Fyctia

Je me tourne et retourne mille fois sous ma couette, perdant tout sommeil, cherchant une idée pour convaincre Quentin de me suivre dans cette aventure.

Lui promettre un salaire dans six mois ! Et en attendant, il bouffe comment ?

Le gaver de pâtisseries ? Le pauvre, il va grossir.

Monter un dossier pour un financement participatif… Le souci reste le même.

Je n’ai pas de liquidité. Je peux bien vendre un ou deux trucs sur les réseaux… ça lui paiera un plein ou deux, jamais son loyer, ses sorties ou sa mutuelle. Et vu la tête du costard, il ne doit pas avoir le même train de vie que moi.

On agrandit la coloc ? Je lui propose ma chambre, je prends le salon et… là, ce n’est pas une personne que je vais devoir convaincre, mais deux ! Et peut-être trois avec le proprio !

Je me relève, énervée contre moi de ne pas réussir à mettre les bonnes idées dans les bonnes cases et à rester bloquée sur l’argent ! Moteur de tout. Sans lui, on ne fait rien ! Il n’apporte pas le bonheur, disait l’autre, mais il y contribue vachement.

Je croise Flo dans le couloir. Apparemment, elle vient de rentrer et titube. La soirée a dû être arrosée. Après le départ de Quentin, Pierre nous a proposé à toutes les deux de l’accompagner d’abord manger des sushis puis finir dans une boîte, mais n’ayant déjà pas deux sous pour remplir le frigo, je n’allais pas me mettre un crédit sur le dos pour trémousser mes hanches. Ça, je peux le faire gratos à la maison.

Un crédit ? C’est ça la solution, non ? Mais il me faut des garanties et ça… j’en ai plus. Et vu le rouge de mon compte en banque, j’ose même pas imaginer appeler mon conseiller. Il va exploser de rire, si je lui confie mon idée. C’est pas au McDo qu’il va m’envoyer bosser lui, mais dans l’arrière-cour d’une ferme pour trier la nourriture des cochons. Et comme tout le monde sait que les cochons mangent tout…

Bref, je n’ai pas d’avenir.

Flo me colle une bise, me sourit, et chuchote qu’elle a vu un mignon dans la rue, mais que son cousin ne l’a pas laissé l’approcher.

Brave Pierre. Merci.

Si elle avait ramené un gus ce soir, je n’aurais pas fermé l’œil de la nuit. Elle me le décrit toujours à mi-voix comme si quelqu’un dormait, et cela me fait rire. Elle croit que je me moque d’elle et tique.

— Qu’est-ce tu fous encor’d’bout, toi !

— Insomnie. J’ai rien à proposer à Quentin et ça m’agace.

— ‘Videmment qu’t’as un truc à proposer.

J’écarquille les yeux, soudain tout ouïe et très attentive aux paroles que mon amie tente de formuler. Elle baragouine un mot que je pige pas et la fais répéter.

— Toi, pardi !

— Hein ? Tu me suggères de faire la pute ?

— Tout d’suite les grands mots ! En attendant d’avoir du liquide, tu lui pompes le sien.

Elle s’esclaffe de son jeu de mots, puis essaie de retrouver son sérieux devant ma mine contrite, mais c’est pas gagné. Elle est sacrément bourrée.

— Tu dis que des conneries, on en reparlera demain. Bonne nuit, dis-je froidement en m’enfermant dans la salle de bain.

Mon petit pipi fait, je retourne rejoindre Morphée qui a décidé de déserter ma chambre. Je me place sur le dos… les yeux figés sur le plafond, me tourne sur le ventre et soupire fortement dans mon oreiller… côté gauche, toujours pas sommeil. Côté droit… Il est mignon Quentin.

Je secoue la tête et me sermonne. Mignon, OK et alors ? Les mots de Flo résonnent… liquide… pomper… N’importe quoi. Je trouverai une solution demain.

Dors ! me grondé-je. Plus vite je ferai dodo et plus vite…

Tu pourras le retrouver dans tes rêves, me taquine ma conscience coquine. Avoue qu’il a un beau sourire et un joli cul.

Oui, c’est un peu ma faiblesse… je regarde les fesses des mecs. Ça n’a jamais été un critère de refus si elles ne me plaisent pas, mais j’y suis sensible… surtout pour fantasmer sur leur corps. Rien de tel qu’une paire de globes bien rebondie, un dos bien carré, musclé, des avant-bras costauds… et des épaules… une nuque…

Mes yeux papillonnent, je me sens partir dans un monde plus doux lorsqu’un boum me surprend. Je sursaute, me redresse au milieu du lit et le visage de Flo apparait dans l’encadrement de la chambre.

— J’t’ réveille ?

— Apollon m’attendait… mais tant pis. Entre. Qu’est-ce qui se passe ?

— Apollon ? répète-t-elle en observant chaque recoin de la pièce.

— Mon fantasme sur patte imaginaire.

— Je peux venir papoter… j’ai pas sommeil.

— On est deux, dis-je en tapotant le dessus de mon lit et lui offrant un oreiller.

Comme une gamine, elle saute à genoux sur le matelas, un sourire éclairant son visage.

— Tu le trouves comment ?

Euh… papoter oui, mais discuter de mecs, euh, bof. Je suis un peu en manque de câlins, c’est pas en évoquant ce genre de spécimen dans mon lit que ça va calmer mon imaginaire.

— Alors ? Il est pas mal, non ? En tout cas, toi tu lui plais beaucoup.

— Attends là ! Tu parles de qui ?

— Pierre, mon cousin.

J’éclate de rire.

— Il adore mes pâtisseries, il ne me calcule même pas. Tu délires.

— Moi je te dis qu’il t’aime bien. Si vous sortiez ensemble, tu deviendrais ma belle-cousine. Ça serait cool, non ?

Vu le temps que durent en principe mes histoires de cœur ou de cul… non, ça serait pas du tout une bonne idée. Je préfère et de loin, la garder comme amie et pas mêler la famille à tout ça. Je tente de lui expliquer, m’embarquant dans des souvenirs abracadabrants, cherchant des exemples de conflits que nous ne connaissons pas actuellement, mais qui ne manqueraient pas d’arriver si je m’approchais de Pierre.

Alors que je lui demande pour la troisième fois si elle me comprend, je pige qu’elle a rejoint Morphée sans moi et que moi… ben je n’ai toujours pas sommeil ! Pire… maintenant, je n’ai pas seulement l’image d’Apollon à l’esprit, mais aussi celle de Pierre. Foutue soirée.