Julie-anne bastard Mieux vaut motard que jamais En fait, c’est ma mère

En fait, c’est ma mère

Je hausse les épaules. Je ne vais pas nier l'évidence. Une délicieuse odeur vient chatouiller nos narines. Je sais que ce n'est pas bon pour la ligne, mais je ne connais aucun autre remède légal contre le blues et le stress.

― Trois fois rien, ça m'a pris dix minutes.

― C'est encore plus grave que ce que je pensais, déclare ma meilleure amie en se laissant tomber sur le canapé.

― Ce n'est pas comme si j'avais fait une forêt noire ; là tu aurais eu de quoi te poser des questions.

Anjali lève un sourcil dubitatif.

― Je gère la situation, lui assuré-je.

Je brandis fièrement le fruit de mon dur labeur.

― Tu ne gères rien du tout, oui ! Tu roules sur un jean ! Tu cuisines ! Dis-le-moi tout de suite, tu as une maladie grave, c'est ça ?

L'angoisse que je lis au fond de ses yeux noisette est si sincère que je lui épargne mon ironie et mes boutades. Si je ne la rassure pas immédiatement, elle risque la crise cardiaque ou pire encore, de fondre en larmes. Et ça je ne pourrai pas le supporter, surtout si elles sont versées par ma faute.

― Non, non, rien de tel ! C'est un mec...

― Un mec ? Alors, c'est qui le sale type qui t'a mis dans cet état que j'aille lui casser la figure ?

Elle plaisante. À moitié seulement. Depuis le temps que je la connais, je sais qu'elle serait capable de tout pour moi et l'a déjà prouvé à maintes reprises. Je mets au défi quiconque d'avoir une meilleure amie aussi exceptionnelle.

― Ce n'est même pas vraiment un mec...

Si seulement, c'était un mec, mais j'avoue que de ce côté là, c'est le calme plat.

Pire encore, c'est le désert, le néant, le vide sidéral.

Depuis près de deux ans, je suis entrée dans la catégorie très convoitée des célibataires de moins de trente ans, amoureuses de leur travail. Un homme, pour quoi faire ? J'ai perdu assez de temps pour les beaux yeux d'un mâle incapable de m'apprécier à ma juste valeur pour savoir qu'aujourd'hui, je suis bien mieux toute seule. Je fais ce que je veux, quand je veux. Je ne rends de compte à personne.

Enfin ça, ce n'est pas totalement vrai.

Il y a ma mère.

Ma chère maman.

Celle qui m'ayant donné la vie a le droit de vie et de mort sur ma destinée sentimentale à coups de « je te l'avais bien dit », de « tic-tac,-tic-tac » ou encore de « Moi, à ton âge, je ne passais pas toutes mes soirées le nez plongé dans un bouquin. » Je connais la chanson par cœur. Pour vous la faire courte, ma mère sait tout. Mieux que tout le monde. Surtout mieux que moi. Enfin, c'est ce qu'elle se plaît à croire. N'allez pas croire que je ne l'aime pas ou un truc du genre ! Je n'ai pas de mots assez forts pour exprimer l'amour que je lui porte. Cela étant dit, je dois aussi avouer à quel point elle me tape sur les nerfs. Il faudrait être un saint pour rester zen face à Suzanne Bayard, le rouleau compresseur de la confiance en soi et le tsunami de l'intrusion affective. Sous prétexte qu'elle a une photo de moi avec des boutons sur le nez et un vilain appareil dentaire, elle croit savoir ce qui est le mieux pour moi. Pourtant depuis que j'ai découvert la crème anti acné, tout va pour le mieux.

Merci bien.

Elle a un avis sur tout, tout le temps, et bien sûr, elle ne se gêne pas pour m'en fait part. D'ordinaire, j'arrive à prendre sur moi et à faire la sourde oreille à ses remarques acerbes et à ses commentaires désabusés sur la vie que je mène. Enfin jusqu'à ce midi où j'aurais mieux fait de me brûler la langue. Mais le plat n'était pas assez chaud.

― En fait, c'est ma mère...

― Quoi ta mère ? Je ne vois pas le rapport entre ton jean et ta mère...

― Moi non plus, et pourtant il y en a un.

Anjali retire, enfin, son manteau, étire ses longues jambes avant de s'installer confortablement en tailleur.

― On n'avait pas parlé d'un fondant au chocolat avant de s'attaquer à la longue liste des défauts de la reine-mère.

Je lui tire la langue, et me précipite dans la cuisine.

― Tu prendras un thé ?

― Jamais de la vie, je ne suis pas malade, moi, me répond Anjali depuis le salon.

Je lui verse donc une tasse monstrueusement grande de l’infâme café noir de ma mère avant de me préparer une tasse de thé vert. Ma mère sait que je ne bois que du thé noir et parfumé, mais c’est plus fort qu’elle, dans la mesure où elle a décrété que le vert était meilleur pour la santé, elle refuse désormais de m’acheter mon préféré. « Tu me remercieras un jour de prendre aussi bien soin de toi ». Ce qu’elle peut m’énerver...

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1 commentaire

dominique b.

-

Il y a 6 ans

bravo ma fille !
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