Fyctia
Un mensonge peut en cacher un autre
― Elizabeth, tu ferais mieux de m'avouer tout de suite que tu me fais un canular ! Je n'y crois pas deux secondes à ton histoire d'amoureux. Tu l'aurais rencontré où ? Hein ? Je mettrais ma main au feu que tu passes toujours tes soirées à siroter du vin avec un bouquin ! Car c'est ça la vérité, tu es juste une fille si difficile que tu fais fuir tous les mecs potables.
― Ce sont les mecs qui sont...
― Oui, toujours une bonne excuse ! Et dire que tu as refusé tous les rendez-vous que je voulais t'organiser avec Paul, le fils de Marilyne. Tu sais qu'il a demandé de tes nouvelles ?
Je me souviens très bien de lui. Comment l'oublier ? On a bien flirté un peu, il y a quelques mois. Il est plutôt beau gosse, plutôt sympathique, plutôt marrant. En plus, il aime (presque) autant les livres que moi. Mais ce n’est pas facile à dire, il y a un truc qui ne colle pas même si je ne sais pas l'expliquer. Ça aurait pu marcher. Ça pourrait marcher si on essayait vraiment. Mais je ne sais pas, moi, c’est le fils d'une amie de ma mère et ce serait vraiment trop bizarre si on allait plus loin, non ? De grands yeux bleu clair, des boucles blondes, une silhouette gracile et des lèvres... Oui, c’est vrai, je l’aime bien Paul, mais si je le revois, ce serait donner raison à ma mère et créer un antécédent préjudiciable. Non ? Vraiment, je préfère tirer un trait sur cette histoire et oublier son baiser.
― Paul, mais je ne veux pas sortir avec Paul puisque... Mais pourquoi tu me parles de lui ?
― Ça fait combien de temps que tu n'as pas couché avec un garçon ? Parce qu'au final, c'est bien ça le problème ! Si seulement tu n'étais pas aussi coincée et frustrée !
― Moi, coincée et frustrée ! Tu veux rire ! Et puis je ne vais pas parler de ma vie sexuelle avec toi, c'est... c'est dégoûtant ! Tu es ma mère !
― Quelle vie sexuelle ? ricane-t-elle. Celle que tu vis par procuration dans tes romances ? Je suis sûre que ça te ferait du bien ; moi, je n'hésite pas à m'...
C'en est trop, je plaque mes mains sur mes oreilles pour ne pas entendre parler des ébats amoureux de ma mère.
― Je disais juste ça pour toi ! Il risque de détonner au milieu de tes copines du club de bridge ! Et que va penser cousine Muriel ? Ce n'est peut-être pas la meilleure occasion pour que tu le rencontres...
Ma mère soupire, en secouant la tête.
― C'est une excuse pitoyable. Il a quoi, deux têtes ?
― Non, c'est juste un motard tatoué.
La bombe est lâchée.
― Quoi ?
Ma mère pâlit, appuie ses deux mains sur la table, comme si elle allait perdre l'équilibre. On fait moins la maligne, maintenant, n'est-ce pas ? Elle reprend son souffle. C'est le moment idéal. Elle l'a bien cherché.
J'enfonce le clou.
― Il fume, il boit, il écoute du métal et..
.
Elle prend dix ans en une minute, se laisse tomber sur sa chaise.
― Et ?
Cette question a du mal à franchir le seuil de ses lèvres. Je souris. Je suis sûre qu'elle imagine déjà mon rockeur tatoué en train d'écraser sa cigarette sur son tapis persan ou en train de poser sa bouteille de bière sur sa table en chêne. Sans même se servir de sous-verre ! Le comble du scandale.
― Il me baise comme un dieu. C'est le meilleur coup de ma vie, merci bien. Si tu veux, je te raconte comment la dernière fois il m'a soulevée de terre et m'a...
― Je te crois sur parole.
Je suis heureuse de l'apprendre. Les couleurs ont déserté son visage, la pilule a du mal à passer. Ses yeux risquent de sortir de leurs orbites. En même temps, c'est elle qui l'a cherché. Elle voulait savoir ; maintenant, elle sait.
― Tu veux un café ? me propose-t-elle.
― Non, ça va aller, merci. Je ne peux plus rien avaler.
― Moi, j'en ai besoin.
Elle se lève péniblement, secoue sa carcasse et entreprend de débarrasser les assiettes afin de les emporter dans la cuisine. Elle s'arrête et prononce les mots que toute mère a le devoir de dire en pareilles circonstances, sous peine de froisser irrémédiablement sa progéniture chérie.
Ces mots lui coûtent, je le vois bien à la façon dont sa bouche se déforme en un rictus.
― L'essentiel pour moi, c'est que tu sois heureuse, ma puce. S'il te plaît, je suis sûre qu'il me plaira aussi.
― Tu ne peux pas savoir à quel point ça me touche.
Ma mère disparaît et je l'entends s'agiter dans la cuisine. Une tasse fracasse le sol. Ça aurait pu être pire. Vraiment. Qu'est-ce que ça sera quand elle le verra ? Mon beau rockeur tatoué comme il faut au milieu des coussins brodés et des verres en cristal. Quand elle le verra. Je soupire, ferme les yeux, et me laisse aller contre le dossier de ma chaise. Ce n'est pas d'un café dont je vais avoir besoin, mais d'une vodka. Une bouteille, oui. Un truc bien costaud pour m'aider à supporter les conséquences de mes mots.
4 mots, 4 petits mots.
Et c'est le bordel.
4 mots de rien du tout.
4 mots séparant la vérité du mensonge.
« J'ai un mec ! »
Je suis dans la merde.
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