Sylvie Marchal Marie Chapitre 61

Chapitre 61

– Et ton déménagement, ça s’est passé correctement ? Tu as eu de l’aide pour porter les meubles lourds ? s’inquiète Solène.


– Carrément ! Les collègues m’ont super bien accueilli et ils ont été disponibles dès les premiers instants pour vider le petit camion avec Sébastien et moi, pour porter tout ça au deuxième étage. C’est top, vraiment j’ai hâte que tu viennes. On pourra aller se tremper les pieds dans la méditerranée et visiter l’arrière-pays ! Et puis vivre en gendarmerie, c’est plutôt sympa, finalement. J’ai découvert un vrai esprit de village, une solidarité assez particulière, répond Guillaume.


– Alors ça y est ? Ta vraie famille est remplacée, on ne compte plus pour toi ? le taquine sa sœur.


– Bien sûr que non ! D’ailleurs comment vont les autres, à part toi ?


– Les parents, rien à dire, si ce n’est que maman a de nouveau mal au ventre, jusque dans les hanches quasiment tous les jours. Le médecin ne trouve rien, il continue à lui dire qu’elle est d’une nature trop stressée. Papa, au taquet avec le boulot et sa nouvelle passion pour le VTT, et Marianne, je te dirais qu’elle est courageuse, elle ne se plaint jamais.


– Et Méline ? interroge Guillaume, surpris que sa sœur ne lui parle pas spontanément de son double, de sa quasi-jumelle.


Après un silence de quelques secondes, Solène soupire et tente de formuler sa réponse :


– Je ne sais pas très bien quoi te dire. Je la pensais en bonne voie, soulagée d’aller voir un psy, mais je crois qu’elle a arrêté. Et la semaine dernière, elle a fait une belle connerie. On est allées à une rave au hangar et on a un peu picolé, surtout Méline en fait. Elle a pris l’initiative de draguer un mec plus âgé, qui n’avait pas l’air hyper fréquentable. Ça s’est terminé dans son van et quand elle s’est réveillée au petit matin, elle n’avait plus vraiment de souvenirs, juste la certitude qu’ils avaient couché ensemble. Déjà ça, ça craint, mais ce qui m’inquiète davantage, c’est le mutisme dans lequel elle s’enferme. On s’était disputées cette nuit-là, alors moi j’étais partie. Ça pourrait expliquer son silence, son manque d’envie de communiquer avec moi, mais je ne crois même pas que c’était ça. Je me suis excusée vingt fois de l’avoir laissée avec lui et elle m’a dit qu’elle comprenait, que la façon dont elle s’était comportée lui appartenait. N’empêche que je culpabilise…


– Ne te prends pas la tête, une nuit avec un inconnu, ça arrive, il n’y a pas mort d’homme, tente Guillaume.


– Il n’y a pas mort d’homme, peut-être, mais mis à part les risques de choper le sida, c’est l’image qu’elle a d’elle-même qui me fait peur. La seule fois où elle a laissé filtrer une émotion, c’était pour me dire qu’elle était juste une paillasse et que c’était son karma ! explique Solène.


– Pourquoi son karma ? C’est quoi cette ânerie ? Tu veux dire qu’elle mélange cette malheureuse soirée avec le passé de nos mères ?


– Un truc comme ça, oui. Comme si elle méritait une punition, ou comme si elle était impure. Je schématise, mais c’est comme ça que je l’ai ressenti ! s’exclame Solène.


– Dommage qu’elle ne veuille plus de suivi psy. Tu sais, j’ai étudié ça vite fait à l’école, les traumatismes intergénérationnels. Autant te dire qu’on est en plein dedans. Faudrait qu’elle se défoule un peu ! Perso, quand j’ai la tête qui chauffe, rien de tel que de m’épuiser sur un tatami ou au stand de tir. Je n’ose même pas te raconter ce que j’imagine à certains moments.


– Pas la peine de me le dire, moi aussi, parfois, je rêve de déglinguer une ou deux personnes, renchérit Solène.


