Seb Verdier (Hooper) Mille et une voix Lundi 03 janvier (4)

Lundi 03 janvier (4)

Pour ma part, je réfléchis dans mon coin. Il y a deux plages horaires possibles : soit le créneau du matin, celui que je fais ce mois-ci, de neuf heures à dix-huit heures ; soit le créneau du soir, celui que j’avais fait le mois dernier, avec un démarrage aux alentours de midi et une fin vers vingt-et-une heures. On nous demande nos préférences tous les deux mois, sachant qu’on doit ensuite alterner, c’est ce que disaient les collègues tout à l’heure : si on veut les horaires du matin en février, eh bien on aura, fatalement, ceux du soir en mars, et inversement. Il y a aussi – uniquement pour les volontaires – deux horaires de nuit, qui sont mieux payés, mais c’est trop compliqué pour moi, je préfère avoir une vie diurne. Bon, ce sera les horaires du soir pour le mois prochain, je fais confiance à Papy.



Comme prévu, en début d’après-midi, au beau milieu d’un appel légèrement conflictuel, Mounir me demande, de son ton sec et bourru habituel, si j’ai une préférence sur les prochains plannings mensuels, nuançant rapidement qu’il ne fait que demander, car c’est la machine qui va mouliner tous les desiderata et qu’il faudra ensuite faire avec les choix des gars du service de planification : ce n’est pas lui qui commande sur ce coup-là, c’est l’ordinateur et c’est eux.


« Ne quittez pas Madame Cherpenet, je vous reprends dans moins d’une minute ».


Suivant le conseil de Papy, je choisis les horaires du soir pour le mois de février.


« Merci d’avoir patienter, Madame Cherpenet… ».



Comme prévu là encore, à quinze heures cinq, les gars de la planification sortent de leur bureau du troisième étage, descendent les escaliers, entrent sur notre plateau, le traversent tout entier sous nos regards intéressés, et vont punaiser nos horaires des prochains mois sur les grands panneaux de liège qui tapissent le mur du fond. Je profite de la petite pause de cinq minutes pour aller les consulter.


Cool, je serai bien du soir en février, l’ordinateur a pris en compte mes doléances. Bon. Mais une autre affiche, juste à côté, informe le personnel que la soirée d’entreprise est décalée en mars… Où je serai donc du matin… Mince !


Tout en retournant à ma place, je me dis que je n’aurais pas dû écouter Gérard… Et là, subitement, je repense à ce texto reçu hier soir… « surtout n’écoute pas gérard ! » Et je me dis : mais… comment mon expéditeur avait-il pu savoir – hier – ce qui n’allait pourtant se produire qu’aujourd’hui ?


Pendant un long moment, ce problème m’occupe l’esprit mais ma réflexion est constamment hachée par les appels d’abonnés qui ont repris et qui se succèdent, hachée aussi par Danaël qui se lève et qui s’assoit en permanence pour évacuer la tension que lui procurent des clients difficiles, et hachée enfin par les aboiements de Mounir : « Reynaud ! On reste assis ! »



Vers dix-sept heures, entre deux communications, je consulte en cachette mon téléphone pour revoir le numéro qui m’a envoyé ce SMS, hier. Le règlement nous interdit d’utiliser nos smartphones sur le plateau car cela perturbe la qualité audio des conversations et nous distrait de l’appel en cours – c’est fort possible – mais Mounir est actuellement occupé à l’autre bout de la rangée, en train d’engueuler un nouveau : je décide donc de braver le danger pour tenter d’éclaircir le petit mystère qui me préoccupe.


Discrètement, je réouvre le message reçu hier soir, le relis, analyse encore une fois ses données, son texte, sa date, son numéro, que j’arrive enfin à voir en entier. C’est bizarre, ces nombres me parlent... Si j’enlève l’indicatif juste avant les autres chiffres… Mais ! Non, c’est impossible ! C’est mon numéro ! Un bip retentit dans mes oreilles, me signalant l’arrivée d’un appel client que mon poste décroche automatiquement : « Bonjour, je voudrais des explications sur mon forfait… »


J’ai l’esprit tellement accaparé par ma récente découverte que je dois m’y reprendre à deux fois pour saisir correctement la demande formulée par la cliente : « Veuillez m’excuser Madame Danoti, je n’ai pas bien saisi vos dernières paroles ? »


Les appels suivants font, eux aussi, les frais de cette diablerie qui me tracasse : ai-je vraiment reçu un texto, de moi-même, la veille de l’avoir envoyé ? « Oui, Madame Zagouri, vous avez un forfait bloqué et vous ne pouvez pas dépasser le crédit… »


Il est techniquement possible de s’envoyer un texto, bien sûr, mais impossible de l’envoyer un jour donné et de le recevoir la veille ! Est-ce lié au bug dont il avait été question ? « Oui, Monsieur Tosso, vous pouvez recharger votre compte à distance ».


Cela est-il tout de même envisageable d’un point de vue théorique ? « Non, Madame Le Hénaff, rassurez-vous : les appels vers Perros-Guirec sont inclus dans votre forfait ».


Je me perds en hypothèses confuses et finis difficilement la journée.


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14 commentaires

Laryna

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Il y a un an

:)

Livre_e

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Il y a un an

Soutien 🙃

MARY POMME

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Il y a un an

👍

Alice Bruneau

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Il y a un an

🌸

Carl K. Lawson

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Il y a un an

Like de soutien, n’hésite pas à faire de même ; )

DIOOUS

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Il y a un an

Bien

chiara.frmt

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Il y a un an

🫶🏻

Gwenaële Le Moignic

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Il y a un an

;-)

lea.morel

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Il y a un an

💕💕💕

Jeanne Carré

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Il y a un an

🌸
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