Fyctia
07. Jane - Me calmer et l’écou
Les bras ballants je les observe, les cousin-cousine se goinfrer sans prendre garder à ce que je leur ai conseillé. Le citron doit totalement gâcher le goût subtil du fruit de la passion et je me retrouve comme une conne devant tant d’ignorance.
Je sens soudain un souffle près de mon cou et sursaute lorsque Quentin me chuchote :
— Je te promets de les savourer dans l’ordre que tu voudras.
Je fais un léger mouvement de tête lui montrant que je l’ai entendu. Je suis déçue. Déçue de m’être donnée en spectacle à leur arrivée et encore en me chamaillant avec Flo. Je me suis exposée sous mes plus mauvais côtés… maladresse et intransigeance. Mais aussi déçue de cette séance qui ne devait être que dégustation et discussion.
Je décide d’obtempérer et ouvre les armoires, sors une planche en bois, un autre en ardoise, des assiettes noires de différentes grandeurs, d’autres avec des fleurs et j’étale le tout sur le plan de travail et d’un geste las j’invite Quentin à s’en approcher.
Il commence par prendre en photo son assiette encore intacte, puis il se met à déplacer aussi délicatement que possible chaque gourmandise. Il teste plusieurs combinaisons puis me demande si j’ai des poudres de couleur :
— Comme de la cannelle ?
Qu’est-ce qu’il veut foutre avec des épices ? Il acquiesce et sans vraiment chercher une réponse à ma question silencieuse, je dépose près de lui différents flacons ainsi que du sucre glace.
— Tu as de la cassonade, j’imagine. Et du poivre ? Des herbes fraiches ?
— Non, ça j’ai pas. En plein hiver, je n’ai que des herbes sèches. Mais tu veux faire quoi avec du poivre ? m’inquiété-je.
— Tu me fais confiance ?
Franchement, je crois que j’ai pas vraiment le choix, surtout sous le regard affuté de ma coloc. Je hausse les épaules et abandonne tout combat. Je recule même de quelques pas et le laisse tourner partout dans ma cuisine.
Au bout de plusieurs longues minutes, il se retourne et me fixe intensément :
— Alors ? Le tiramisu en premier ? C’est ça.
Je dodeline et ne peux détacher mes yeux de sa main qui saisit une cuillère pour attraper ce dessert ne ressemblant plus vraiment à ce qu’il devrait être. Lorsqu’il porte la gourmandise au mascarpone à sa bouche, je m’attarde sur ses pupilles. Ces dernières révèlent une lueur différente. Il hoche la tête, se pinçant les lèvres, avant de sourire et de me féliciter.
— Ensuite ?
— Le roulé, dis-je avec plus de conviction, mais sans le poi…
Quentin n’a pas attendu que je lui suggère de ne prendre qu’une partie du gâteau, celle qui n’avait subi aucun changement, avec les décors qu’il avait testés.
— L’orangette ?
Il demande, mais je crois qu’en fait, il a tout retenu. C’était peut-être même le seul à être vraiment attentif. Alors qu’il déguste l’éclair au chocolat, Pierre me réclame encore un petit pour lui.
— J’avais l’intention de t’en offrir pour le week-end, mais à cause de ta cous’…
— J’ai rien fait, s’écrie-t-elle. J’ai juste dit qu’il neigeait.
— En décembre ? Rien d’exceptionnel, commente Quentin.
— Merci ! m’exclamé-je à son attention, heureuse de voir que je ne suis pas la seule à trouver son émotion surjouée. Et je tiens à préciser que tu as hurlé comme une damnée. J’ai eu peur… Résultat : la ganache sur le plan de travail et…
— Sur toi, complète Pierre en souriant.
— Nous avons le fin mot de l’histoire sur cet accueil coloré, commente Quentin en s’approchant de moi son appareil à la main et le regard vissé sur son écran.
Il m’invite à prendre place près de nos amis et nous montre mes créations en photos. Il explique les effets de lumières, les ombres qui gâchent telle prise de vue et la mise en avant suivant le fond de l’image. Il a raison. Le même gâteau mis en scène différemment n’apporte pas du tout le même sentiment. Je suis jalouse de ne pas l’avoir vu avant.
Je me prends au jeu et lui fais des suggestions de compositions, de couleurs, sortant des serviettes en tissus pour montrer ce que j’imagine. Il aime certaines de mes propositions, en balance d’autres, mais une complicité se noue doucement.
Soudain, une sonnerie nous surprend. Je relève les yeux sur Flo, je ne reconnais pas ce bruit. Quentin jette un coup d’œil à sa montre et s’excuse. Il attrape son téléphone et répond à son interlocuteur.
Floriane en profite pour me chuchoter :
— Alors ? C’était pas une bonne idée ?
Je ne peux qu’acquiescer. Pas le choix ! Ses photos n’ont rien à voir avec les miennes, c’est clair. Et encore, il ne semble pas avoir pris tout son attirail.
Le regard figé sur les derniers clichés que je déroule en boucle, je n’aperçois pas Quentin remettre sa veste. Il nous remercie pour l’après-midi passé en notre compagnie et me félicite pour mes pâtisseries.
Oui… et ? La suite ?
Il veut bien bosser avec moi ? On a rien conclu, même pas une sorte de budget. Maintenant qu’il m’a montré ce qu’il était capable de faire, je me sens bien nulle à côté et je ne me vois pas me lancer dans cette nouvelle aventure virtuelle toute seule. Créer un compte, OK, ça reste dans mes cordes, mais rendre mes publications amusantes ou gourmandes, apparemment… j’ai pas les codes. Que ce soit sur Facebook, Insta ou encore TikTok.
J’ai un peu peur de poser la question :
— Et donc ? Ça t’intéresse ?
— Tu paies combien ? demande-t-il en reprenant son appareil.
Je déglutis. Merde ! Le salaire. Flo m’avait dit qu’il bossait pour de gros magazines. Jamais je ne pourrai…
— J’ai trop tardé, je ne peux vraiment pas rester. Mais, on garde contact, ciao, dit-il sur le pas de porte.
— Quentin, dis-je en lui courant après dans le couloir de l’immeuble. J’ai… besoin de savoir.
L’ascenseur monte, il sera là d’un instant à l’autre. Le photographe se retourne et me sourit en me tendant sa carte de visite :
— Tu m’appelles demain avec une proposition, OK ? Un truc qui tient la route, mais que tu peux garantir, sans fausses promesses. Et j’aviserai, m’annonce-t-il en ouvrant la porte de la cabine.
C’est ni un oui ni un non ça ! C’est à peine un peut-être. Et je ne peux décemment pas me contenter d’un peut-être !
4 commentaires
P. Castang
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Il y a 10 jours
MélineDarsck
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Il y a 10 jours