Michbonj Miel prend le 96 Notre besoin de consolation est impossible à rassasier

Notre besoin de consolation est impossible à rassasier

C'était bien les mêmes yeux noirs qui le regardaient maintenant, les mêmes yeux qu'il avait vus couché sous l’Abribus.

- Je vous crois ! Mais qu'est-ce que vous me voulez ?

- M'assurer que c'était bien un accident et vous dire que j'aurais pu vous tuer la deuxième fois lorsque que j'ai tiré. J'ai tiré à côté volontairement. Vous aviez l'air si étonné, perdu mais pas peureux comme cette pauvre vieille, comme de trop, incongru ou plus exactement pas là !

- Pourtant j'y étais, même si je ne savais pas où me mettre. Je sais que je suis très encombrant, je ne suis jamais au bon endroit, c'est ma nature ?

- Je suis un peu comme vous, quand je suis enfin au bon endroit ce n'est jamais le bon moment. En règle générale, je suis ou absente ou de trop !

Miel lui prit la main sur la table, sans réfléchir et lui dit :

- Vous et moi avons tué quelqu'un, c'est terrible ! Que va-t-on faire avec toute cette mort ?

Ils se mirent à pleurer en silence, de grosses larmes coulaient sur leurs joues. Miel sortit des mouchoirs en papier de son sac et essuya les yeux de la femme. Ils ne pouvaient pas parler et se regardaient comme s'ils allaient disparaître à jamais. Elle lui dit rompant le silence :

- On s'en va d'ici ?

- Oui, sortons !

Miel paya au comptoir et ouvrit la porte à la femme, elle lui sourit et il se rendit compte qu'il ne savait même pas son nom. Il décida de l'appeler Claire, car tout devenait lumineux dans son cœur. Il le lui dit simplement, sans penser un instant qu’il ne la connaissait pas et qu’elle risquait de trouver son attitude étrange.

- Je t’appellerai Claire, tu es la lumière de ma nuit ?

- Ne dit rien, viens. Il faut partir d’ici maintenant. Je sais.

Elle lui prit la main et le conduisit dans la nuit à travers les ruelles. Ils ne parlaient pas, ne se posaient aucune question, ne savaient plus rien de connu. Lui était avec Claire et tout était clair, elle était avec Miel et tout était doux. Elle lui demanda juste à un moment à quoi il pensait car elle avait senti dans la pression de sa main que quelque chose de différent avait traversé son esprit, Miel lui répondit :

- A un magnifique texte de Stig Dagerman, à son titre surtout !

- Je sais : "Notre besoin de consolation est impossible à rassasier" Ils arrivèrent chez elle, rue des Prairies, entre le Père Lachaise et la Place Gambetta. Ils restèrent toute la nuit l'un contre l'autre, se tenant par la main et au petit matin ils s'endormirent à tour de rôle, comme si chaque fois que l'un s'assoupissait, l'autre devait absolument le veiller pour garantir son calme. Vers midi ils se sourirent puis discutèrent jusqu'à quatorze heures, ils étaient calmés et apaisés jusqu'au fond de leur être. Claire expliqua à Miel qu'elle avait connu Jacques Martin à la fac de droit en soixante-dix-huit, ils étaient sortis quelque temps ensemble, puis leurs routes s'étaient séparées rapidement. Claire militait à l’extrême gauche et lui à l'extrême droite. Miel fronça les sourcils.

- Comment vous êtes vous rencontrés?

