Catherine Domin même pas en rêve Chapitre 21 - Carpe diem

Chapitre 21 - Carpe diem

Elle :


Samedi 23 mars 2023


C’était écrit ! cela devait se produire. Un homme, une femme, sur une plage normande, près de Deauville, comme dans un film de Claude Lelouch sorti en 1966.


« Comme nos voix, daba daba da, daba daba da

Chantent tout bas, daba daba da, daba daba da

Nos cœurs y voient, daba daba da, daba daba da

Comme une chance, comme un espoir… »


Cette chanson, maintes fois entendue à la radio pendant mon enfance, me revient en mémoire et me poursuit depuis hier soir.


Je ne pensais jamais tomber un jour dans ce piège et recevoir la flèche de Cupidon. Mais voilà. J’ai attendu d’avoir soixante ans pour avoir le cœur transpercé. En espérant que je n’en sortirai pas meurtrie.


C’était sûr que Bruno Letellier avait prémédité cette rencontre. Sous couvert d’une enquête policière, il m’avait attirée dans ce joyeux guêpier, et je m’y suis laissée prendre. Et je dois dire, en toute honnêteté, c’est parce que je le voulais bien. J’aurais pu dire « non » ou « stop » dès le départ. Je savais bien que cela finirait comme ça. C’était écrit depuis le premier jour. N’y croyant pas au départ, nous avons tous les deux essayé d’y résister tant bien que mal, chacun de notre côté, et puis…


Quand j’y pense, notre histoire s’est présentée comme une résurrection pour tous les deux. Nous sommes revenus à la vie, une vie sentimentale. Bruno, après un veuvage difficile qui l’avait plongé dans une léthargie émotionnelle, et moi, vivant dans un désert affectif depuis quarante années.


Rembobinons le film d’hier et revoyons les scènes qui ont suivi la séquence de la plage.

En fin d’après-midi, nous étions revenus à l’hôtel, trempés comme des soupes. Nous avions demandé nos clefs au réceptionniste, étonné que l’on puisse sortir, sans parapluie, par un temps pareil.


Arrivée dans la chambre, je me suis déshabillée et après avoir étendu mon blouson sur un cintre puis suspendu à la poignée de la fenêtre pour le faire sécher, puis étalé mon pantalon humide sur une chaise, j’ai pris une douche bien chaude pour me revigorer et j’y suis restée longtemps.


Le feu intérieur qui me brulait a mis bien du temps à s’éteindre. Jamais je n’avais ressenti cela depuis mon adolescence lorsque certains garçons le déclenchaient. Mais j’étais trop timide pour les aborder, et surtout… très moche ! Une grande bringue maigrichonne portant des appareils pour redresser les dents. Pas de quoi donner confiance en vous. Avec le temps, mon physique s’est quelque peu amélioré, mais ma timidité, non ! Les nombreux quolibets que j’avais reçus m’ont marquée à jamais et m’ont rendue quelque peu agressive.


J’étais rhabillée et étais en train de me recoiffer quand j’entendis doucement toquer à la porte de communication. Je l’ai ouverte, et je ne l’ai jamais plus refermée à clef depuis.

Il était là, hésitant un peu, et je l’ai trouvé encore plus touchant. Nous sommes descendus ensuite dans la salle à manger.


Nous sommes restés silencieux au début du repas. Il me regardait de temps à autre, comme s’il attendait un assentiment quelconque de ma part pour commencer à parler.

Au bout d’un moment, n’y tenant plus, j’ai mis ma main sur la sienne et je l’ai regardé dans les yeux.

— Ne vous fustigez pas. Tout ceci devait arriver un jour ou l’autre. Entre un homme et une femme qui se plaisent, c’est normal !

— « Fustigez », Comme c’est joliment dit ! On voit que vous êtes une littéraire. Mais alors, finalement, je vous plais ?


Quoi, il doute encore ?


— Bien entendu ! Sinon, vous me connaissez, je me serais défendue. Je vous aurais sûrement giflé. Mais je dois reconnaître que je ne vous ai pas aimé tout de suite. Vous étiez si agaçant avec vos airs supérieurs d’ancien flic, et vous me traitiez comme une idiote. Mais, vous connaissant mieux, j’ai vu combien vous étiez gentil sous votre carapace et je me suis attachée à vous, et j’ai fini par vous trouver séduisant. Et puis, vous avoir côtoyé m’a fait connaître votre façon de vivre, qui est assez compatible avec la mienne.


