Fyctia

Je suis jetée sur le côté au moment où le coup part. La vitre de derrière se brise et un corps me recouvre pour me protéger des débris.

- Harry !

- Je vais bien, bougonne-t-il.

La tache sombre qui s’étend depuis son épaule me prouve le contraire.

- On doit…

Il se redresse subitement et se jette sur Greg. Des bruits de lutte retentissent. Je tente de me lever mais un coup de feu éclate à nouveau. Je pousse un cri et me roule en boule, la tête rentrée dans les genoux. Mon corps tremble de toute part. Des pas étouffés se rapprochent et des mains m’agrippent. Je me débats jusqu’à entendre la voix d’Harry.

- Calme-toi, c’est moi ! Viens !

Il me relève, attrape les plans sur le bureau et me conduit hors de la pièce. J’ai tout juste le temps d’apercevoir Greg reprendre connaissance et chercher à nous suivre en boitant.

- Ily !

Nous nous élançons à toute allure, suivis par ses pas qui se répercute dans l’étage silencieux.

- Ah !

Une douleur m’élance dans la cheville et me fait trébucher contre Harry. Il passe un bras autour de ma taille pour m’aider à atteindre l’ascenseur.

- Treizième étage !, ordonne-t-il à la cabine.

- Non, non ! Rez-de-chaussée !

- Greg a dit qu’il avait dû faire des démonstrations au Conseil d’administration. C’est à cet étage que sont les phases de test. C’est là-bas qu’est la machine !

- On ira plus tard ! Il faut d’abord qu’on parte d’ici ! Allez voir la police !

- Ne sois pas naïve, Ily ! On parle d’un contrat avec l’armée ! Avec le gouvernement ! Tu crois vraiment qu'ils arrêteront Greg plutôt que nous ? La seule solution, c’est de brûler ses papiers et détruire la machine. Avant ça… On te ramène chez toi.

Les portes s’ouvrent sur un espace comportant une multitude de salles encombrées de matériels et séparées par des parois en verre.

- Plus qu’à trouver la bonne…, soupire Harry en avançant.

- Alors c’est possible ? Me renvoyer chez moi ?

- Toutes les lois physiques sont réversibles. En théorie.

- J’en ai marre de tes théories…

- Malheureusement, c’est le b.a.-ba de la science ! Ta présence ici est une erreur. Le Greg de ton monde n’a pas dû anticiper que tu utiliserais le Memories Hunter en même temps qu’il lancerait son expérience.

- Tu travailles dessus en secret depuis des années, je ne pense même pas qu’il en connaisse l’existence !

- C’est celle-là !

Il pointe du doigt une salle tout au fond.

- Comment tu peux en être sûr ?

- C’est la seule dont les cloisons sont occultées. La décohérence est accélérée par l’interaction avec l’environnement. En isolant la salle, on peut la ralentir.

- On actionne la machine et ensuite quoi ?

- On envoie ton esprit là où tout a changé.

- Mon 16e anniversaire ?

- Oui. On ralentit la décohérence quand ton père fait sa crise cardiaque. Ça va dilater la frontière entre les différentes versions de toi-même et te permettre de te réveiller dans ton monde.

- Elle s’est produite dans la soirée, aux alentours de 21 heures.

- Ce sera ton créneau. Tout ce qui se produira avant ne sera que dans ton souvenir ou ton imagination si tu t’amuses encore à jouer avec.

- Très drôle. Et si rien ne se passe à 21 heures ? Si je suis encore coincée dans le passé de cette "Ily" ?

Il se pince les lèvres et me regarde gravement :

- Étant donné que le point de dispersion est la mort de ton père…

Un coup de feu suivit par l’explosion de la vitre sur notre gauche nous surprend.

- Vous n’auriez pas dû venir ici !, hurle Greg.

- Merde !

Harry me prend par la main et m’entraîne hors de son champ de mire. Un détonation supplémentaire projette une pluie de glace. Nous nous jetons à terre pour nous abriter sous un bureau, le souffle court.

- Qu’est-ce qu’on fait ?, je murmure, désespérée.

- On réfléchit à un plan.

- Super ! Ça lui laisse tout le temps de chercher ! J’en reviens pas que Greg veuille nous tuer !

- Je crois que c’est plutôt moi qu’il essaye d’expédier six pieds sous terre…

Des décombres craquent sous une semelle, nous informant de sa position de plus en plus rapprochée.

- Ily, sors de là ! Tu fais l’enfant !

- Moi ? C’est lui qui nous tire dessus comme des lapins !

- Je ne pense pas qu’il soit d’humeur rationnelle.

- On arrête de jouer ! Le processus est déjà en marche, Ily. Quant à toi Harry… On pourrait te faire travailler sur ce projet. Tu as toujours été un ingénieur de génie !

- Ça change tout, marmonne-t-il avant de se tourner vers moi. Je vais faire diversion. Pendant ce temps, tu fonces vers la salle et tu actionnes la machine.

- Je ne peux pas te laisser…

- Il le faut.

Il me regarde tristement et un pincement au cœur me fait hésiter. Seulement, il a raison. Je dois rentrer chez moi pour arrêter Greg. Si cette machine existe également là d’où je viens, je ne peux la laisser exister.

- Merci, je murmure en l’embrassant sur la joue.

Nous échangeons un dernier regard, puis il sort de notre cachette.

- J’accepte ton offre à condition d'avoir une sacrée augmentation !

Je prends ça pour un signal et me mets à courir.

- Ily !

Des grognements s'élèvent dans mon dos, puis de nouvelles détonations. Je me retourne en courant et distingue Harry maintenant le bras de Greg en l’air pour éviter ses balles. L’envie de lui venir en aide me tiraille mais les enjeux sont trop grands pour prendre le risque.

J’entre dans la salle et referme la porte. Le silence m’englobe alors qu’une lumière violette s’enclenche. De la mousse recouvre les murs pour isoler complètement la pièce. Je repère, au centre, le Memories Hunter. Sa forme est plus stylisée que le prototype qui m’a amené ici. Son casque, d’où s’échappent des centaines de fils, est relié à une monstruosité de métal dont je ne peux apercevoir tous les contours ainsi plongée dans l’obscurité. Un ordinateur sur le côté fait défiler des programmes.

- Dis-moi que c’est toi qui contrôles tout ça, je pris en m’approchant. Voyons voir ça… Isolation du sas ?

L’enclenchement des verrous claquent derrière moi.

- Okay. Passons à la suite ! Connexion entre les machines ?

Les composants du casque s’allument et un voyant vert clignote sur la bête tapie dans l’ombre.

- Okay. Puissance ?

Une turbine se met en route dans le fond.

- Okay. Date…

En tremblant, je presse les touches du clavier.

- Le 17 juillet 2011. 17 heures. Enclenchement du ralentissement de la décohérence quantique ? 21 heures.

La lumière du casque devient un peu plus vive et une boîte que je n’avais pas remarquée sur ma droite s’ouvre, libérant une seringue remplie d’un liquide jaune.

- Le millepertuis.

Je la prends entre mes doigts et jette un dernier regard vers la porte. Je sais que je ne peux pas attendre Harry. Pas au risque de voir Greg débarquer. Prenant une profonde inspiration, je plante l’aiguille dans ma cuisse en retenant un gémissement et m’installe sous le casque qui descend pour s’ajuster à ma taille.

Mes paupières s’alourdissent et l’obscurité m’envahit sous le vacarme de plus en plus présent de la machine.