Fyctia
Chapitre 22-Week-end pluvieux
Lui :
Samedi 23 mars 2023
J’avais pris beaucoup de risques en l’embrassant sur la plage. Mais finalement, j’ai bien fait. Je ne sais quel vent de folie nous avait poussés tous les deux à courir sur la grève, en nous faisant fouetter par le vent, les pans de nos vestes déployés comme des ailes. Et des ailes, je m’en sentis pousser quand elle s’est retrouvée projetée sur moi par le vent. Je n’ai pu résister. Tant pis, ça passe ou ça casse. C’était le moment ou jamais.
Et cela a passé. C’était un merveilleux moment, romantique à souhait, comme dans les films.
Mais Alice semble douter de la longévité de notre histoire, qui a à peine commencé. Elle part perdante dès le départ. Qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez elle ? Je crois que l’amour lui fait peur, le sentiment comme le côté physique.
Il faudra bien que nous fassions l’amour un jour ou l’autre. C’est inévitable ! Sinon, nous ne serons pas un vrai couple ! Et j’ai l’intention de former un vrai couple avec elle. L’amour platonique, cela va un moment, mais cela ne peut durer éternellement.
Je ne suis pas trop pressé et je ne veux pas la brusquer. A-t-elle peur que je me montre violent ? A-t-elle échaudée autrefois par un amant brutal ? Mais jamais je ne ferai de mal à qui que ce soit. Encore moins à Alice. Car je l’aime vraiment et je ne veux que son bonheur. Pas simplement parvenir à mes fins pour coucher avec elle, mais passer le reste de ma vie en sa compagnie.
Il faut que je la mette en confiance. Je prendrai le temps qu’il faudra pour l’apprivoiser. Il me faudra de la patience et de la douceur.
Cependant, il y a longtemps que je n’ai pas fait l’amour. Depuis que ma femme est tombée malade. Cela fait au moins cinq ans que je vis comme un moine. Cela ne m’a posé aucun problème car, par manque de sollicitation, ma libido s’est tarie. Et je n’avais vraiment pas la tête à cela. Mais, maintenant, cela va-t-il refonctionner ? Bien que je sois amoureux, je ne sais pas si cela sera suffisant. J’ai peur de la panne, de ne pas pouvoir assumer. Moi aussi, je peux avoir des défaillances, ce qui peut nous mettre sur un pied d’égalité tous les deux.
Mais pour l’instant, je suis sur un petit nuage. Je suis de nouveau amoureux et j’ai l’impression d’être revenu trente ans en arrière… Enfin, dans ma tête, parce que, bien que je sois assez sportif, mon corps me rappelle souvent que j’ai soixante et un ans, notamment mes lombaires qui me taquinent, sans parler de mes genoux. Je me suis probablement usé en courant après les malfrats de toutes sortes.
Alice a très peu dormi cette nuit. Et ce matin, elle n’était pas en forme. Alors, je l’ai laissée dormir et j’ai profité de cet instant de liberté pour marcher sur la plage et ensuite, écrire mon journal, sur mon cahier.
Nous sommes samedi et nous n’avons pas encore beaucoup avancé dans notre enquête. J’aimerais bien contacter le journaliste qui a écrit l’article et dont le nom apparaissait à la fin. Je vais tenter de le contacter pour en savoir plus.
J’ai appelé le journal Ouest France et ai demandé à lui parler. Par chance, il était présent et il a bien voulu nous recevoir, Alice et moi. Nous avons convenu d’un rendez-vous pour lundi matin. Nous serons encore là puisque, par précaution, j’ai réservé l’hôtel pour toute la semaine. Cela n’a pas posé de difficulté particulière puisque c’est la basse saison et que ce temps pas vraiment terrible de ce début de printemps a dissuadé les touristes de venir.
Nous avons le samedi et le dimanche pour profiter pleinement de cet endroit, en espérant que cela va s’améliorer.
Cet après-midi, nous avons eu des averses de grésil et de fugitives éclaircies. Alice s’était bien reposée. Prenant nos parapluies cette fois-ci, nous sommes partis nous promener au bord de la Touques. Bras dessus, bras dessous, comme deux amoureux. Puis, nous nous sommes arrêtés et, assis sur un banc, nous nous sommes embrassés sous le regard soit scandalisé, soit rieur, des passants. C’est vrai, deux séniors qui se bécotent comme de jeunes amoureux, ce n’est pas courant. Mais pourtant, pourquoi n’aurions-nous pas le droit à l’amour, nous aussi ? Ce n’est pas juste, il n’y en a que pour les jeunes. Et nous, les « séniors », il ne faut pas nous enterrer tout de suite. Nous avons encore une ou deux décennies à vivre.
Ce délicieux moment réitéré m’a fait sentir que la glace était définitivement rompue entre nous. Pourvu que cela dure, je croise les doigts. L’amour est si fragile. Et Alice semble l’être tout autant.
Elle :
Dimanche 24 mars 2024
J’ai mieux dormi que la nuit dernière, maintenant que ma décision était prise. Je n’y dérogerai pas. J’ai accepté le risque de connaître la souffrance. Celle-ci, comme la joie, sont inséparables de l’amour. Et je m’interroge sur cette peur. Celle d’être moquée ? trahie ? trompée ? brutalisée? D’où me vient donc cette crainte ?
Je sais d’où elle vient. Pour cela, je me dois de revenir dans le passé et évoquer des souvenirs pénibles, que je n’ai jamais osé confier à quiconque. Dois-je les lui raconter ?
Bien qu’il m’attire, je connais si peu Bruno. Cependant, ses sentiments semblent sincères. Je dois lui faire confiance.
Il faudra que je lui dise tout cela, le jour venu.
En attendant, j’ai passé la matinée à lire dans mon lit. Le temps qu’il fait ne nous incite pas à sortir.
Sombre dimanche ! Une pluie fine sous un ciel gris ne cesse de tomber, soufflée par un vent têtu qui refroidit la température et ne nous incite pas à sortir. Je n’ai pas envie de jouer dans le vent sur la plage comme l’autre jour. C’était drôle et nous avions eu de la chance de n’avoir pas attrapé froid. Mais recommencer, avec la chute des températures, s’avèrerait risqué. Et le ciel est tellement sombre que nous sommes obligés d’allumer la lumière constamment.
Pour passer le temps, nous avons emprunté des jeux de société à l’hôtel et nous avons squatté tout l’après-midi le salon réservé aux clients. C’est à cette occasion que j’ai découvert que Bruno était un très mauvais perdant, mais il était tellement touchant dans sa mauvaise foi enfantine.
Vivement lundi ! les prévisions météo que j’ai vues sur internet prédisent un temps nuageux et sans pluie. Et puis nous avons rendez-vous avec le journaliste pour notre enquête. Espérons que ce sera fructueux et que celle-ci deviendra palpitante.
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