Michbonj Miel prend le 96 Double rencontre

Double rencontre

Une demi-heure après il sortit du bureau et traversa les couloirs pour rejoindre la sortie. En haut des escaliers du premier, un groupe d'hommes attendait. Miel ne fit pas attention à eux et reçut un éclair de flash en plein visage. C'était des journalistes. Ils voulurent lui poser des questions ; Miel refusa de leur répondre et sortit au pas de course de la P. J. Il gagna le Pont- Neuf, traversa la Seine et entra dans un petit bar à vin de la rue Dauphine. Il connaissait bien l’endroit, le patron était un facho, con comme la mort mais il amusait beaucoup Miel ; il lui piquait ses expressions et les histoires qu’il racontait pour écrire des nouvelles ; il voulait intituler le recueil "Petites nouvelles du Front".

Miel se mit à une table et commanda un blanc du Jura ; c'était un mélange de cépage savagnin et de chardonnay qui venait de chez un petit viticulteur de Pupillin. Il se tapait son troisième verre de Jura quand un homme entra dans le bar et serra la main du patron. Miel l’observa, se disant qu’il l’avait déjà vu quelque part. L'homme se retourna plusieurs fois pour observer visiblement Miel et il vint à sa table.

- Nous nous sommes vus tout à l’heure, à la “ grande maison”, je m'appelle Jean-Claude Lagarde, journaliste à France-Hebdo. Je vous offre un verre ?

Miel faillit refuser mais il ne voulait pas se griller avec le patron qui n'aurait pas compris son refus. Il invita le journaliste à s'asseoir. Lagarde était un petit blond aux cheveux clairsemés, le teint pâle. Il portait de grosses lunettes à montures d'écaille qui grossissaient ses yeux de grenouille. Miel lui tendit son paquet de "gitanes maïs" ;

- Vous fumez ? Dit Miel.

- Pas des "gas-oil », c’est trop fort ces trucs-là !

Il sortit des « Winston Light" de sa poche et en alluma une, Miel eut un sourire narquois et lui dit :

- Votre rédac-chef sait que vous ne fumez pas français ?

- Il ferme sa gueule, il ne fume que du havane !

- Si je comprends bien, chez vous il n’y a de choix possible qu'entre Clinton et Castro !

- Non, on peut aussi ne pas fumer pour conserver sa santé...

- Vous vous sentez malades ? Au journal je veux dire !

- Vous n'avez pas l'air de nous porter dans votre cœur dites donc ?

- En vérité je n'aime pas du tout mais pas du tout votre torchon !

- Vous y viendrez un jour, lorsque vous aurez vu d'autres vieilles dames exécutées par un maghrébin, vous vous sentirez peut-être concerné !

- Par quoi ? Par vos propos racistes ?

- Par notre discours sur la sécurité, celle que chaque bon citoyen est en droit d'attendre !

- Personnellement, je n'attends pas de discours...

- Ah ça oui ! Vous posez des actes ! Vous ne l'avez pas raté le bicot ! Vous avez fait du catch étant jeune ?

- Non, mais j’ai pratiqué la chasse au con ; méfiez-vous ça ouvre dans trente secondes !

- Parlons sérieusement, je vais écrire un papier sur vous et votre courage...

Miel le coupa, rouge de colère.

- Je vous l’interdis formellement, c’était un pénible accident ! Je ne l'ai pas fait exprès !

- Je comprends, vous avez peur que l’autre vous retrouve ! Eh bien ! laissez-moi vous interviewer au moins...

- Je n'ai rien à dire à personne, vous m'entendez ? J'ai dit ce que je savais à la police ; Si jamais vous citez mon nom dans votre canard pourri, je vous traîne devant les tribunaux !

- Pour quel motif ? Qui allons-nous reprocher de saluer le geste courageux d'un bon français qui stoppe la course meurtrière d'un étranger au péril de sa vie ?

Miel se leva sans un mot et demanda au patron combien il lui devait ; il régla ses verres, tous, même celui que Lagarde.

