Michbonj Miel prend le 96 On rase gratis

On rase gratis

A trois heures de l'après-midi Miel se sentait beaucoup mieux malgré les interrogations du poulet. Il décida de se faire une toile et opta pour "Raining Stones" de Ken Loach. Il aimait particulièrement la façon de filmer de ce cinéaste anglais. Miel avait vu quasiment tous ses films de : Familly Life à Poor Cow, et des plus récents comme Hidden Agenda ou Riff-Raft. Une fois de plus il ne fut pas déçu par Loach. Ce type savait vraiment bien parler des exclus, ses personnages étaient attachants, même le curé du film était un individu avant d'être un prêtre, et puis il pariait de problèmes graves avec un humour colossal.

C'est dans des films comme ceux-ci que j'aimerais tourner se dit-il, malheureusement nos cinéastes français prennent toujours les mêmes blaireaux. Laissant de côté ses réflexions cinéphiliques, il se dit que Françoise était peut-être chez elle et qu'il avait, si c'était le cas, au moins trois bonnes heures avant son rendez-vous avec la copine du type qu'il avait négocié. Il pensa à cette expression : "négocié". Il eut un frisson des pieds à la tête. Il commençait vraiment à se rendre compte qu'il avait TUE un homme. De plus, il ne le connaissait même pas. Il en aurait chialé de détresse et il sentait que, bientôt, il aurait besoin de débarder un peu ses sentiments sur quelqu'un de confiance. Qui d'autre que Françoise justement ?

Il lui téléphona, elle venait de rentrer et elle lui dit de rappliquer à toute allure. Elle habitait rue Pernety, pas très loin de chez Christiane Martin.

Elle vivait avec trois chats, deux mères et un matou castré, fils incestueux d'une des mamas-cats, la noire. Les mamas s'appelaient respectivement Rollylalla et Ina. La grise Rolly était surnommée “roulette ” ou “rollypute ” et ressemblait au chat des “freaks brothers. ” Ina la noire était très étrange et s'appelait tout simplement “Ina ” ou “la black. ” Le matou, fils tigré de Ina, s'appelait “Suisse Caisse ”, c’était un des rares chats à avoir un nom et un prénom. Il devait son prénom de suisse

par ce qu'il avait tété un petit-suisse âgé seulement de quelques jours avec une belle ardeur. Il était un peu con, « caisse » emprunté au louchébem.

Les chats firent la fête à Miel, il avait vécu deux ans avec eux dans un H. L. M de Chatillon.

Françoise était une jolie femme anguleuse, rousse, les cheveux coupés court, avec une chemise de flanelle rouge usée, des pantalons chinos noirs et des baskets rouges. Chaque fois qu’il la voyait, il avait inévitablement envie d’elle et ça durait depuis des années.

Elle l'embrassa et le fit s'asseoir devant une bouteille de Mâcon blanc. Miel lui raconta en détail ses péripéties des deux derniers jours en ne lui cachant aucun détail. Françoise le regarda dans les yeux et lui dit :

- Fais gaffe petit-père, ça pue ton truc, il y a beaucoup trop de monde qui s'intéresse à toi ! Tu vas te retrouver avec des emmerdes, combien il y avait de blé dans l'histoire ?

- Tiens, bonne question, je ne sais même pas ?

- T'es con ou quoi ? C'est sans aucun doute la seule chose intéressante dans ce sac d'embrouilles ! Il est bien quelque part ce putain de fric ?

- Rêve pas, ce n'est pas pour nous !

- T'imagines, tu récupères le sac et tu te casses vite fait, je peux te faire planquer en Californie chez mes copains gays, tu serais tranquille jusqu’à la fin de tes jours !

- Le fric ne m'intéresse pas !

- Qu'est-ce qui t'intéresse, le cul de la veuve ?

- Oui, mais pas autant que le tiens ?

- Arrête un peu avec ça, tu as encore des obsessions?

- Je ne te comprends pas, on se connaît depuis plus de trente ans, j'ai toujours eu envie de toi, tu es une femme plus que libérée et tu veux pas que de temps en temps on échange de la tendresse. Je veux juste partager du plaisir avec toi, pas vivre comme n'importe quel couple, se donner de la tendresse et de la joie...

- Moi, mon truc c'est plutôt de la violence et des pratiques pas très orthodoxes. J'ai une sexualité un peu particulière.

- Justement il vaut mieux s'éclater avec quelqu'un en qui on a confiance ! Je peux être assez fou aussi ?

- O. K, un jour, on en reparlera, mais pas d'amour ? Amour caca ! Pas de sentiments, de la technique et de la confiance ?

- Maintenant tu arrêtes, parlons de la télé, c'est demain soir, c'est ça ?

Oui, il faut être au studio vers vingt et une heures. Tu avais un copain, journaliste beur qui a écrit un livre sur les banlieues, tu crois qu'il pourrait venir ?

- Je vais l'appeler ce soir, ça serait bien qu'il vienne mais tu crois qu'on pourra dire quelque chose, leur émission doit être cadrée à mort, ça ne déborde jamais dans ce genre de show ?

- On va faire déborder, je ne veux pas passer pour ce que je ne suis pas. Au fait tu as l'article du facho ?

Françoise lui montra le Journal qu'elle avait récupéré. La photo de Miel faisait la une, il avait l'air dur, le tirage accentuait ses traits, on aurait dit un ancien para. Le gros titre disait : "Un français courageux !" Miel faisait figure de héros, au front pour le moins national et au regard clair tourné vers la ligne bleue du Crédit Lyonnais afin d'empêcher les malfaiteurs étrangers d'empocher notre fric et notre épargne ! Aux armes citoyens ! Formez des bataillons prêts à marcher avec le courageux Beausoleil dans le combat contre la racaille... bla... bla... beurk !

Françoise regarda la photo et lui dit :

- C'est vrai qu'avec la tronche que tu te traînes en ce moment, ça n'arrange pas les choses. Faut plus couper tes cheveux aussi courts, tu avais vraiment l’air d'un militaire ?

- C'était pour un casting, ils cherchaient quelqu'un qui pouvait jouer un militaire en retraite, j'ai tenté le coup ?

- Tu ne l'as pas eu ?

- Toutes les agences étaient sur le coup, Je suis arrivé à l'heure prévue et il y avait au moins sept ou huit prétendants avant moi, rien que du beau monde, tous les seconds placards du boulevard ! Tu parles ça payait six ou sept briques pour deux jours de tournage avec des droits pour un an seulement. Je n'avais aucune chance, les pubs à fric c'est jamais pour mol ! Je crois que je ne couperai plus jamais mes cheveux ?

- Rase-les complètement, personne ne te reconnaîtra !

- Tu as raison, tu te souviens quand je l’avais fait pour une pub pour des ordinateurs, des gens qui me connaissaient depuis longtemps passaient à côté de moi sans me remettre.

- Si tu veux, je te le fais, j'adore raser les mecs, je le faisais souvent à Yvan mon ancien mari, je le rasais même entièrement des pieds à la tête.

- Je me contenterai de la tête ma chère raseuse !

Françoise lui rasa le crâne et Miel se contempla dans la glace de la salle de bain, il avait vraiment changé de physionomie. Le type qui le regardait était un mélange de Bernard Blier et de Brando dans Apocalypse Now. Il se rasa aussi le visage et Françoise lui massa la peau du cuir chevelu avec de l'huile parfumée au jasmin. Elle l'embrassa sur le crâne et le mit dehors.

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