Fyctia
Mercredi 05 janvier (3)
— Oui, Serge ? Non on n’a pas encore de retours sur le nouvel outil de diagnostic, adapté aux conseillers commerciaux. D’autres questions ?
Je regarde mes pieds pour ne pas croiser le regard de TNT : pas envie de parler cet après-midi. Il tombe sur Nicole, qui n’avait pas de questions mais qui, titillée par le regard charmeur de TNT, se croit obligée d’imaginer une question, même si c’est un peu stupide.
— Ah, il faudrait demander à vos sups’ mais je ne pense pas que ça poserait problème… Oui, je pourrais vous faire visiter l’étage Mercure, le plateau technique je veux dire, pas de soucis. Autre chose ?
Je regarde mes collègues. D’un côté, je n’ai pas vraiment envie de repartir en prise d’appels mais, d’un autre côté, si c’est pour ne rien se dire, autant y retourner. Mais TNT a le don de se rendre sympathique auprès de tout le monde, alors, après quelques caresses dans le sens du poil, Michel se lance et Terry lui répond :
— Oui Michel, il y a bien un incident en ce moment sur le répartiteur NRL2020. C’est la 10.000 BTU qui a claqué. Je veux dire c’est la clim. Du coup, les équipements surchauffent et s’éteignent par sécurité. Mais les techs de terrain sont sur place. Dans trois heures c’est réparé. Je ne sais pas pourquoi vous n’avez pas ces infos ? Vous lisez un peu la page intranet que je mets à jour tout le temps ? Non ? Il faudrait. Autre question ?
Mince, il regarde vers moi. Je baisse la tête, comme pour me mettre à l’abri de son regard, non, je n’ai pas de questions, même pas par hasard, et je n’ai pas envie de parler, même pas pour un empire… Il regarde ailleurs mais revient vers moi. Non, sans façon merci ! Ah, il maintient son regard… J’essaie de me fondre dans le décor comme un caméléon, mais ça ne marche pas. Zut, il insiste et menace mes résolutions : « Et toi ? » me lance-t-il gaiement. Je cherche une question du coup… puisqu’il faut choisir… à mon tour… je n’y couperai pas… Mais je ne peux que bégayer un : « Je… Je… suis… »
Heureusement, Gérard se dévoue avec une question (dont il a sans doute déjà des réponses). Terry répond du tac au tac : « L’affaiblissement du signal ADSL ? Oh, c’est un grand sujet ça ! Bon, je vais prendre cette feuille et ce marqueur noir… Vous voyez, au fond, si je dessine ? »
Oui, on voit.
Cette question bienvenue occupe presque tout le temps restant. Je comprends enfin pourquoi plus on habite loin d’un répartiteur et plus le débit internet proposé par l’opérateur est faible : c’est à cause de la déperdition du signal le long des lignes téléphoniques – lois de la physique obligent – même si le cuivre conduit super bien tout ce qui est électrique.
— Une dernière question peut-être ? Oui ? Le bug des SMS ? Oui, je suis au courant. Mais… oups… on en parle la semaine prochaine si vous voulez bien : je vois que c’est l’heure et qu’on a un peu débordé… Désolé si je vous ai gardé un tout petit peu trop longtemps.
Pour une fois que le sujet m’intéressait, pas de chance…
Retour en prise d’appels. Mounir s’impatiente : il y a un pic d’activité imprévu, vite, vite, allez on se connecte et on y va ! « Assistance Commerciale, bonjour… » Ah, ça ne m’avait pas manqué… C’est parti pour une heure, pour au moins une douzaine de voix réclamant des gestes commerciaux exorbitants, injuriant des responsables invisibles, soufflant contre des délais techniques incompressibles, pestant contre des vendeurs qui racontent n’importe quoi…
Dix-huit heures six, je suis enfin dehors. Je sors un peu tardivement certes, mais deux superviseurs ont commencé à s’engueuler un peu avant dix-huit heures et je ne voulais pas rater ça. Et je savais aussi que j’avais un peu de temps devant moi car j’avais déjà préparé, dans la journée, mon message pour mon moi de hier. Je clique à présent sur « Envoi », et, comme d’habitude désormais, je ne reçois pas ce texto.
J’attends ensuite la réception de celui de demain. Mais il ne se passe rien. Je décide de fumer une autre cigarette et d’attendre. À dix-huit heures vingt, je n’ai toujours rien reçu. Mince. Le truc est cassé ?
*
Métro. Cahots et bousculades. Pourtant le téléphone est bien chargé. Et il capte bien le réseau. Apparemment la chaîne est rompue…
Ou alors j’ai mal fait quelque chose aujourd’hui ? Mais non, puisque que c’est mon moi de demain qui envoie les messages !
Peut-être que je ferai mal quelque chose demain ? Mais quoi ? Ce truc n’a pas été fourni avec le mode d’emploi !
Ou peut-être que j’ai trop tardé à envoyer le message aujourd’hui ?
Ou peut-être que c’est fini ?
Ou peut-être que … ?
Oh j’ai mal à la tête !
Encore quinze minutes de secousses mécaniques, sur une banquette désossée, à réfléchir, à lire et relire tous les messages reçus et envoyés, à méditer, à émettre des hypothèses, à essayer de comprendre le monde qui m’entoure, à cogiter, sous la pâle lueur d’une ampoule fatiguée…
Non, je ne comprends pas.
11 commentaires
Hello Tale
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Il y a un an
Laura-Del
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Il y a un an
Balika08
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Jeanne Carré
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Donà Alys
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Emeline Guezel
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MARY POMME
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Livre_e
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Diane Of Seas
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KBrusop
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Il y a un an