Michbonj Miel prend le 96 Paul n’est pas Robert

Paul n’est pas Robert

Miel avait préféré dire au poulet de repartir sans lui. Il lui avait promis d'être rapidement à la P.J, le temps de se nettoyer et de reprendre ses esprits. Il ne voulait absolument pas partager le moindre instant d'intimité avec lui, se déshabiller devant le flic dans ses trente mètres carrés ne l'aurait pas embarrassé plus que ça, il redoutait simplement la retombée des sentiments qui le tourmentaient depuis un instant, ceux-ci ne le lâchaient plus et il sentait bien qu'ils auraient le dessus et il ne saurait pas partager son désarroi avec un inconnu.

Le flic lui donna le nom de l'inspecteur qui devait le recevoir. Celui-ci s'appelait Desnos, Miel ne risquait pas d'oublier un nom pareil. Par jeu, il lui demanda si son chef se prénommait Robert.

- Vous le connaissez, répondit le pandore.

- Non, pas du tout, je demandais ça comme- ça ! Le flic dû le trouver étrange et lui dit :

- Il s'appelle Paul en fait, mais tout le monde le surnomme Robert en cachette ! Attention hein ! Je ne vous ai rien dit. N'oubliez pas de venir, c'est très important pour nous, vous êtes le témoin numéro un !

Tu parles ! Si Miel avait rêvé d'être le numéro un, ce n'était surtout pas dans une affaire de meurtre. Il n'aimait pas beaucoup les flics, même vraiment pas du tout. Il avait eu affaire à eux à diverses occasions depuis 68. Des manifestations en tous genres, de la défense du squat artistique en passant par celle des maliens de Vincennes. Son bord était plutôt de l'autre côté, la mouvance gauchiste avec une préférence très forte pour les libertaires de tous poils.

Sans être vraiment un militant, Miel se préoccupait de ses semblables et répondait présent aux différents appels qu'on lançait çà et là. Il participait aux manifs antiracistes, aux antifascistes et à la défense de la liberté d'expression et autres sempiternelles causes continuellement menacées.

Il commençait à sortir du cauchemar mais aussi à réaliser qu'involontairement il avait collaboré avec la police. Il se demandait pourquoi il avait dit au flic que l'autre s'était tiré en moto et il s'en voulait de l'avoir fait. Après tout il ne lui avait rien demandé, c'était presque de l'excès de zèle. Il pensa qu'en fait, il avait été choqué par le crâne explosé de la mamie. C'était plutôt dur à avaler. Il ne supportait pas que l'on touche à une vie humaine et estimait qu’aucune raison valable ne justifiait un tel acte. La vie pour lui était sacrée. Le seul bon point qu'il accordait aux socialos depuis mai 81 était d'avoir supprimé la peine de mort. Ce qui l'emmerdait le plus dans l'histoire c'était que très certainement, le tireur avait voulu le tuer lui, pas la vieille dame. C’est lui qui aurait dû morfler puisque c'était lui qui avait dégommé son complice, involontairement bien sûr mais tout partait de lui quand même. C’était sa cervelle qui aurait dû couler sur le trottoir. Pourquoi le tireur avait-il hésité la deuxième fois ? Il songea aussi que son corps était décidément bien encombrant. C'est vrai que, quand on fait un mètre quatre-vingt-sept et plus de cent kilos, on encombre l'espace. Un metteur en scène lui avait dit un jour de ne pas chercher à “occuper l'espace”, c 'est ce qu'on demande toujours aux élèves dans les cours : occuper l'espace. Le metteur en scène lui conseillait plutôt de se préoccuper de l'espace vu qu'il en bouffait beaucoup.

Sous la douche, il le savonnait ce corps, comme pour faire disparaître le sang de la vieille qui serait rentré sous sa peau.

Il revoyait les particules de cerveau et se disait que c'était la première fois qu'il vivait en direct et au naturel la destruction d'un corps humain vivant. Une seconde avant la rencontre avec la balle, "ça" pensait, "ça" vivait et puis plof, plus rien.

A quoi pouvait-elle penser juste avant d'avoir peur ?

Elle avait eu sacrément peur la mémé. Bordel, si la peur l'avait paralysée, elle aurait été encore vivante, elle n'aurait pas bougé ! Elle avait peut-être un homme, des enfants, des petits-enfants, tous l'aimant comme des fous. Elle avait une histoire, il ne reste plus qu'un corps sans vie avec une partie seulement de sa belle tête blanche. Elle était belle se souvint Miel. Il se dit qu'il fallait qu'il arrête de gamberger. Il sortit de la douche et vit ses habits tachés de sang. Il s'assit par terre et se mit à pleurer déversant un torrent de larmes.

Quand il réussit à se calmer, il s'habilla et fit un paquet de ses habits souillés qu'il déposa sur le trottoir en sortant, au coin des poubelles. Il aurait sans doute pu les faire nettoyer mais il ne souhaitait pas les retrouver de peur de revoir la tête en bouillie chaque fois qu'il sortirait ces putains de fringues, elles étaient stigmatisées à jamais.

Miel prit le métro jusqu'à Châtelet et se rendit à pied à la P. J. On lui indiqua le bureau de Desnos et il dut attendre une bonne demi-heure dans le couloir. Miel vit sortir une des femmes de l'arrêt de bus. Elle lui fit un sourire comme s’ils étaient de vieilles connaissances. Desnos le fit entrer dans son bureau, c'était un homme d'environ trente-cinq ans, assez mince. Il arborait une coupe de cheveux à la B. H. L, ce qui énerva prodigieusement Miel. Le flic avait plus l'air d'un snobinard habitué de la Closerie des Lilas que celui d'un flic. Mais le père Miel rectifia sa pensée en se disant que l'on ne doit pas faire confiance aux apparences, surtout chez les flics ; il se souvenait d'avoir un jour été arrêté au cours d'une manif interdite par un flic qui avait, à contrario, une tête de hippie.

Deux autres flics occupaient le bureau, assez vaste, Miel se dit qu'ils devaient bien être au moins quatre à cohabiter dans cet espace. Desnos fit les présentations :

- Je suis l'inspecteur principal Desnos et voici l'inspecteur Nédélec et l'enquêteur Fabre. Je suis chargé de l'enquête sur la rue Oberkampf, installez-vous s'il vous plaît ! Le flic lui sera la main et passa dans le bureau d'à-côté. Miel se dit qu'il travaillait comme son acupuncteur : sur deux patients en même temps.

L'inspecteur Nédélec qui n'avait pas prononcé une parole, le nez dans ses papiers pendant tout l'entretien, leva les yeux sur Miel quand Desnos sortit, il croisa le regard de Miel qui ressenti quelque chose d'indéfinissable et de pas agréable. C'était peut-être sa tronche d'ancien para, la tête presque rasée, à peine un mm de cheveux sur le caillou et un regard digne d'un SS. Miel pensa que décidément il n'aimait pas cette engeance et que les poulets n'étaient vraiment pas de son monde. Il essaya de mettre toute son attention dans la déposition. Le regard de l'autre flic était comme une hache pendue au-dessus de sa tête et qui allait lui fracasser le crâne à la première connerie.


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1 commentaire

Mylena

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Il y a 5 ans

J'aime beaucoup Michel ! Est-ce qu'il y a des éléments où des situations autobiographiques ? 😊Déjà le nom Miel😁
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