Fyctia

- Contrat d’exclusivité pour la construction et la livraison d’une machine à ralentissement quantique auprès de l’armée.

Mes yeux parcourent les centaines de pages du contrat sans que rien n'ait de sens. Frustrée, je jette la pile sur le bureau. Un mécanisme s’enclenche et ouvre un fin interstice sur le bureau. Une plaque en verre en sort et affiche une page d’accueil. Un mot de passe est requis. Depuis le bas de l’écran, un discret faisceau lumineux projette un clavier. Je passe ma main à travers et les touches se reflètent.

- Pratique.

Je me mordille le pouce en tâchant de déterminer quel pourrait être mon mot de passe mais un seul me saute aux yeux. Le même que d’habitude.

- Espérons que tout ne soit pas différent… Nerium oleander, le nom latin du laurier-rose. Ah !

Je pousse un cri de victoire en levant les poings en l’air tel Rocky lorsque l’ordinateur se déverrouille. À partir de ce moment-là, impossible de mettre la main sur la souris.

- Ça fait cet effet d’être dépassé par la technologie…

Je tente d’appuyer sur l’écran avec mes ongles. Rien ne se passe. C’est encore plus frustrant quand le dossier mis en évidence en plein milieu s’intitule justement "contrat_armée". Je grogne en posant mes coudes sur la table et en enfouissant mon visage dans mes mains. Une inspiration plus tard, je reprends contenance et part à la recherche d’une solution. Alors que je parcours l’écran en large et en travers, je constate que la flèche suit mon regard.

- Woh.

Je suis si près que ma vision se trouble. Mes paupières clignent à plusieurs reprises et, comme par magie, le contenu du dossier se dévoile. Je saute sur mon siège et commence à comprendre le fonctionnement. Mes yeux sont la souris. Deux clignements pour sélectionner, un clin d’œil pour le clic droit.

De nombreux documents font surface.

- Machine quantique ? On travaille sur la physique quantique maintenant ! Pour l’armée ?

Je décide de faire une recherche internet pour en apprendre plus.

- Financement privé. Lobbying. Armement. Contrat avec le gouvernement. Souveraineté nationale. Où sont les recherches biomédicales ?

Un nouvel article attire mon attention où le visage de celui qui partage apparemment ma vie offre un sourire d’une blancheur glaçante.

- Greg Monnier rejoint après ses études d’ingénieur la firme de son père qui connaît une révolution industrielle et technologique. Bien que le jeune surdoué fasse preuve de modestie dans sa part de responsabilité, il ne fait aucun doute que Gremont & Monnier soit entrée dans une ère nouvelle et se place comme leader dans le progrès technologique à la suite de sa nomination en tant que chef de projet. Son association avec nos forces militaires sera, à n’en pas douter, un élément-clé dans notre victoire contre le terrorisme et saura nous placer comme dirigeant mondial.

J’écarte les mains et quitte doucement ma chaise à roulettes, à croire qu’un geste brusque pourrait faire exploser toutes les absurdités que je viens de lire. Les valeurs de la société à qui j’ai consacré tant d’heures et de sueur sont introuvables.

- On aide les gens. On ne les tue pas… Ressaisis-toi, Ily !

Je fais les cent pas tandis que la panique monte. Tout est si étrange et similaire en même temps.

- Il faut que je parle à quelqu’un. Il me faut… Harry !

Je sors en trombe de mon bureau et cours dans le couloir jusqu’à l’ascenseur.

- Rez-de-chaussée, j’ordonne à la cabine à peine les portes ouvertes.

Mes pas sont rapides pour ne pas alerter les employés qui grouillent dans le hall même si le claquement de mes talons me donne l’impression d’avoir un projecteur braqué sur moi. Après un rapide regard pour vérifier que personne ne me remarque, je passe la porte qui mène au monte-charge. Je ne saurais exprimer le soulagement qui me prend en le découvrant à sa place habituelle. Le grésillement des néons, la fuite des tuyaux et les graviers sous mes pieds n’ont jamais été si doux à mes oreilles.

Je descends dans les entrailles de l’immeuble et trouve sans peine le laboratoire caché à l’intérieur. Les mêmes bâches en plastique en floutent l’intérieur. Je les écarte et remarque immédiatement la silhouette de dos devant une énorme construction métallique.

- Harry ?

Ma voix est pleine d’une détresse ancrée en moi depuis que je me suis réveillée ici. Il se fige et se retourne lentement en fronçant les sourcils. Je ne résiste pas à l’envie de le prendre dans mes bras mais, de son point de vue, cela doit plutôt s’apparenter à un fauve qui se jette sur sa proie. J’ai à peine le temps de savourer le bonheur de le retrouver qu’il m’empoigne par les bras pour s’écarter.

- Ily… Qu’est-ce que tu fais ?

- Je commence par où ?