Fyctia

Dix-huit heures deux. Ouf ! Terminé.

Je sors du plateau, la tête encore pleine de mystères et, une fois dehors, juste avant d’allumer une cigarette, je me fais la réflexion que c’est donc à ce moment-là – aujourd’hui, vers dix-huit heures cinq – que j’ai dû m’envoyer un texto me disant de me méfier des conseils de Gérard, puisque c’est le seul moment de la journée où je peux tranquillement utiliser mon téléphone sans risquer de voir fondre sur moi les serres de Mounir, semblant tout à coup crever le ciel en venant de nulle part, et qui me confisquerait mon smartphone (c’est dans le règlement intérieur, il a le droit).

Non, c’est absurde. Cela n’a aucun sens. Je mélange tout.

Mais c’est la seule explication puisque j’ai, malgré tout, reçu un texto, et provenant de mon propre numéro, à peu près à cette heure-ci.

Sauf que je l’ai réceptionné la veille d’avoir l’information sur les plannings…

Bon, je décide de m’envoyer ce fameux SMS. Juste pour voir. Et à la date et à l’heure auxquelles il est supposé partir. Juste pour vérifier. Cela ne coûte rien…

En soupirant, je tape donc le fameux message en question : « surtout n’écoute pas gérard » – et, au passage, je remarque que c’est bien mon style de ne pas avoir mis de majuscules à « gérard » : j’ai du mal avec le clavier pour les lettres capitales, il faut basculer les touches ou je ne sais pas quoi… un truc compliqué qui m’énerve... Bref…

Après avoir cliqué sur « Envoi », avec un peu d’appréhension, j’attends l’arrivée du message, car – on est d’accord – un message qu’on s’envoie à soi-même on le reçoit instantanément, ou avec quelques secondes de délais, mais on ne le reçoit pas la veille !

J’allume une autre cigarette, pour me détendre et penser à autre chose. Ah ! Mon téléphone se met à vibrer. Bon. La logique marche encore : je n’ai donc pas reçu dans le passé ce texto que je viens à l’instant de composer. Bon. J’ai cru basculer dans la folie pendant un instant. J’ouvre le message et vois qu’il provient bien de mon propre numéro. Bon. Tout ceci est très normal. Sauf que le SMS dit : « 3615 fais passer ». Et il est daté de demain…

*

Ce n’est que plus tard, en fermant les yeux parce que je voulais retrouver l’image de la petite blonde (malheureusement pas vue aujourd’hui, c’était peut-être son jour de repos ?), que je réalise que je n’ai pas reçu le texto que je viens de m’envoyer au sujet de Gérard et de la méfiance dont je devais faire preuve à son égard. Est-ce que le message est bien parti ? En vérifiant dans les éléments envoyés de mon téléphone, je vois que c’est bien le cas.

Qui l’a reçu alors ? Et quand ? Moi ? Hier ?

Encore trente minutes à jouer le culbuto sur cette banquette délabrée avant que la maison et le canapé ne signent la fin de cette journée incompréhensible et m’extirpent de ce rêve que j’ai l’impression de rêver sans dormir.

En parlant de rêves, j’espère bien, cette nuit, retrouver la petite blonde, ses dents de nacre, ses yeux d’émeraude, ses cheveux d’or. Je referme les paupières, histoire de réactiver dans ma mémoire ce moment où deux portes d’ascenseur s’ouvrent en coulissant de part et d’autre, et me dévoilent, en très gros plan tout d’abord, ses deux grands yeux de jade, brillants d’une flamme qui enflamme sans brûler, puis son visage, tendu en avant, vivant, plein de force et de tendresse à la fois, et enfin l’aveuglante lumière qui encadre ses traits fins et purs, l’éblouissante lumière de ses cheveux dorés.

Je crois que j’ai bien besoin d’un peu de chaleur humaine ce soir, comme souvent hélas depuis maintenant quelques années déjà.