Fyctia

Elle :

Mercredi 13 mars 2024

Une dizaine de jours se sont écoulés depuis le premier meurtre. Heureusement, les choses semblent s’être calmées et il n’y en a pas eu de nouveaux.

La police n’est pas revenue nous interroger à ce sujet. Le Capitaine Lavergne n’ a pas donné signe de vie.

Mais que fait la police alors ? avec les impôts qu’on paye !

Et j’habite toujours chez Letellier, qui a gentiment proposé de continuer à me loger. Enfin, gentiment… il a quand même lourdement insisté.

Après le passage de l’expert, j’avais préparé ma valise pour partir à l’hôtel, mon assurance prenant en charge les frais d’hébergement provisoire. Bien sûr, ce n’est que du provisoire, mais en attendant… en espérant que ce ne soit pas du « provisoire qui dure ».

J’en avais repéré un pas trop loin d’ici. Comme cela, je pourrais faire des allers-retours pour chercher de nouvelles affaires et les porter à la laverie au fur et à mesure de mes besoins.

Comme j’allais descendre vers ma voiture, chargée de ma grosse valise, j’ai croisé alors mon hébergeur dans l’escalier, qui remontait chez lui, sa baguette de pain à la main. Cela a donné lieu à un petit échange verbal, sous le regard condescendant de la femme du premier étage, celle qui croit que je veux lui voler son mari. Mais je n’ai cure de ce qu’elle peut penser, cette vieille chouette !

— Qu’est ce que vous faites avec votre valise ? Vous partez en vacances ?

Toujours le mot pour rire !

— Oui, je pars aux Bahamas ! Mais pas avec vous.

— Dommage ! C’est ballot ça !

Humm… Comment devrais-je le prendre ?

— Ne souhaitant pas squatter votre appartement jusqu’à la Saint-Glinglin, je déménage ! Et j’ai repéré un petit hôtel pas très loin,

— Un hôtel ? quel hôtel ?

— Un petit hôtel pas cher, place Jean Jaurès, vous savez, celui qui est au bout de l’avenue Carnot.

— Mais c’est un vrai boui-boui ! En plus, il y a un café en dessous et ils y font la noce tous les samedis soir. Je vous souhaite bien du courage ! Et puis…

— Et puis ?

— En tant que flic, j’ai dû souvent intervenir auprès des tenanciers et, croyez-moi, la clientèle, ce n’est pas de la crème ! Et aussi, gare aux punaises de lit !

— Ah ? dis-je interloquée.

Après avoir entendu ces arguments frappants, et voyant la tête qu’il faisait, je sentais que ma décision de loger là-bas commençait à s’effilocher quelque peu, comme un pull-over qui se détricote au fur et à mesure qu’on tire sur un fil.

— Ben oui, mais où voulez-vous que j’aille ? je n’ai pas les moyens d’aller au Ritz ni au Plazza Athénée !

— Eh bien ! Restez chez moi ! Elle ne vous plait pas, la chambre de ma fille ?

— Euh, si, bien que je trouve qu’il y a trop de nounours dedans.

— Eh bien, retirez-les, arrangez la place comme bon vous semblera.

— Vous êtes sûr ? Vous ne savez pas ce à quoi vous vous exposez !

— Justement ! c’est le moment pour moi d’augmenter mon champ de connaissances par une expérience nouvelle, afin de ne pas mourir idiot.

— Vous voulez donc m’étudier à la loupe ou me prendre comme cobaye ?

— Vous étudier à la loupe d’abord, car vous êtes un cas très intéressant, et ensuite comme cobaye si affinités.

Je ne savais toujours pas comment je devais comprendre cela, mais je continuai à lui répondre.

— Ravie de l’entendre ! et que voulez-vous dire par « intéressant » ?

— Vous êtes un cas pathologique de vieille fille psychorigide comme je n’en ai jamais vu ! Digne de figurer dans les annales.

— Ah ! Vous savez parler aux femmes, vous !

— Eh oui, bon, arrêtons cet enfantillage ! Allez ! Hop !

Il prit ma valise de force et la remonta jusque chez lui, malgré mes récriminations. Comment résister ?

Je vais donc rester chez lui et je crois finalement que cela me convient, bien que je ne voulais pas me l’avouer. Mais quand même ! Qu’avait-il en tête ? Me draguer ? Me séduire ? je n’en avais pas l’impression. Mais j’ai toujours ma bombe lacrymo, au cas où.

Après d’âpres négociations, dignes d’un traité de paix élaboré entre deux nations ennemies, nous avons convenu que je participerai aux frais de bouche. Il avait d’abord refusé, mais j’ai insisté. Je ne veux pas me faire nourrir à l’œil. Manquerait plus que ça ! Je ne suis pas une femme entretenue.

Et depuis, je suis devenue une sorte de colocataire. Nous menons nos vies séparément, je vais me promener de mon côté, et lui de l’autre. Chacun a ses propres activités.

Nous partageons nos soirées en tête à tête et discutons de tout et de rien, tout en nous contredisant souvent, car nous ne sommes d’accord sur rien, enfin… presque rien ! Un tout petit peu quand même.

Lui :

Mercredi 13 mars 2024

Elle m’énerve ! Qu’a-t-elle encore inventé? Voilà qu’elle veut jouer la fille de l’air, maintenant !

Je l’ai croisée dans les escaliers avec sa grosse valise. Heureusement, je l’ai arrêtée en route. Elle allait faire une énorme connerie.

Elle voulait aller dans un hôtel miteux que je connais malheureusement bien, plein de dealers et de types louches. Une femme comme elle dans cet hôtel borgne ! C’est se jeter dans la gueule du loup ! Je sais, elle joue les gros bras et claironne à tout bout de champ qu’elle sait se défendre. Et c’est vrai qu’elle semble sportive et assez bien conservée, et ne se laisse pas marcher sur les pieds. Mais quand même, je n’aime pas la savoir là-dedans.

Et puis, je dois me l’avouer, je commence à m’habituer à sa présence, à nos têtes à têtes houleux, à nos disputes qui ne sont pas de vraies disputes, mais plutôt des discussions animées. Elle est intelligente et intéressante dans son genre… et souvent drôle !

En fait, je l’aime bien, malgré son caractère et sa drôle de frimousse.

Attention ! je n’ai pas dit que j’étais amoureux d’elle, j’ai simplement dit que je l’aimais bien, c’est différent !

Bon allez, au lit ! Bonne nuit mon vieux !

... Finalement, je vais toquer à sa porte et lui souhaiter bonne nuit… je pense que cela lui fera plaisir.