- A une soirée chez une amie commune qui ne faisait pas de politique. De toute façon ça n'a pas duré longtemps, nous ne nous sommes pas revus pendant dix ans et un jour je l’ai retrouvé par hasard. J'allais voir un film à l’Entrepôt, il rentrait chez lui. Nous nous sommes revus et nous avons passé une soirée ensemble. Il me disait qu'il était écœuré à jamais de la politique et qu'il n'avait qu'une envie, se tirer aux Seychelles C'est moi qui lui dis par jeu de casser sa banque, il me dit qu'il y avait déjà pensé mais que pour ça il fallait être plusieurs. En fait, il avait déjà réfléchi au meilleur moyen de braquer la banque en étant sûr que tout se passerait bien. Il pouvait montrer au pseudo braqueur comment neutraliser le système d'alarme branché sur les flics. Définir le jour où il y aurait beaucoup d’argent à sortir etc. Nous nous sommes revu plusieurs fois et ce qui n'était que des suppositions et devenu possible. Je devais trouver un complice afin de tenir les clients et le personnel de la banque en respect. Je connaissais bien Mouloud. C'était quelqu'un de chouette, il avait milité pour la Palestine ! Il se battait pour la liberté dans son pays. Je l'ai convaincu qu'il n'y avait aucun risque, ce devait être un faux hold-up mais avec du vrai argent à la clé. Il voulait cet argent pour le donner à une organisation de défense de sa culture, il était kabyle. Il croyait à un idéal, sa langue, son pays. Nous devions toucher chacun cinquante briques. Jacques nous a trouvé les armes. Normalement il avait tout prévu. Après tu sais.

- Pas grand chose, pourquoi l'as-tu tué ?

- Je ne le voulais pas ! Nous étions sensés avoir des armes à blanc, des fausses cartouches, je ne sais quoi. Il m'a demandé en riant de lui tirer dessus pour faire croire qu'il avait résisté, je l’ai fait, j’ai tiré à bout portant. L’horreur. Je n’ai rien compris, j’ai pris le sac et je suis partie.

- Ton copain avait un pistolet d’alarme !

- Comment ça ? Bien sûr que non !

- Les flics m'ont dit qu'il avait un pistolet d'alarme, il n'aurait pas pu tuer avec son flingue ! Vous avez eu les pistolets quand ?

- Le matin même, une demi-heure à peine avant que nous entrions dans la banque.

- Qui vous les a remis ?

- Jacques lui-même, il a remit le pistolet à Mouloud en disant de faire gaffe, que c’était un vrai flingue et il a ajouté en me donnant le mien qu'il avait l'air moins sérieux mais qu'il n'y avait que lui qui le verrait !

- C'est dingue ! Vous ne les avez pas vérifiés ?

- Non, nous étions sur un banc derrière le marché et à l'heure prévue nous nous sommes dirigés sur la banque !

- C'est toi qui devais rentrer dans le bureau ?

- Oui, Jacques était, comme convenu, avec le guichetier, je devais le faire entrer sans une parole dans son bureau, tout s’est déroulé comme prévu. Mouloud a crié : “on ne bouge pas ! ” Et moi j'ai braqué Jacques et nous sommes rentrés dans son bureau, il m'a donné le sac et m'a dit "bonne chance" puis il m'a demandé de tirer. Il avait l'air calme, sûr de lui, je n'ai pas eu le temps de dire une parole à Mouloud, j'ai jeté le sac dans la voiture et nous avons couru. La suite tu la connais ! Je veux récupérer l'argent de Mouloud pour l'envoyer à ses amis. Je le dois ! Je le lui dois !

- Christiane Martin dit qu'il n'y avait que du papier dans le sac ?

- C'est une menteuse, tu ne vas tout de même pas la croire ?

- Je ne sais pas ! Pourquoi me mentirait-elle ? Elle a peur que tu la retrouves, elle ne sait pas qui était dans le coup avec son mari, il n'a pas voulu le lui dire !

- Il n'avait pas dit que c'était sa femme mais je l'ai reconnue !

- Tu la connais ?

- De vue simplement, il en parlait très peu, ils devaient se séparer !

- Il t'a dit pourquoi !

- C'était pour partir avec moi ! Je ne l’aurais pas fait mais nous voulions ce poignon. Oh ! La salade ?

- Tu crois que c'est elle qui a préparé les revolvers ? Miel prit Claire dans ses bras, elle se nicha contre sa poitrine.


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