– Bah, pour toi ça restera un rêve, t’en as pas les compétences ! répond Guillaume, songeur.



Solène, un peu déroutée par les derniers propos de son frère, change de sujet de conversation. Elle le questionne sur la décoration de son logement de fonction, sur les profils des collègues avec lesquels il s’entend le mieux. Rassurée par la facilité avec laquelle Guillaume lui décrit son quotidien, l’enthousiasme qui le porte dans ses missions, elle en conclut que la nouvelle vie de son frère est celle qui le rendra heureux.



À la fin de l’appel, Solène s’assied sur le canapé, replie ses jambes contre son torse. Roulée en boule, elle tente de se recentrer, de calmer cette angoisse intenable qui vient prendre possession de tout son corps, de plus en plus fréquemment. Cette chape de plomb, elle la ressent physiquement, mais n’arrive pas à mettre des mots dessus. À elle aussi, on a proposé d’aller voir une psychologue, après la mort de Pascal. Marie et Manu avaient perçus la noirceur qui habitait parfois le regard de leur fille, mais ils étaient loin de s’imaginer qu’elle avait sur l’estomac la douleur d’avoir tenté d’entrer chez Marthe, la sensation d’avoir jeté sa cousine dans un torrent dans lequel elle ne saurait pas nager et, par extension, la crainte d’être en partie responsable de l’accident de voiture qui avait emporté Pascal.



En sentant la rage qui gagne son cœur, en se remémorant les paroles de son frère au téléphone, Solène décide d’aller s’épuiser physiquement. Elle se lève et se dirige vers sa chambre pour enfiler une tenue adéquate. Quelques minutes plus tard, elle en ressort vêtue d’un cycliste noir, d’un tee-shirt de sport vert fluo, chaussée de baskets Nike et ses cheveux joliment noués dans une queue de cheval. Prête à aller courir, elle passe la porte d’entrée de sa maison et, dans l’allée, croise Manu qui rentre du travail :


– Hé ben ma bichette ? Où pars-tu comme ça ?


– Devine ? J’aurais envie de te dire que je vais en boîte, mais sapée comme ça…


– Pardon princesse ! J’ai bien compris que tu partais courir. Ma question était juste de savoir quel parcours tu avais prévu de réaliser ?


– Ah ! Je file derrière l’école dans la forêt communale et je fais la boucle habituelle, deux fois. J’en ai pour une heure à peu près.



Manu, sourire aux lèvres, regarde sa fille s’éloigner. Si Marie et lui ont bien perçu son état émotionnel, ils sont très fiers de la force dont elle paraît disposer. Faire du sport, voilà une belle idée pour se prendre en main, pour ne pas se laisser abattre. Elle reviendra sans doute détendue, sereine.



Alors que son père se rassure avec ces pensées positives, Solène développe des foulées de plus en plus grandes, de plus en plus rapides. Son souffle s’accélère jusqu’à lui brûler les poumons, les muscles de ses cuisses semblent subir les assauts de lames de cutter, mais rien ne freine la jeune femme. Elle dépasse ses propres limites pour s’anesthésier, pour ne plus ressentir cette intenable culpabilité, mais son cerveau refuse de se taire.



Elle souffre, encore.

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6 commentaires

Mikwg

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Il y a 2 ans

Très bon exutoire le sport... Hâte de découvrir la suite . Ces derniers chapitres sont haletants.

Karen Kazcook

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Il y a 2 ans

C'est émouvant de voir les enfants devenir des adultes... La rage au ventre de les savoir tant marqués par le passé aussi.

User230517

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Il y a 2 ans

Traumatisme inter-generationnel : le mot est posé. Il peut se transmettre sur plusieurs générations. Prenons les discordes entre deux familles dont la génération actuelle n'a aucune idée de la cause mais s'entête à les prolonger encore et encore

Delf Lgd

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Il y a 2 ans

Le temps est suspendu 😳 Vite la suite

SandNémi

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Il y a 2 ans

C'est terrible toutes les ramifications que peut prendre la douleur !

Isabelle Barbé

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Il y a 2 ans

Hâte de découvrir la suite...
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