnelle à ce point ?
Non. L'alcool doit m'aider.
Les mojitos ont dû me donner le pouvoir de courir.
Pas vite.
Pas sans souffrir.
Mais je cours.
Est-ce que je peux répondre à l'homme qui s'adresse à moi ?
Non, faut pas déconner.
Je n'ai même pas compris ce qu'il a essayé de me dire, alors il ne faut trop en demander.
Je déteste cette compagnie qui était encore la mienne il y encore quelques semaines.
Menacée d'être virée si je n'acceptais pas cette proposition de remplacement par la ma nouvelle compagnie, c'est la mort dans l'âme que je suis revenue.
Ce qui explique ma consommation d'alcool la veille du vol.
******
Quinze minutes aller-retour pour récupérer ces foutus plateaux repas que mes anciennes collègues ont oublié d'aller chercher.
Quinze minutes de ma vie que je ne récupérais jamais.
Quand je monterai dans l'appareil, elles auront le droit à un regard noir de ma part et pas que....
A bout de souffle, ma main droite sur la rambarde de l'escalier d'embarquement, je suis pliée en deux et tente de récupérer l'air qui m'a abandonné dès le début de notre course folle.
Le copilote m'attend en haut des marches, frais comme un gardon. Un sourire radieux plaqué sur son fichu visage.
Je déteste les gens qui semblent parfait.
J'aplatis les plis de mes vêtements, tente de toucher mes cheveux pour voir si des cheveux se sont échappés de mon chignon et souffle comme une vache quand je me redresse, ce qui me vaut un regard noir de la part du pilote qui apparaît à côté de son second.
Ce vol va être long.
Très long.
Les marches défilent sous mes pas et enfin, je rentre dans l'appareil derrière le pilote et mon partenaire de course.
La voix que j'entends me paralyse une seconde, puis me fait sourire.
Ce n'est pas possible.
Quand mes yeux se posent sur les clients qui ont déjà embarqués, je ne vois que lui.
Charlie se tient devant moi.
Ses yeux me détaillent et je m'en veux instantanément d'avoir bu autant.
Mon ex est vêtu d'un chino noir, d'un pull gris qui sublime sa carrure athlétique. Mes yeux n'en perdent pas une miette.
Charlie me sourit, alors que Julien engueule toujours mes collègues, ce qui me faire sourire.
Il est flippant quand il est en colère.
Quand Julien m'aperçoit enfin, il baisse instantanément le doigt qu'il avait en l'air et me sourit tendrement.
Comme à la belle époque.
Mes collègues quant à elles me jettent des regards noirs.
Ce ne seront pas les derniers, je pense.
Quand mon regard se pose de nouveau sur les deux frères, mon cerveau assimile enfin que ce sont nos clients et que me retrouver face à mon passé va me demander beaucoup d'effort.
Ce vol va être long.
Ayez pitié de moi.
1 commentaire
loup pourpre
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Il y a 17 jours