Catherine Domin même pas en rêve Chapitre 1 - Elle

Chapitre 1 - Elle

Seule dans ma cuisine, je contemple la pluie par la fenêtre. Il pleut sans discontinuer depuis ce matin. Tant pis, je ne sortirai pas faire ma petite promenade de santé. Je n’ai pas envie de me mouiller les pieds, ni de faire sécher mon parapluie ou mon ciré dans ma salle de bains de trois mètres carrés. Ça met de l’eau partout.


Je regarde par la fenêtre. Les arbres dépouillés de leurs feuilles exhibent leurs troncs noirs recouverts de mousse, luisants sous la pluie. Le vent fait bouger leur branches, dont les extrémités ressemblent à des petites pattes griffues implorantes sous le ciel bas et gris. Elle donnent l’impression d’appeler de leurs vœux un petit peu de soleil, car cela fait deux semaines qu’il pleut sans discontinuer. Enfin presque !


O spleen, quand tu nous tiens ! j'aurais envie de dire. Mais ça fait quand même un peu "Baudelaire" non ?


Cet après-midi, la pluie tombe sans cesse et il fait sombre, même en plein après-midi. Des milliards de petites gouttes s’écrasent dans une grande flaque d’eau devant la porte de l’immeuble où j’habite et dont chaque impact s’élargit en petits ronds.


Je m’arrache à cette contemplation. J’ai du travail à faire. Du moins, je me le suis imposé. En fait, ce n’en est pas vraiment un. J’essaie d’écrire un roman d’amour.


Je suis une romancière de quatre sous qui écrit des histoires que personne ne lit. Une espèce de plumitive, une "écrivaillonne" du dimanche ! Mais peu m’importe. Cela met un peu de piment dans ma vie. Cela me permet de m'évader du quotidien.


Car ma vie, elle n’est pas folichonne, enfin, pas plus que celle des autres d’ailleurs. Métro, boulot, dodo pendant quarante ans. Et maintenant, c’est fini, et bien fini. La retraite a mis un terme à cette existence sans intérêt. Aussitôt libérée, je me suis mise à l’écriture, ma passion secrète, depuis l’adolescence, et que j’ai laissée tomber, faute de temps. Alors, j’écris. Parfois même la nuit, car je souffre d’insomnies depuis des années. Ça me change les idées. Et souvent, en me relisant, je ris des bêtises que j’inscris noir sur blanc. Il n’y a pas de mal à se faire du bien. Et il y a des drogues plus dangereuses.


Mais alors, que raconter dans ce nouveau roman ? J’écris souvent des histoires farfelues, des histoires policières, des romans d’aventures que je ne fais lire à personne. J’ai trop honte, et pourtant, c'est plus fort que moi.


Et puis, je ne peux pas raconter dans un roman ma vie dans un deux-pièces cuisine de banlieue. Ce ne serait pas très vendeur tout ça ! Après tout, personne ne s'intéresserait à une vieille fille qui vit dans cinquante mètres carrés. On imagine souvent des vieilles filles ratatinées vivant avec leurs chats. Un jour, on les retrouve desséchées, momifiées, au milieu de leurs chats miaulant désespérément. Heureusement, je n’ai pas de chats.


Je suis célibataire, et jusqu’à présent, contente de l’être. Finalement, j’ai peut-être échappé au pire, à l’usure du quotidien, aux chaussettes sales de l'autre qui traînent, à sa brosse à dents négligemment déposée sur le bord du lavabo, à ses résidus de dentifrice, aux milles querelles et guéguerres du couple et qui finissent par rancir leur relation.


Dans les cas les plus aigus, les deux conjoints finissent par ne plus s’adresser la parole, comme Simone Signoret et Jean Gabin dans « Le Chat ». Bon, c’est vrai, c’est un peu extrême comme exemple. Mais parfois, dès que l’un d’entre eux se remet à parler à l’autre, la guerre recommence.


J’ai ainsi également échappé aux bouderies, aux silences lourds de sens. J’ai bien vu ce que cela donnait chez certains ! Et puis moi, je ne suis pas parfaite non plus. J’ai aussi mon petit caractère !


Mais, à la réflexion, j’ai peut-être échappé aussi au meilleur, à la complicité qui lie un couple. C’est peut-être là ma plus grave erreur. Enfin, je ne le saurai jamais. En tout cas, je n’ai eu que de mauvais exemples autour de moi. Tous mes amis sont divorcés.


Cependant, le célibat, s’il vous laisse une entière liberté, il a quand même ses revers ! On m’a dit souvent, à mon boulot, quand je me plaignais de ma surcharge de travail : « Célibataire, sans enfant ? C’est l’idéal ! Personne ne vous attend à la maison, alors de quoi vous plaignez vous, Mademoiselle ? Puisque vous n’avez rien à faire, chez vous, vous pouvez rester un peu plus tard le soir.


