Fyctia
Mardi 04 janvier (1)
Nuit compliquée, entrecoupée de rêves bizarres (pas ceux que j’espérais), et de voisins hurlants à travers les minces cloisons de mon studio. Je n’ai guère dormi et me réveille donc en retard, à huit heures treize et non, comme d’habitude, à sept heures trente-cinq. J’ai horreur de ça ! J’ai les yeux gonflés, les cheveux en vrac, la bouche pâteuse. Comme d’habitude… Mais si je veux être à l’heure et éviter les avanies de Mounir, je n’ai pas le choix : il va falloir faire des sacrifices ce matin ! Du coup, je zappe la salle de bains et le petit-déjeuner pour espérer pouvoir arriver à temps au centre.
*
J’ai couru pour attraper mon train, mais c’était peine perdue. Mes jambes ne me portent plus comme au temps du lycée ! Du coup, j’ai dû attendre quelques minutes sur le quai, dans un mélange d’ennui et de stress, avant de pouvoir prendre le suivant. Si je vous raconte ce genre de détail, a priori insignifiant, ce n’est pas pour meubler (j’ai trop de choses importantes à vous dire et, je pense, trop peu de temps). Non, c’est juste pour vous raconter que ce jour-là, malgré mon retard et bien que je prenne un autre train que celui d’hier, à un autre horaire, je croisais malgré tout, de nouveau, la femme asiatique qui avait fixé mon poignet la veille.
Je l’ai immédiatement repérée, assise à la même place que hier, et, après l’avoir saluée d’un aimable signe de tête, alors que je m’apprêtais à fermer les yeux pour récupérer de mon footing improvisé et du stress de ce réveil tardif, mon esprit – sans repos lui – m’envoya une curieuse pensée : n’est-il pas étrange que cette femme ait, elle aussi, raté son train pour prendre le suivant ? Suis-je en train d’halluciner ?
Je rouvre immédiatement les yeux pour en avoir le cœur net. Non, c’est bien elle, juste en face de moi, avec ses cheveux noirs et ses yeux gris, son léger sourire et ses lèvres pincées. Elle baisse alors les yeux sur mon poignet (qui arbore toujours la même griffure, deux fois rien, c’est presque guéri) et me demande :
— Cela ne va pas mieux, n’est-ce pas ?
Je ne sais pas quoi répondre à cette interro-négative plutôt surprenante. Je hoche la tête en signe d’objection : non, ça va mieux.
— Vous verrez, vous vous y ferez.
Je ne comprends pas vraiment sa réponse. Que veut-elle dire par là ? Elle parle bien de ma blessure, on est d’accord ? Heureusement, je n’ai pas le loisir de poursuivre – ou plutôt d’entamer – une quelconque discussion avec elle car je vois que ma station est là. Je me lève, agrippe une barre chromée, et me prépare : il va falloir courir dès l’ouverture des portes ! Avec un peu de chance, je vais peut-être arriver à l’heure…
*
Tout juste ! Je suis en nage et je respire fort. J’ai dû courir dans la rue et je suis loin d’en avoir l’habitude (même si j’ai à peine trente-trois ans, je ne fais pas assez de sport, c’est une évidence). Je souffle en arrivant, m’assois immédiatement et ouvre le plus vite possible mon logiciel de prise d’appel, tout en essayant de reprendre ma respiration et tout en essuyant la sueur qui commence à perler sur mon front. Ah, j’ai horreur de ça…
Mais ! Où sont-ils tous passés ?
Où sont donc Gérard et Danaël, eux qui arrivent pourtant toujours les premiers ? Et les filles, Nicole et Véronique, qui disent toujours qu’elles s’ennuient alors que cela ne fait même pas une heure qu’elles bossent ? Et Sylvie et Françoise qui répètent à longueur de temps qu’elles voudraient bien faire autre chose de leur vie ? Et les petits jeunes ? Eddy, qui vient de banlieue et qu’a toujours l’air triste, et Jean-Jacques, le dandy qui joue au sinistre ? Et les vétérans ? Michel, le coiffeur du Loir-et-Cher qu’a déposé le bilan et qui espérait refaire fortune ailleurs ; Claude, qui aime nous rappeler qu’il a été l’ancien secrétaire de l’ambassade d’Égypte ; et Serge, le faux mécano croate ? Et notre doyen, Yves, qui était bibliothécaire en Provence avant de finir ici ? Où sont-ils donc passés ?
Terry (un gars dont je vous parlerai tout à l’heure, une espèce de Roméo génération Y qui a déjà séduit un tiers des filles de notre étage selon les ragots des mieux informés, et un tiers des gars de l’étage Mercure selon d’autres sources) passe derrière moi et me lance : « Salut toi ! T’es pas à la réunion d’équipe ce matin ? »
Oh, zut ! je l’avais oubliée.
C’est donc avec une minute et quarante-cinq secondes de retard que je pousse timidement la porte d’une des salles de réunion de l’étage Morphée. Ils sont tous là, et pas que mon équipe, il y en a quatre autres aussi. Mounir se chauffe la voix, les autres superviseurs discutent entre eux, ça démarre tout juste. Ça va, ouf, il ne dit rien sur mon retard (moins de deux minutes, il doit penser qu’il peut se montrer clément). Je m’assois donc enfin mais, très vite, sous l’action combinée du défaut de sommeil, du stress qui vient de refluer et du manque de caféine, je ne fais pas preuve d’une très grande concentration et mon esprit s’évade régulièrement, mes paupières se baissent doucement, s’ensablent, s’alourdissent...
14 commentaires
Urban Claire
-
Il y a 6 mois
MARY POMME
-
Il y a un an
Balika08
-
Il y a un an
KBrusop
-
Il y a un an
Diane Of Seas
-
Il y a un an
Chloézoccola
-
Il y a un an
Laura-Del
-
Il y a un an
Gwenaële Le Moignic
-
Il y a un an
Quentinn
-
Il y a un an
DIOOUS
-
Il y a un an