Fyctia

Les filles gloussent en imaginant les recoins les plus sombres ou les plus secrets de l’immeuble où Nicole et son adonis auraient pu se retrouver, à la faveur d’un rendez-vous donné par SMS. Les mecs se désintéressent de cette information et – en parlant des absents – s’inquiètent du match de ce soir : deux joueurs sont blessés, ça va être compliqué.

De mon côté, je repense à la petite blonde et me demande où elle peut bien être aujourd’hui. J’aimerais bien la recroiser.

Dans l’après-midi, je décide de faire une expérience et je m’envoie un texto pendant que Mounir a le dos tourné. L’exercice est risqué et les appels clients me dérangent constamment, mais j’arrive, au bout de plusieurs minutes d’inquiétudes, à rentrer mon propre numéro et à composer le message suivant : « Envois-moi les numéros du loto ». J’ajoute un smiley, au cas où, tout en décrochant l’appel suivant : « Assistance commerciale, bonjour, que puis-je faire pour vous aider ? » Comme je ne sais pas comment faire pour inclure ces petites images qui font des clins d’œil ou qui sourient ou qui se pâment, s’énervent, transpirent ou que sais-je encore, je recours à l’ancienne méthode : un point-virgule et une parenthèse, voilà, ça ressemble à quelqu’un qui cligne de l’œil en souriant – le signe qu’il y a une blague, un message, quelque chose à comprendre entre les lignes…

Moins de trois secondes plus tard, mon portable (en mode silencieux) m’indique la réception d’un texto. Je vérifie discrètement : je viens de recevoir mon propre message, celui que j’ai envoyé à l’instant. Bon. S’il y a un bug, il ne se produit donc pas tout le temps. « Assistance commerciale, que puis-je faire pour vous aider ? » Par contre, les deux fois où j’ai reçu les SMS « bizarres » c’était en sortant du travail, vers dix-huit heures. Il est donc tout à fait possible que cela ne marche que dans ce créneau horaire ? « Assistance commerciale, que puis-je faire pour vous ? » Mais pourquoi est-ce que… Ah ! Je sursaute car Danaël vient de cogner son bureau pour évacuer la pression causée par un client qui refuse de comprendre ses explications. « Reynaud ! On se calme ! » aboie Mounir. Je replonge dans mes pensées difficilement, réactive le mode avion de mon téléphone et, entre deux appels de clients confondant les Conditions Générales d’Utilisation avec les Conditions Générales de Vente, je me rends compte que ce fameux créneau où je reçois les textos du futur, colle avec l’heure du bug qui a touché le cœur du réseau téléphonique. Mais alors… « Assistance commerciale, que puis-je faire ? »

J’attends fébrilement la fin de journée en imaginant plein de choses possibles pour ce soir. Un nouveau message ? Plusieurs messages ? Un message d’hier ou de la semaine prochaine cette fois ? Il est aussi fort probable que tout s’arrête et revienne à la normale. Pour éviter de rompre le processus, je décide que, ce soir, à l’heure du bug, je m’enverrai le SMS que j’ai reçu au sujet des ventes. On ne sait jamais.

Dix-huit heures quatre, en retard ! Une cliente hystérique voulait absolument que je lui confirme que son mari n’avait pas signé d’autre contrat dans son dos… J’ai dû déployer des trésors de patience et d’empathie, j’ai utilisé tous mes mots (ceux à moi car il n’y a pas de scripts pour ça), mais je ne sais pas si je l’ai convaincue, ni même si elle a entendu. Elle m’a fait de la peine quelque part, me donnant l’impression d’une petite orpheline dans un dortoir, qui serait fatiguée, épuisée, et qui n’aurait plus envie de vivre sa vie. Quoi qu’il en soit, je sors rapidement et tape le message reçu hier (« 3615 fais passer », pas le temps de réfléchir à une autre formulation), et me l’envoie à dix-huit heures six, pile.

Et je ne le reçois pas…

Il y a donc bien un bug dans ce fameux noyau télécom dont seule une poignée d’ingénieurs aguerris comprend encore les méandres tentaculaires (ou croit les comprendre).

Quelques secondes plus tard, mon smartphone vibre, m’indiquant la présence d’un nouveau message. J’inspire profondément. Soit c’est celui que je viens à l’instant de m’envoyer au sujet des ventes et qui a mis un peu de temps à arriver, et, dans ce cas, tout rentre dans l’ordre. Soit le noyau joue avec moi et personne ne pourra m’aider à pénétrer ce mystère, vu que personne ne saisit vraiment comment fonctionne réellement cette pieuvre numérique. J’ouvre fébrilement le message qui provient bien de mon propre numéro et qui a été envoyé… demain. Son contenu me plonge aussitôt dans la plus grande perplexité… « aime italie, urgences, religieuses ».