Sur le trottoir il croisa l'inspecteur Nédélec qui le regarda à nouveau bien dans les prunelles, Miel le dépassa et se retourna pour voir où il allait. Nédélec avait la main sur la porte du bistrot, il sourit à Miel et entra dans le rade. Miel décidément ne supportait pas ce flic, il avait l'air de se foutre de sa gueule. Le fait d'entrer dans le bar d'où il sortait était-elle une pure coïncidence. Tout semblait s'enchaîner comme dans les mauvais rêves. Nédélec voulait dire Noël en breton, Miel se dit qu'il détestait Noël depuis tout petit, avant de rencontrer ce flic, il ne savait pas trop pourquoi. Maintenant il possédait des tas de raisons, épidermiques et affectives.

Il prit le métro à Odéon et rentra chez lui.

Le lendemain matin, Miel tournait en rond dans ses trente mètres carrés. Il n'arrivait pas à écrire, trop d'images confuses dans la tête. Il avait passé la soirée à essayer d’oublier hier matin. Trois bouteilles de sylvaner autrichien de chez E.D L’Épicier n’avaient pas réussi à le faire dormir peinard. Il pensait qu'il ne fallait plus boire autant de vin blanc, ça énerve trop, sans doute à cause du soufre. Il essayait d’écouter son corps, son métabolisme ou du moins pensait-il le faire. En général il réagissait bien aux signaux de son corps. Mal dans les jambes : la circulation ! Gaffe au cholestérol, pas de charcuterie pendant quinze jours, ça se calme, ça gaze ! Crise d’hémorroïdes : plus de vin rouge, d'épices et crudités, grillades etc. Tout va bien du côté du fion !

Il n’avait pas vu de toubib depuis vingt années, ne prenait aucun médicament et connaissait parfaitement le moindre signal d'abus. Par contre ce qui se passait dans sa tête l’inquiétait et la matinée précédente n’arrangeait pas vraiment les choses.

Miel redoutait particulièrement sa capacité de fascination pour n'importe quoi, ce qui lui arrivait souvent. Il le contrôlait bien jusqu’à présent mais il était toujours inquiet lorsqu’une crise de ce genre le prenait. La dernière en date lui laissait un souvenir amer.

Il avait aimé une femme et du premier au dernier jour, il s’était demandé pourquoi celle-ci? Elle n'était vraiment pas son genre. Rien ne semblait pouvoir les réunir ; elle ne correspondait à l’idée qu’il se faisait de la femme idéale, ni physiquement ni intellectuellement. Qu’est-ce qui l'avait attiré ? La seule réponse, qu’il avait trouvé le laissait perplexe. Il avait conscience absolument de tout ce qu’il ressentait en sa présence, elle l’agaçait prodigieusement par son comportement, sa voix, son aspect physique mais malgré tout, il avait envie d’elle physiquement. Il lui avait fait subir toutes sortes de contraintes sexuelles, de la minette à la sodomie ce qui était nouveau pour elle, incongru même, à la limite de l’imaginable. Son dernier recours devant un refus ou une hésitation de sa part, était de la convaincre que ces pratiques étaient courantes et absolument normales de la part de personnes qui s'aiment. Il avait l'impression très ferme, qu'elle n'avait pas l’habitude, en fait, d’être aimée ; il pensait qu'elle ne l'avait jamais été vraiment, sérieusement, et c'est ça qui le motivait, c’était pour lui comme défricher des terres vierges. S’il avait pu, il aurait inventé l’amour, rien que pour elle. Il était réellement fasciné par ce monument de non-amour possible.

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2 commentaires

Cynemoon Inkepolis

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Il y a 5 ans

Bonjour ! Je suis partagée entre l'attachement et l'agacement vis à vis de Miel mais je pense que c'est l'effet recherché. J'ai annoté une ligne avec des espaces rebelles (deux espaces au lieu d'un) mais il y en a d'autres dans le texte. Ça peut faire buter un peu à la lecture. Je m'en vais voir la suite. ^^
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