— Je suis désolé de vous avoir blessée. Sachez que je ne vous ai jamais prise pour une idiote. Et c’est vrai, votre côté « suffragette » et « je me mêle de tout » m’agaçait un peu. J’aimais vous taquiner seulement à cause de cela. Cependant, je me suis aussi attaché à vous… et j’ai fini par tomber amoureux. J’ai d’abord lutté contre mes sentiments, mais à quoi bon…


— Tout comme pour moi. C’était écrit, mais je ne sais pas si notre histoire va pouvoir continuer…


— Pourquoi ne continuerait-elle pas, notre histoire ? Vous savez que vous êtes agaçante parfois ! Vous partez perdante dès le départ. Et vous savez maintenant que j'ai du sentiment pour vous. Et je suis sûr que c’est réciproque. Alors, pourquoi hésiter ? Qu’est-ce qu’il vous faut de plus ? Que je me jette à vos pieds ?


Le ton de sa voix était monté et les gens commençaient à nous regarder. Jetant un regard autour de lui, il s’est ensuite calmé, puis a gardé le silence pendant quelques secondes.


— Ecoutez, a-t-il repris plus doucement, nous avons tous les deux dépassé la soixantaine. Nous n’avons que quelques années à vivre avant que nos corps ne soient complètement décatis. Mais le temps passe vite, Alice. Alors, c’est notre dernière chance avant que nous ne rendions les armes. Réfléchissez ! Vous m’avez permis de revenir à la vie, alors, moi aussi, je vais vous ressusciter ! Que vous le vouliez ou non !


Des expressions comme « Carpe Diem » qui veut dire « cueille la vie », ou le poème de Pierre de Ronsard « Mignonne, allons voir si la rose » me sont revenus en mémoire. Ce poète du XVIème siècle dépeignait ainsi la fragilité tragique du temps qui passe. Comme la rose qui dure si peu et se flétrit. Le temps est assassin, comme l’aurait dit Véronique Sanson.


Bruno avait raison. Il était temps que je me décide. Je me suis donné une nuit pour réfléchir.


Lorsque nous avons regagné nos chambres, il a ajouté, avant d’entrer dans la sienne :


— Ne vous inquiétez pas, je ne vais pas vous sauter dessus, je ne suis pas du genre à coucher dès le premier soir. Nous allons prendre le temps de bien nous connaître avant de sauter le pas. Et, comme vous l’avez déjà constaté, je suis partisan de la lenteur.


Il prit ma main et la baisa. Puis il m’a souhaité une bonne nuit avant de fermer sa porte. Tant de délicatesse de sa part a achevé de me bouleverser.


Ce soir-là, je n’ai pas fermé la porte de communication à clef. Et je n’ai pas fermé l’œil de la nuit non plus. Je me suis retournée dans mon lit sans cesse, sans trouver le sommeil.


Ce baiser sur la plage, ce baise-main, tout cela pourrait paraître un peu mièvre pour des jeunes qui eux, n’iraient pas par quatre chemins. Hop ! Tout de suite au lit ! Mais nous deux, nous étions finalement d’incurables romantiques.


Ce matin, j’ai pris ma décision. Ce sera « oui ». « Oui » à la vie, « oui » à l’amour. C’était surement la dernière chance de ma vie. Tant pis si j’y laisse des plumes. Qui ne tente rien, n’a rien, et puis, le temps passe si vite…



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6 commentaires

Gwenaële Le Moignic

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Il y a un an

👍😎🥰 belle soirée !!!

Catherine Domin

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Il y a un an

Merci beaucoup pour ton soutien. Pardon pour mon retard. Je n'étais pas connectée hier. Très belle journée

François Lamour

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Il y a un an

Like du "Connard romantique" 😁

Catherine Domin

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Il y a un an

Merci beaucoup et bonne chance pour le concours

Laryna

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Il y a un an

:)

Catherine Domin

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Il y a un an

Merci beaucoup et bonne chance pour le concours
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