Fyctia

Une fois dans la rame, malgré les heurts et les embardées du train qui m’agacent de plus en plus, je commence à comprendre que si je n’ai rien reçu hier, c’est parce que je n’ai rien envoyé aujourd’hui. Ou plutôt parce que mon moi de demain n’avait rien envoyé hier, enfin aujourd’hui. Ça paraît compliqué mais, si on prend le temps d’y penser et de faire un schéma, ça finit par se comprendre plus ou moins. Et quand ce genre de chose vous concerne personnellement, je peux vous garantir que, habitués ou pas des énigmes temporelles, vous finissez par vous y mettre et par saisir quelques aspects de la question !

Encore dix minutes avant la maison, le canapé et la déconnection des neurones. J’en profite pour épuiser le sujet. Bon, en tout cas le truc fonctionne toujours : c’est juste qu’un soir je n’ai pas réussi à m’envoyer de message, c’est tout. Enfin si, j’avais envoyé un message (« rien pour aujourd’hui »), mais ça n'a pas marché. C’était sûrement trop tard. J’ai dû laisser passer la fenêtre de tir. Il faut que je pense à bien retenir le créneau horaire, qui doit donc correspondre, en fait, à l’heure à laquelle s’est produit le bug initial : entre dix-sept heures cinquante-sept et dix-huit heures sept, ce qui semble logique. La réparation des programmeurs, par un mystère inexplicable, a produit un script informatique qui renvoie au jour d’avant les SMS envoyés le jour même dans ce créneau. Cela paraît aberrant mais ça marche !

De toute manière, les messages que je reçois (et ceux que j’envoie sans les recevoir en retour), en sont la preuve incontestable.

Encore cinq minutes avant d’arriver. Et pour la petite blonde ? Comment faire ? Mon moi de demain a dû aller plus vite que moi avec elle. Une version future de moi a dû comprendre cette histoire d’Italie et de religieuses là où, moi, je n’avais rien capté, et cette version a obtenu le numéro de téléphone de Blondine.

Ce doit être une version différente, meilleure… C’est difficile à concevoir car en fait c’est toujours moi au fond. Pourquoi comprendrais-je un truc différemment dans une même situation donnée ?

Mais j’avais lu quelque chose sur les mondes parallèles, une espèce d’article scientifique (je crois bien que c’était dans une revue scientifique), qui disait, en gros, que chaque microdécision que nous prenons crée une infinité de mondes possibles et existants en même temps que le nôtre : l’univers est rempli de potentialités inexprimées à nos yeux, disait l’article. Bref. Cette version de moi-même donc, cette potentialité dirons-nous, a, par rapport à moi, une qualité supplémentaire : elle partage avec moi le fruit de ses victoires. Une forme d’altruisme. Bien.

Revenons au contenu du message. Apparemment, je dois utiliser le numéro de miss Blonde demain. Je dis « demain » car la version supérieure de moi-même a eu la présence d’esprit d’ajouter la date du sept janvier, soit demain, pour que cela ne soit pas trop confus pour moi : imaginons un instant qu’elle ait écrit : « demain », allez savoir quand sera ce « demain » ? Le lendemain du jour de l’envoi du SMS (soit après-demain) ou le lendemain du jour où je le reçois (c'est-à-dire demain) ou bien encore le lendemain du jour où je le renvoie à mon moi du passé (aujourd’hui donc) ?

Bref. Quoi qu’il en soit, elle ne me dit pas comment faire. Il va donc falloir que j’y réfléchisse…

Comment avoir un rendez-vous avec Blondine ?

L’appeler ? Non, elle se demanderait comment j’ai eu son numéro… Et puis j’aurais trop peur qu’elle soit sourde à ma voix, aux mots à double-sens que je ne manquerais pas d’utiliser : je me connais, je suis trop lâche pour lui dire directement que je l’aime bien. Peut-être qu’elle trouverait ma démarche trop indiscrète, mon message bien trop personnel pour se jouer au téléphone ? Je lui dirai que j’ai de la peine, non : ce doit-être elle le sujet de ma phrase. Je lui dirai qu’elle me manque, voilà. J’ajouterai que j’ai du mal à trouver où toutes ces voies me mènent, que je pense à elle…

Et toi, tu penses à moi ?