Fyctia
Épisode 1 - Chapitre 3
Mes baskets couinent sur le carrelage du hall déserté. Une porte dérobée au fond mène à un local technique. Le blanc laisse place au béton brut. Les néons grésillants éclairent mes pas jusqu’au monte-charge qui doit m’emmener dans les entrailles de l’immeuble. Je relève sa grille et appuie sur le seul bouton. La cabine se met en branle et s’arrête dans un fracas métallique qui se réverbère dans l’immense espace qui s’ouvre à moi.
Harry aime la tranquillité pour travailler. Son cerveau a besoin du moins de distraction possible pour ne pas laisser s’échapper les centaines d’idées qui le parcourent. Son père était l’un des premiers ingénieurs à travailler ici avec le mien et celui de Greg. Comme ils passaient tout leur temps ensemble, nous aussi.
Je m’avance, confiante, dans ce labyrinthe qui empêche les curieux de s’y aventurer. Harry m’a appris à m’y repérer. Je suis la seule, avec Greg, à en connaître le chemin.
Mes chaussures crissent sous les graviers qui parsèment le sol tandis que la chute inexorable de gouttes d’eau s’échappant des tuyaux d’évacuation résonne comme un métronome dans ces lieux obscurs. Une légère lumière diffuse apparaît devant moi. J’écarte les bâches en plastique qui protège son cocon et découvre un Harry penché sur son travail. Pas un seul recoin de son terrain de jeu est libre. Des inventions de toutes les formes occupent chaque espace disponible. Je n’ai aucun doute qu’elles changeront la face du monde une fois terminées.
- Ah ! Te voilà !, m’accueille-t-il.
- Alors… Il est où ce cadeau ?
Il s’écarte et me présente une sorte de casque dont une myriade de fils s’échappe.
- Tada !
- Euh… Tu m’as construit un déguisement de Méduse ?
Mon sarcasme n’altère pas son enthousiasme. Il me tire par la main pour me rapprocher de cette chose.
- Ce que tu appelles un déguisement, j’y travaille depuis des années.
- Pas sur son apparence en tout cas…
- Je préfère donner du travail au service marketing.
- Charitable de ta part.
- Je sais. Maintenant, savoure ton cadeau !
- Je ne demande que ça. Encore faudrait-il que je sache ce que c’est…
Harry perd son regard taquin pour me fixer plus sérieusement en serrant mes mains dans les siennes.
- Ily… Je sais que c’est difficile pour toi de fêter ton anniversaire sans ton père. C’est pour ça que j’ai voulu te donner l’occasion de le revoir.
- Qu… Quoi ?
- Cette machine… Elle te permet de revivre un souvenir.
Je détache mon regard de mon brillant petit ami pour regarder d’un œil neuf cette montagne de technologie.
- Comment ?
- Grâce à toi. Ou à tes recherches plus précisément.
- Le millepertuis, je devine.
- Exactement ! Ses actifs sur le cerveau peuvent être dirigés vers l’hippocampe qui s’occupe de gérer la mémoire et raviver des connexions qui se sont estompées avec le temps.
- Harry… C’est…
- Génial ? Je sais. Je l’ai construite en pensant à toi mais, plus j’y travaillais, plus je voyais ses possibilités ! Soulager des patients avec des problèmes neurologiques ou ceux qui souffrent de stress post-traumatiques !
Voir Harry parler avec tant de ferveur d’un projet qui lui tient à cœur est l’un de mes spectacles favori. Sa passion et l’envie infinie d’aider les autres se reflètent dans ses yeux.
- Elle fonctionne ?
- Oui. Je la teste depuis des mois.
- Ah ! C’est pour ça qu’on a des problèmes de pics d’électricité avec la ville ?
Son air étonné me laisse penser que je ne suis pas aussi clairvoyante que je le pense.
- Cette machine n’utilise qu’une dose infime d’électricité pour ne pas endommager le cerveau.
- Oh… Il faut vraiment que j’en parle avec Greg quand j’arriverais à le joindre.