Ben voyons ! Taillable et corvéable à merci, pour cause de délit de célibat ! Et, moi, comme une idiote, un bon petit soldat obéissant, j’ai consacré toute ma belle jeunesse à mon travail de comptable et, sérieuse, je n’ai pas couru le guilledou. C’est un tort ! J’aurais dû en profiter. Coucher avec le patron, par exemple ! Mais je n’en avais pas envie. Et puis maintenant, c’est trop tard !


Néanmoins, tout en restant très sage, je fais l’objet parfois du méfiance de la part de mes voisins immédiats, qui me regardent d’un air suspicieux. Une célibataire, c’est louche ! Tout le monde dans l’immeuble est en couple, sauf moi. Je fais particulièrement l’objet de la suspicion d’une voisine de palier qui a peur que je lui pique son mari.


Quand je la rencontre, elle ne m’adresse quasiment pas la parole et feint souvent de m’ignorer. Et c’est pire quand elle est au bras de son mari. Elle me regarde d’un air dédaigneux tout en se cramponnant à lui. Bas les pattes ! Chasse gardée ! C’est sa chose. C’est tout juste si elle me dit

« bonjour » ou alors du bout des lèvres quand on se retrouve au local des poubelles. Et je vois bien qu’elle se force parce qu’elle ne veut pas se montrer impolie et je me fais un plaisir de lui sortir un « bonjour » avec un grand sourire. Rien que pour l’embêter.


Cette jalousie —mais peut-être que je me fais des idées— me paraît totalement injustifiée, voire ridicule. Je n’ai pas un physique extraordinaire. A mon âge, je ne suis pas trop moche, car je ne me laisse pas aller, mais pas trop belle non plus et je ne joue pas les vamps.


Tout au plus, quand je rencontre ces voisins, je les salue poliment, mais ça ne va pas plus loin. Et puis son mari, il ne m’intéresse pas. Mais quand même, le fait de représenter un danger potentiel, c’est plutôt flatteur, surtout à mon âge. La dangereuse célibataire, l’"ensorceleuse du premier étage" ça me fait plutôt rigoler ! Y en a vraiment qui se font des idées ! Mais c’est peut-être moi qui m’en fais après tout. Surestimerais-je ainsi mon petit pouvoir de séduction ?


Bon ! blague à part, que vais-je bien pouvoir écrire comme histoire ? Je n’en sais rien. Une histoire d’amour ? je ne connais rien à l’amour, moi ! Quelle drôle d’idée que j’ai eue de vouloir en écrire une, alors que je n’en ai jamais vécue ! Une petite amourette ou deux pendant mon adolescence, et puis, peu à peu, ma vie affective est devenue aussi aride que le désert d’Atacama.


Je suis comme un ilot perdu dans un océan de solitude. Il faudrait qu’il m’arrive quelque chose qui me donne de l’inspiration, et que j’écrive ma propre histoire d’amour.


C’est pas gagné !






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11 commentaires

Jehan Calu de Autegaure

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Il y a 10 mois

J'attends la suite, mais l'histoire à inventer serait celle de la conquête du mari ? Hi hi hi !

Catherine Domin

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Il y a 10 mois

Ce n'était pas à l'ordre du jour au départ, car elle ne savait pas exactement quoi raconter...

Mayana Mayana

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Il y a un an

Très jolie plume et choix des protagonistes sexagénaires super original 👌 l'amour n'a pas d'âge

Catherine Domin

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Il y a un an

Merci beaucoup pour tes encouragements. En effet, j'ai constaté un certain jeunisme ambiant dans les histoires que j'ai lues Et pourquoi les sexagénaires n'auraient pas droit de vivre une histoire d'amour ? Effectivement, l'amour est universel et n'a pas d'âge.

Gwenaële Le Moignic

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Il y a un an

Joli début...

Catherine Domin

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Il y a un an

merci beaucoup pour cet encouragement !

ZELI

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Il y a un an

C'est rafraîchissant de découvrir quelque chose d'un peu différent de mes lectures habituelles, je suis loin d'être déçue. Le résumé a vraiment attiré mon attention. Le premier chapitre est magnifiquement écrit, avec cette protagoniste semblant naviguer un peu dans le flou, mais j'ai bon espoir qu'elle trouvera son chemin et qu’elle finira par écrire la plus belle histoire d’amour.

Catherine Domin

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Il y a un an

Merci beaucoup pour ton commentaire. J'ai voulu écrire une comédie romantique originale en y impliquant deux personnages moins jeunes que dans les autres histoires publiées dans ce concours, et tout cela dans une comédie policière plutôt déjantée. On verra par la suite si cette romance se concrétisera... Je ferai un petit tour dans ton histoire.

Jeanne Carré

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Il y a un an

J'aime bien ce début d'histoire, une héroïne sur le tard, un contre-pied à la romance où presque tous les couples sont jeunes ! 😉 N'hésite pas à passer voir "Laisser faire" 🌸

Catherine Domin

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Il y a un an

Merci Jeanne. J'irai faire un tour dans ton histoire. Effectivement, j'ai pris le contrepied de la romance habituelle et sur le ton de l'humour. Et puis les sexagénaires peuvent être aussi drôles que les jeunes.
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