Fyctia
Un intermittent dans la ville
1-
Miel traînait à l’A.N.P.E. du spectacle, allant de panneau en panneau. Que de la merde sur ces putains de panneaux, rien de vraiment consistant à se mettre sous la dent, pas le moindre petit morceau de figu ou de hallebardier et pourtant... il en était presque content, le con, traînant une flemme plutôt chronique et de la taille d'un rôle à Dipardiou, le grand acteur polyvalent de la décennie.
Le Miel, quand il était dans cet état là, la crise d'écriture, car on est en écriture comme l'animal est en rut, il n'aimait pas avoir à goupiller autre chose, même du lucratif. Pourtant vu l'état plus que désastreux de ses finances, {vain dieu le bel euphémisme !} il aurait dû se chercher illico une activité quelconque mais au moins alimentaire, pas comme la connerie d'écrire une pièce de théâtre que personne ne lirait. Refaire Miel était aussi prétentieux que vouloir changer la conscience de Le Pen.
Quand on est blaireau, on reste blaireau ! Il préférait écrire plutôt que de courir les boites de prod à la recherche d'un petit rôle minable dans un film de merde qui lui aurait rapporté les quelques sous qui lui manquaient. Il était abonné aux débuts de mois difficiles, la star de l’économie précaire. Il lui arrivait souvent de passer quinze jours avec cinquante francs. C'est redoutable comme on peut claquer mille balles dans la journée et n'avoir même pas un kilo de nouilles d'avance et, paradoxalement, comment le dernier fafiot de cinquante dure une éternité et c'est long quinze jours de Miel sans un !
Miel était son vrai prénom, Beausoleil son vrai nom aussi. Pas de la tarte de se traîner un blaze pareil !
Combien d'abrutis lui avaient demandé en ricanant si c'était son vrai nom ou son nom d'artiste ? Il ne saurait le dire, peut-être des centaines, les couillons sont légions depuis la nuit des temps !
Il était artiste, le bougre, tout du moins comédien ou plus exactement “chômeur chronique ” à la recherche d'un emploi, le minimum : un rôle payé. Quand il pensait “payé ”, ce n'était même pas “bien payé ”, juste de quoi avoir le nombre de cachets pour être intermittent du spectacle et surtout avoir la certitude de pouvoir bouffer en continuant d'écrire un maximum !
Vain dieu, c'était vraiment ça son truc : écrire !
Bien sûr, personne n'y croyait. Pour le moment se disait Miel, mais ça viendra un jour, Beckett avait publié sa première pièce à plus de quarante-cinq balais ! C'était justement son âge et lui, il avait écrit déjà huit pièces, jamais jouées les mecs, d'accord ! Alors vous pensez : publiées ! On n'en parle pas, vaut mieux pour tout le monde !
Une grosse dinde du service figuration dormait derrière son ordinateur, attendant les prétendants éventuels à un rôle de passant débonnaire et jamais vu dans le dernier navet en cours, le cinéma français existe un maximum !
Il pensa judicieusement qu'il ne valait mieux pas la réveiller, sentant bien qu'il pourrait prendre une colère qui l'aurait définitivement grillé auprès de ce genre de larve parfois incontournable, tu sais quand il te manque un papelard pour toucher tes deux-mille derniers balles !
Il ressortit de l’agence en silence, se disant qu'elle avait, l’agence, au moins le mérite de salarier une vingtaine, voire plus, de ces larves qu'il était obligé de côtoyer mensuellement. Il pensa que le pointage était ses menstrues et le contact périodique lui parut encore plus puant.
- Oh ! Et puis, après tout se dit Miel, un travail n'est fait que pour une seule chose : encaisser son chèque de fin de mois, le reste n'est que turpitudes et relations sociales avec lesquelles il faut composer pour continuer d'exister !
Se retrouvant sur le trottoir, il hésita un moment : à gauche le métro République ou à droite l'arrêt du 96 !
Il opta pour la droite et le bus, c’était un beau jour de mai et le marché du boulevard Richard Lenoir lui changerait les idées, ça semblait plus bandant que le métro puant.
Il traversa le boulevard en flânant, "Libé" a la main, et se rendit à l'angle de Richard Lenoir et de la rue Oberkampf. Le marché étalait ses bancs le long du terre-plein central et bruissait de l’activité des vendeurs. Miel faillit s’arrêter pour faire quelques emplettes mais il était encore un peu tôt pour avoir des prix bradés et il n’avait plus des masses de fric pour finir le mois. Il continua son chemin jusqu’à l’arrêt du 96.
Deux mémés et une jeune femme attendaient le bus, il se joignit au groupe. Au bout de dix minutes, le bus ne venant toujours pas, il déplia son journal et s'installa sous l’Abribus. D'autres gens arrivèrent et Miel se rapprocha du trottoir en prévision de sa montée dans le bus nommé attendu. Il voulait être le premier pour bénéficier d'une place assise vu qu'il allait jusqu'à la Porte des Lilas, au terminus. Il habitait en haut de la rue de Belleville et la grimpée durait un moment.
Le bus ne pointant toujours pas son museau plat, une femme lui demanda s’il attendait depuis longtemps.
Il expliqua à l'impatiente que le 96, passant par le Marais le matin, il se trouvait souvent coincé, surtout dans les petites rues qui se situent avant la rue de Turenne, par des camions en livraison ou des voitures en double file. La dame était charmante et Miel lui fit un bout de conversation sur l'inutilité des voitures et l'avantage pour la collectivité des transports en commun. Comme ses propos n’avaient pas l'air de passionner l’impatiente, Miel replongea dans Libé. L'article sur le théâtre en Albanie, de J-P Thibaudat, le mit en rogne. Il pensait que le plumitif devrait plutôt s'intéresser au théâtre en France, théâtre qui en ce moment dégustait un maximum à cause des restrictions budgétaires et de la valse des responsables. Valse orchestrée par une belle ribambelle d'irresponsables [tous]bons à rien ou pas grand chose et qui ne connaissaient vraisemblablement rien au théâtre.
Il était profondément installé dans ses réflexions politico-théâtrales, quand une fantastique et imprévisible bousculade se produisit dans le groupe de badauds attendant avec lui.
Miel ne comprit pas de suite ce qui se passait, il recula subitement pour éviter la mamie qui se jetait sur lui en laissant tomber son journal.
Il n'aurait jamais dû reculer comme un con, il n'aurait jamais dû se trouver là, il n’aurait jamais dû… bref ! Tout ça il s'en aperçut mais que quelque temps après. Il était vachement trop tard.
11 commentaires
Yasorg
-
Il y a 5 ans
Julia Boutteville
-
Il y a 5 ans
Michbonj
-
Il y a 5 ans
Alec Krynn
-
Il y a 5 ans
ja-lil
-
Il y a 5 ans
Michbonj
-
Il y a 5 ans
Alain Leclerc
-
Il y a 5 ans
Michbonj
-
Il y a 5 ans
Cynemoon Inkepolis
-
Il y a 5 ans
Michbonj
-
Il y a 5 ans