5. Désobéir

C’était après son cours de musique, en fin de journée, que Mérytamon remonta dans sa chambre. Heureuse de son prochain départ, mais aussi triste de savoir que bientôt, sa liberté lui échapperait.

Lorsqu’elle arriva dans sa chambre, elle vit Abina, sa fidèle nourrice préparer les malles. Elle sourit en la voyant parler toute seule, se listant à voix haute les choses à ne pas oublier. Remarquant la présence de la princesse, Abina se releva précipitamment.

       —Princesse, enfin, vous êtes là. Il faut que vous vous dépêchiez. Le spectacle va bientôt avoir lieu, dit-elle en levant les bras au ciel et en se précipitant sur une magnifique robe blanche qu’elle lui avait préparé.

Mérytamon laissa donc les mains expertes de la nourrice s’occuper d’elle. Abina la lava, la sécha, la coiffa et l’enveloppa dans un linge de lin doux pour ne pas qu’elle prenne froid. Elle lui proposa une chaise pour pouvoir lui natter ses cheveux. Mérytamon s’installa tout juste lorsque Bentanah, sa sœur aînée fit son entrée. Elle portait à l’intérieur de son bras une robe soyeuse de couleur rouge. Toujours aussi pimpante et distinguée, elle portait à la perfection une robe au drapé soyeux de couleur verte, sa poitrine, sculptée à la perfection était mise en valeur. Elle portait sur ses longs cheveux sombre une magnifique tiare sertie d’émeraudes.

A cette vue, le visage de Mérytamon se ferma, plus de sourire et une question dans son esprit :

 Que lui voulait-elle encore ?  

Car Mérytamon savait que ce n’était pas par courtoisie qu’elle était venue, mais pour lâcher son venin sur elle, une nouvelle fois.

Bentanah, la fille de Ramsès II et d’Isis-Nofret, la toute première des enfants du grand pharaon, celle qui avait scellé le destin de sa mère dans la vie du pharaon. Les deux femmes qui partageaient sa vie : Isis Nofret, la promise et Néfertari, le coup de foudre, étaient tombées enceintes à peu près en même temps, mais Néfertari mit au monde un garçon. Ce qu’Isis-Nofret n’avait pas fait. Le message était donc clair : les dieux avaient choisi Néfertari, le coup de foudre de Ramsès et Isis-Nofret dû s’incliner. Bentanah, malgré elle, avait vu le chagrin de sa mère, sa souffrance et même si elle n’avait pas tout compris, elle en voulait à la grande épouse royale. Et qui de mieux que la « petite princesse » pour subir cette colère.

De plus, c’était la préférée, celle qui avait eu le privilège de vivre auprès du pharaon. Certes, elle était faible, mais pourquoi elle et pas les autres. Bentanah aimait tant son père. Elle était si jalouse de sa demi-sœur. Alors, Mérytamon était devenue la bouc-émissaire. Très vite, Bentanah avait réussi à monter ses sœurs contre elle, Néfertari II, Baketmout mais aussi sa jeune demi sœur : Isis Nofret II. Mérytamon se trouva vite isolée, dans les murs de ce harem royal, mais sa solitude n’était pas une punition pour elle. Au contraire, elle faisait partie de son être. 

Bentanah la détailla du pied à la tête. Plus elle gagnait en âge, plus elle ressemblait à sa mère et cela la révulsait. Ramsès l’apprécierait davantage et cela la mettait en rage.

       —Que veux-tu, Bentanah ? lui demanda Mérytamon sur un ton solennel et en tournant son regard vers le miroir qui lui faisait face.

       —Mère te fait parvenir une robe. Tu te dois de la mettre, lui ordonna-t-elle sèchement.

       —J’en ai déjà une, mais tu la remercieras de ma part ! répondit la jeune fille en interrompant sa sœur ainée.

       —Oh, tu n’as pas bien compris, petite princesse. Cette robe, tu te DOIS de la mettre à la soirée. Ce n’est pas une proposition, mais un ordre ! lui répond-elle, en lui jetant la robe à la figure sur un ton mielleux.

Abina se recula. Même si cette attitude la révulsait, elle ne pouvait rien faire, au risque de perdre sa place. Mérytamon prit la robe, la détailla :

Elle a choisi, le rouge, cette couleur que je n’aime pas. Elle le savait pourtant. Cette couleur est celle du sang, la couleur de Seth, ce Dieu qui me terrifie. C’est lui que je vois, lorsque je suis malade et que les cauchemars m’envahissent. Elle jubile, elle pense que je vais la porter, elle se trompe. 

       —Tu ne veux pas froisser la supérieure du harem, n’est-ce pas ? ajouta Bentanah, en s’approchant d’elle.

Mérytamon toucha l’étoffe, le cœur battant. Elle avait envie d’exploser, mais la bienséance le lui interdisait.

       —Elle vient d’un des plus grands ateliers de Pi-Ramsès, les meilleures tisserandes l’ont tissée en l’honneur de la princesse Néfertari II, pour fêter son mariage, mais elle est un peu trop étroite. Elle t’ira comme un gant, tu es taillée comme une carpe, donc… ce sera parfait, ajouta-t-elle d’un ton moqueur et en détaillant sa demi sœur méchamment.

Mérytamon se pinça les lèvres. Elle se devait de lui obéir. L’ordre venait de la supérieure, mais cette robe, elle ne l’avait pas choisie. Elle repensa aux paroles de sa mère, elle ne devait pas se laisser faire. Et ce soir, elle ne céderait pas, mais ne voulant pas créer d’esclandre et désirant la voir partir au plus vite, elle lança dans les airs :

       —Je vais la mettre !

       —Parfait ! répondit Bentanah en se frottant les mains.

Elle lui tourna le dos, prête à partir, mais s’arrêta un instant 

       —Au fait, félicitations pour ton prochain mariage. Cette robe te mettra en valeur, un bon et gentil mari fera de toi, une femme. Et quelle heureuse nouvelle de te voir partir, la princesse contemplative, l’inutile… Bonne soirée, petite sœur ! ajouta-t-elle sur un ton méprisant.

Mérytamon croisa le regard bleu gris de Bentanah. Elle ne comprenait pas pourquoi elle la détestait autant, mais elle ne s’en offusqua plus, même si cela la touchait sur le moment. La porte claqua, Mérytamon scruta encore la robe lorsqu’Abina réapparut 

       —Tout va bien, princesse ?

       —Oui, Abina. Mets-moi la robe blanche et range celle-ci ! Lui demanda-t-elle en ne montrant aucune de ses émotions. 

Abina ne se le fit pas répéter et obéit à la jeune princesse.