Fyctia
Mardi 04 janvier (4)
Dans la grisaille du wagon branlant, je relis tant bien que mal ce message incompréhensible, à la lueur clignotante d’un néon défectueux. Un pays, des bonnes sœurs, une urgence, non des urgences, pluriel. Un verbe. Le verbe « aimer », à l’impératif… Est-ce un ordre ? Dois-je aimer des religieuses ? Est-ce une prière alors ? Quel rapport avec l’Italie ? Faut-il traduire cela ? J’ai fait espagnol, moi, en seconde langue, à l’école… Et avec un succès très mitigé d’ailleurs : à la sortie du lycée, je ne savais dire que « Si tienes un hondo penar, piensa en mi », et encore… c’est juste parce qu’à la fin de l’année, une copine me l’avait gentiment écrit, avec une jolie encre violette, sur une page vierge de mon agenda.
Encore vingt-cinq minutes avant ma station. Les LED clignotent sur le plan comme l’écran pause d’un jeu vidéo qui me montrerait où j’en suis dans ma progression linéaire : plus que quelques niveaux… Sauf qu’au lieu du boss final, ce serait tout simplement mon chez moi. Personne à affronter. Personne.
Pour penser à autre chose, ou plutôt pour repenser à mon problème, j’attrape le quotidien gratuit qui traîne comme d’habitude sur une banquette déchirée afin de vérifier si une quelconque situation urgente ne menacerait pas des religieuses italiennes, mais je ne vois rien à ce sujet. Il n’y a d’ailleurs aucune information intéressante. Pas de procès de corruption en cours, pas d’attentats, pas de grèves ni de cortèges de manifestants prévus pour les prochains jours et susceptibles de bloquer la libre circulation des personnes et des biens. Les journalistes doivent broyer du noir en ce moment. Ah ! L’un d’eux a quand même trouvé un article anxiogène, ouf ! La grippe reprend des forces cette semaine, voici un rappel des gestes à faire au cas où…
Après encore quelques réflexions tout à fait stériles, je commence à me demander si tout cela a un sens. Quelle drôle de journée… Et, en plus, je n’ai pas réussi à voir la petite blonde aujourd’hui. Je crois l’avoir aperçue dans l’après-midi, vers la cantine, à la pause-café, de loin, mais ce n’est pas sûr. Si je veux avoir une chance avec elle, il va falloir que je m’y mette un peu plus sérieusement. Belle comme elle est, on va sûrement me la prendre : ces centres d’appels sont de véritables clubs de rencontres où tout va très vite, les passions comme les déraisons.
Encore vingt minutes. Bon, essayons – pour une fois – de faire preuve d’un peu de logique. Quels sont les faits ? Tous les soirs, je reçois un message envoyé depuis mon propre numéro de téléphone et systématiquement daté du lendemain. OK. Ça c’est la partie technique, factuelle.
Mais il y a un autre phénomène que je n’ai pas encore analysé : moi-même, tous les soirs, j’envoie un message vers mon propre numéro, et je ne le reçois pas. Qui le reçoit alors ? Peut-être qu’un double de moi-même, une espèce d’alter-ego qui se situerait dans le passé (la veille ?), les reçoit à son tour ?
Poussons le raisonnement encore un peu : que ferait cette personne de ces messages ? Si elle est comme moi – et il y a de grandes chances que ce soit le cas – cette version de moi plus ancienne (ou plutôt plus jeune) de vingt-quatre heures, qu’en ferait-elle de ces messages ? Eh bien, certainement la même chose que ce que j’en fais moi-même : les recopier et les renvoyer, puisque c’est tout ce que j’ai réussi à faire jusqu’à présent.
Cette autre personne écrirait donc à son tour ces mêmes messages et les communiquerait, elle aussi, au même numéro, à savoir le mien. Si on reste dans cette logique-là, ce « moi de hier » transmettrait donc le message à un « moi d’avant-hier ». Et on peut raisonnablement supposer, qu’à son tour, cette version encore plus ancienne de moi-même (ou plutôt encore plus jeune), recevrait et transmettrait à son tour le message. On pourrait aller loin comme ça…
Et – par symétrie – ce serait donc un double de moi-même qui me les enverrait, à moi, depuis le futur (le lendemain ?), les recevant, de son côté, d’une version encore plus éloignée de moi-même dans l’avenir (le surlendemain ?).
Au final, ce ne serait donc pas une boucle mais… une chaîne ?
12 commentaires
MARY POMME
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Il y a un an
Seb Verdier (Hooper)
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Il y a un an
lea.morel
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Il y a un an
Laura-Del
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Balika08
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KBrusop
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Alice Bruneau
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Il y a un an