Fyctia
Un petit tour chez Mocky
Miel rentra chez lui avec Françoise. Cette dernière avait cleané à mort son appartement. Il posa son cul sur une chaise, dans la cuisine, en face du frigo qu’il regardait fixement. De grosses larmes coulaient sur son visage. Il revoyait son Bigoudi dans le freezer et se dit qu’il ne pourrait plus jamais l’ouvrir. Françoise sortit une bouteille de Lagavulin et deux verres qu’elle remplit copieusement.
- Allez papa, bois ! Je sais que tu l’aimes bien celui-ci.
Miel prit son verre en silence et le tint dans sa main sans boire le regard rivé sur la bouteille. Françoise choqua son verre contre le sien.
- A ta santé, tes amours et la fin de toute cette merde !
Elle but une gorgée du breuvage, Miel fit de même et le goût iodé du pur-malt le ramena à la soirée avec Christiane Martin.
- La dernière fois que j’ai bu ça, c’était avec Christiane...
Les derniers mots s’étranglèrent dans sa gorge. Françoise ne savait que dire. Comme à son habitude elle choisit la dérision.
- Ça vaut bien dix séances chez les Alcooliques Anonymes ! Mais bois, il va falloir exorciser ! J’aurais su, j’aurais acheté de la vodka.
- Si la nourriture nous renvoie à la mort, ça ne va pas être de la tarte, marmonna Miel.
- Tu sais, quand mon copain Eliott, le gay de Frisco, est mort du sida, je lui avais fait une promesse au téléphone deux jours avant sa mort. Il pouvait à peine parler. Il était sous morphine et bénéficiait d’un accompagnement. Il devait quitter tous ceux qu’il aimait et les préparer à son départ. Son dernier coup de fil a été pour ma pomme. Il tenait absolument que la moitié de ses cendres soit dispersée au bord de l’Ain, en dessous de la maison de ma mère. Il avait passé là ces derniers instants d’homme intact. Le paquet est arrivé par la poste dans un petit carton genre boîte à sucre. L’algérienne qui fait le ménage chez ma mère a réceptionné le paquet un matin. Il était un peu éventré. Lorsque je suis arrivé elle m’a dit : “ Y’a un copain qui t’a envoyé de la farine, j’ai goûté avec le doigt, on dirait de la farine de pois chiches !”
Je n’ai pas osé lui dire ce que c’était mais chaque fois que je vois des pois chiches, je pense à Eliott.
- J’espère que je penserai souvent à Christiane, c’est vraiment bon ce truc, tu t’es ruinée.
Et Miel vida son verre que Françoise s’empressa de remplir. Il regardait autours de lui et constatait le vide quasi absolu qui régnait dans la turne depuis le saccage de ses quelques biens.
- Ce qui va me manquer le plus, en dehors du chat, c’est de ne pas pouvoir écouter de la musique. Je ne sais pas si je vais rester ici, Claire ne peut pas venir, je ne peux pas aller chez elle. C’est la merde.
- Pourquoi que tu ne te barres pas dans le Jura, dit Françoise. Tu connais suffisamment de gens et d’endroits où tu pourrais être peinard. Ils ne pourront pas te surveiller comme à Paris et Claire pourrait te voir plus facilement qu’ici.
- Je n’ai plus un rond et je n’ai pas l’intention d’emmerder quelqu’un dans l’état où je me trouve.
Françoise sortit une enveloppe de son sac et la tendit à Miel qui reconnut l’écriture de Claire. A l’intérieur il y avait un mandat de 130000 francs à son nom. Miel n’avait jamais vu une telle somme d’argent.
- Je ne peux pas toucher cet argent, il ne m’appartient pas dit Miel.
- Elle a été plus que Claire si j’ose dire, tu dois l’utiliser c’est son désir. Tu vas à la poste et tu le fais virer sur un compte.
- Je n’ai même pas de compte, juste un Postépargne. Tu vois d’ici la gueule de la postière !
- Justement, tu ouvres un C.C.P en faisant virer le mandat dessus. Tu auras au moins l’avantage de pouvoir en retirer un peu. Elle a été adroite sur le coup, un chèque aurait mis du temps avant d’être sur ton compte.
- Je vais descendre lui téléphoner avant de faire quoi que soit. Il faut que je la voie ou je vais devenir fou.
- Tu as intérêt à faire très attention. Surtout à elle, elle risque gros. Résiste un peu, ne vous voyez pas à Paris, donne-lui rendez-vous ailleurs et soyez prudents.
Ils se burent un dernier verre et descendirent tous deux dans le métro, Françoise pour rentrer chez elle et Miel pour téléphoner d’une cabine.
Miel prit le métro jusqu’à République et se rendit à pieds dans le passage Brady. Il avait donné rendez-vous à Claire au cinéma «Le Brady » à la séance de 14 heures et voulait manger un morceau. Dans le passage il y avait de bons restaus pakistanais et l’avantage de l’endroit, deux sorties donnant sur deux rues différentes, lui semblait un atout en cas de filature. Beignets d’oignons et d’aubergines, tandoori d’agneau, pain chaud au fromage, le tout arrosé d’une carafe de rosé et miel se sentit beaucoup mieux. Après un thé à la cardamome, il se rendit au cinéma.
Le Brady appartenait au cinéaste Jean-Pierre Mocky. Mocky l’avait racheté il y avait de cela quelques années. Avant c’était un cinéma à la programmation très particulière alternant des nanars et des petits chefs-d’œuvre assez rares. L’ambiance aussi était particulière, il y avait de tout dans le public. Du dealer en tous genres au maniaque sexuel en passant par tout une gamme de pervers et de purs cinéphiles, rats de cinémathèque sans peur à la recherche de la perle rare. Miel avait vu au Brady des kung-fu d’enfer, des westerns déjantés et des films hors norme. Le principal avantage de ce ciné résidait dans le fait que la séance était double. Deux films pour le prix d’un, prix très modique de surcroît, avec en plus un autre cinéma dans la salle.
Depuis que Mocky en était le patron, le ciné offrait la possibilité aux spectateurs de rencontrer parfois des réalisateurs venus présenter leur film.
Il n’était que 13 h 15 quand il sortit du restau, il entra dans le super-marché pakistanais afin de faire quelques courses, des épices rares et autres produits qu’il adorait cuisiner.
Il était le nez dans un rayon qui cachait à moitié une fenêtre. Il regardait dans le passage quand son regard fut attiré par deux hommes qui scrutaient l’intérieur du restau. Il reconnu le flic qui travaillait avec Desnos et un autre homme qu’il ne connaissait pas.
Il demanda à l’épicier s’il pouvait utiliser son téléphone. Ce dernier aimait bien Miel et lui dit avec son accent amusant:
-Si ce n’est pas pour appeler au Pakistan, pas le problème!
Il appela Françoise et lui fit part de la présence de Nédélec et de l’autre homme. Françoise lui dit que le mieux c’était de rester devant le cinéma et d’attendre de voir Claire arriver pour rentrer. Elle le trouverait à l’intérieur et lui dit de ne pas sortir avant la fin de la séance.
Elle avait une idée qu’elle allait mettre en pratique.
À 13 h 50, Miel entra dans le cinéma et acheta 2 places.
3 commentaires
Azalyne Margot (miss Ninn)
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Il y a 5 ans
Michbonj
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Il y a 5 ans
Michbonj
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Il y a 5 ans