- Il travaille comme un dingue en ce moment.
- Je sais… Quel souvenir tu as visité, toi ?
- Tu es bien curieuse !
- Oui. Aurais-tu quelque chose à me cacher ?
Il rit nerveusement en se frottant la barbe.
- Si tu promets de ne pas te foutre de moi, je te le dis.
Je me pince les lèvres en hochant la tête, sentant déjà un rire poindre de le voir si gêné. Ils plissent les yeux, fixant les miens, avant de céder.
- Le 24 novembre 2009. Aux alentours de 15 h 44.
- C’est drôlement précis ! Et que s'est-il passé le 24 novembre à 15 h 44 ?
- Je suis tombé amoureux de toi, lâche-t-il en grimaçant.
Malgré moi, un éclat de rire m’échappe.
- J’étais sûr que tu allais te moquer !
- Pardon ! Pardon ! Continue, s’il te plaît ! Je veux savoir !
- Non ! T’as loupé ta chance !
- C’est mon anniversaire alors tu as intérêt à cracher le morceau, Harry Corlay !
- Tu joues petit…
- Rien à foutre !
- Très bien… On était ici. Enfin, au-dessus. Dans le hall. Toi, Greg et moi. L’école était fermée parce que j’avais accidentellement fait exploser une batterie de lithium en cours.
- Je crois me souvenir que ce n’était pas tant un accident que ça…
Il rit, embarrassé, et avoue :
- Greg ne voulait pas faire son exposé sur la reproduction des crustacés. Je l’ai aidé.
- Quel idiot !
- C’est aussi ce que mon père a dit ! Il m’a forcé à l’accompagner au bureau. Il devait régler une affaire avec ton père et Sylvain. J’étais énervé d’être forcé à l’attendre alors je suis retourné dans le hall avec l’idée de me barrer et…
- Et ?
- Et je t’ai vu. Au milieu de tout ce blanc. Tu étais à quatre pattes dans la terre du jardin intérieur que tu avais obligé ton père à installer en plein milieu. Je ne voyais que toi. Ensuite, j’ai entendu l’eau de la fontaine et le léger courant d’air qui faisait s’agiter les feuilles du laurier à chaque rotation du tourniquet. Ma colère s’est envolée. Mes idées étaient claires. Un calme au milieu d’une fourmilière. Et toi. C’est l’effet que tu as sur moi depuis ce jour.
Il murmure ces derniers mots en me regardant avec tellement d’intensité que la chair de poule s’empare de moi. Il détourne finalement les yeux en se raclant la gorge.
- Ensuite, Greg à débarqué en me bousculant. Il a piétiné une des fleurs dont tu t’occupais comme le crétin qu’il était à l’époque…
- Qu’il est toujours.
- Tu l’as engueulé et, ensuite, tu m’as regardé en souriant. Derrière toi, il y avait une énorme horloge.
- 15 h 44.
- C’est ça.
- Je ne savais pas que tu étais amoureux de moi depuis aussi longtemps.
- C’était plutôt évident pourtant… Alors, tu veux l’utiliser ?
- Carrément !
Harry m’installe sur une chaise, pose le casque sur ma tête et prend une seringue.
- C’est le composant de millepertuis sur lequel tu travailles. Je n’utilise qu’une dose légère pour l’instant alors ne va pas trop loin dans tes souvenirs.
- Une soirée il y a 10 ans, c’est bon ?, je demande le souffle court.
Il redresse vivement la tête.
- Tu es sûr ?
- Certaine.
- Okay… Tu risques d’être désorientée en revenant à toi mais je serais juste à côté.
J’acquiesce en sentant mes yeux papillonner et mon esprit s’échapper.
- Concentre-toi sur ton souvenir, me souffle la voix de plus en plus lointaine d’Harry.
Ma vision s’obscurcit alors que les néons de la pièce se mettent à clignoter.
11 commentaires
Lyaminh
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Il y a 4 ans
Thylia Andwell
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Il y a 4 ans
Océane Ginot
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Il y a 4 ans
Thylia Andwell
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