Fyctia
Guérilla urbaine
Elle passa en dessous des marches. Le fusil étant à trois coups, il restait une cartouche dans le magasin de l'arme, elle manœuvra la culasse et tira dans l'escalier au-dessus d’elle a bout portant au-dessus de sa tête, a hauteur de la septième marche. Elle entendit hurler, la marche vola en morceaux et au même moment la voiture du garage explosa. Claire rechargea le fusil et se rendit subitement compte que l'escalier au-dessus d'elle brûlait sérieusement. Le premier homme avait roulé au bas des marches et ne bougeait plus. Elle se décida à traverser les flammes pour aller en direction de la porte d'entrée, logiquement personne ne pouvait être au-dessus de l'escalier elle grimpa en reculant et sauta au travers des flammes. En bas des escaliers du premier, elle tira une fois en direction du haut des marches, elle attendit un moment, tira une autre fois, la fumée commençait à devenir dense et l'air plus qu'irrespirable malgré son équipement de fortune. Elle ouvrit la porte, la referma et se retrouva dehors.
Elle se débarrassa de son écharpe et de ses lunettes, remit deux cartouches dans son fusil et passa rapidement derrière la maison où il y avait un jardinet et des massifs de troènes. Appuyée contre le mur du jardin, à l’abri d'un bosquet de troènes, elle regarda les fenêtres des deux façades, celle arrière et celle du côté opposé au garage. Les occupants de la maison ne pouvaient sortir que par-là, la façade de devant et celle côté garage n'étaient plus accessibles à cause du feu qui ravageait la maison. Claire ne se trompait pas, une fenêtre s'ouvrit sur la façade arrière et un homme apparut essayant de l'enjamber. Claire tira calmement en appui sur des branches de troène, l'homme s'écroula dans la pièce. Il y eut un instant de flottement puis des coups de feu partirent à travers la fenêtre. Claire s'aplatit au sol, rampa vers la gauche le long du muret du jardin. On ne pouvait pas la voir de l'intérieur de la maison et l'angle qu'elle faisait avec la fenêtre ouverte rendait impossible un tir dans sa direction. Elle tira une fois en direction de la fenêtre et progressa rapidement sur sa gauche, elle s'arrêta et remit deux cartouches dans son arme. Elle vit un ombre passer derrière la fenêtre en face d'elle et elle fit feu aussitôt puis redoubla dans celle d'à côté. Courant aussi vite que possible au ras du sol, elle rechargea son arme, tira de nouveau sur les fenêtres arrière et recommença de l'autre côté. Il y eut quelques coups de feu venant de la maison puis plus rien.
Elle voyait maintenant les flammes à l'intérieur du premier étage et plus personne n'avait l'air de bouger, elle vida encore deux fois son fusil, le rechargea et décida de passer devant la maison. Elle rasa le mur jusqu'à la grille et regarda à travers les barreaux, quelques personnes se trouvaient dans la rue à une distance d'environ cinquante mètres, regardant l'incendie qui embrasait maintenant la totalité de la maison. Claire posa son fusil, ôta sa cagoule et sortit dans la rue, elle se dirigea au pas de course vers la ruelle où était sa voiture en croisant un ou deux curieux. Elle s'arrêta à leur hauteur et leur dit :
-J 'espère que quelqu'un a appelé les pompiers, vous l'avez fait non ?
Les gens ne savaient pas qui l'avait fait ou si quelqu'un l'avait fait et Claire leur déclara :
- J'étais dans la maison derrière, je suis passée par-dessus le jardin, il y a plein de trucs qui explosent là-dedans je n'ose plus repasser par le fond, je vais faire le tour et appeler les pompiers puisque personne ne l'a fait !
Elle s'éclipsa au pas de course dans la ruelle, monta dans sa voiture et démarra, sur la route elle croisa les flics et les pompiers. Claire fonça en direction de la porte d'Orléans, elle ne savait pas vraiment où elle allait, elle n'avait pas franchement imaginé qu'elle s'en sortirait aussi facilement et d'un seul coup elle se sentait comme vidée de ses forces. Elle alluma son dernier joint et, se laissant guider par le flot des voitures, elle essaya de réagir. Arrivée à Alésia, elle se rendit compte que Sainte Anne était tout près, elle bifurqua dans la rue d'Alésia et se rendit à l'hôpital, il fallait qu'elle voie Miel, qu'elle le rassure, elle devait encore faire cela. Après, plus rien n'aurait d'importance. Cette idée dernière lui faisait tourner un peu la tête, elle avait l'impression d'être arrivée au bout de la piste, face à un grand mur infranchissable.
Elle se souvint que quand elle avait quatre ans, elle s'était, un jour, échappée du jardin familial, elle était passé dans la propriété d'à côté qui l'attirait depuis pas mal de temps. La grosse maison était abandonnée depuis des années et Claire trouvant la porte ouverte était rentrée à l’intérieur de la bâtisse qui ne l’effrayait nullement. La personne qui était venue visiter la maison et qui avait ouvert la porte, n'avait pas vu la petite-fille se glisser dans la maison. Elle avait refermé la porte à clef et était repartie. Claire n'avait vu que des murs gris, les pièces paraissaient immenses à la fillette, elles étaient vides et très hautes, elle ne pouvait même pas regarder par les fenêtres. Après avoir vainement cherché la sortie, elle s'était assise par terre et avait attendu sans jamais ressentir le moindre sentiment de peur. Elle s'était juste dit qu'elle ne verrait plus jamais personne mais pas un instant elle n'avait imaginé qu'elle puisse mourir de faim ou de soif. Elle n'avait jamais eu peur et pensait qu'elle serait restée comme ça, éternellement devant ces murs. Au bout d'un temps assez long, plusieurs heures, elle était vide de tout sentiment n'ayant absolument aucun événement sous le regard qui eût pu capter son attention, tout était absolument dur et infranchissable. Dans le jardin elle pouvait jouer avec les plantes, voir les papillons, les oiseaux, prendre des cailloux ou de la terre, ici rien du tout. Assise en face de la porte, elle avait regardé la poignée pendant des heures. Elle n'était plus très sûre que cette dernière pouvait bouger mais il lui semblait bien qu'un changement puisse provenir de ce morceau de métal doré, plus joli que tout le reste de la maison.
Elle avait eu raison, la poignée avait bougé et la porte s'était ouverte, laissant entrer un homme qui lui avait souri très gentiment. Claire ne le connaissait pas mais elle s'était jetée dans ses bras et l'homme, très gentil l'avait ramenée chez ses parents. Depuis assez longtemps, Claire ne se souvenait plus du visage de l'homme et aujourd'hui, il lui semblait que c'était le sosie de Miel qui l'avait sortie de son immobilisme forcé, un autre Miel identique à celui qu'elle aimait. Ce mur de circonstances, devant lequel elle butait aujourd'hui, lui semblait aussi infranchissable que la maison vide et elle était sûre que son Miel tournerait la poignée.
Elle voulait voir Miel maintenant.
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