Fyctia
Chapitre 60
La musique assourdissante empêche toute conversation, mais cela ne gêne pas les danseurs qui tressaillent au son de la techno, indifférents au monde qui les entoure. Tous sont anesthésiés par l’alcool, beaucoup sont embrumés par les vapeurs des joints qu’ils fument, ou par les petites pilules qu’ils viennent d’avaler. Au milieu de cette foule, les deux cousines dépensent leur trop-plein d’énergie jusqu’à l’épuisement.
Les longs cheveux de Solène s’envolent au rythme des notes électroniques tandis que Méline s’essuie le visage sous la frange de sa nouvelle coupe à la garçonne. Les événements récents lui ont fait ressentir le besoin de changer d’image, alors elle a choisi une métamorphose capillaire radicale. Côté vestimentaire, elle s’est affranchie des principes inculqués par Marianne et ne porte plus que des bouts de textile courts et moulants. Son décolleté bien mis en avant, elle ne quitte pas des yeux un garçon plus âgé qu’elle, au look grunge. Intrigué, il la fixe intensément et commence à lui envoyer des sourires non-équivoques. Danse après danse, les deux fêtards se rapprochent, jusqu’à se faire face. Agacée, Solène observe la scène et, consciente du danger qui se profile, tente de hurler à l’oreille de sa cousine :
– Allez, c’est bon ! Arrête ton cinéma ! On a trop bu et lui aussi, sans doute ! Ça pue ton histoire !
– Oh ça va ! Pas la peine de jouer les chiens de garde ! On est jeunes, on est vivantes et on n’a qu’une vie ! Si toi tu ne t’en rends pas compte, moi ça va, j’ai bien compris la leçon !
En se penchant vers sa cousine, Méline renverse la moitié de son gobelet de bière sur ses chaussures. Solène prend définitivement la mouche et tente de la tirer par le bras :
– On se taille, je te dis ! On rentre, la soirée est finie, pas la peine de te faire plus de mal que ça !
– Mais tu te prends pour qui ? Ma mère ? Te casse pas, j’en ai déjà une et elle ne me comprend plus ! Comme toi ! nargue Méline, trop ivre pour retrouver la raison.
Une dispute éclate entre les filles et les paroles deviennent de plus en plus blessantes. Excédée, Solène tente une dernière fois de convaincre sa cousine de la suivre, mais devant le regard noir de celle-ci, elle craque et lui tourne le dos. Par manque de solution, elle s’éloigne de quelques mètres et part danser quelques mètres plus loin, bien décidée à la surveiller à distance.
Le spectacle qui se déroule sous ses yeux la rend folle. Méline s’approche un peu plus du jeune homme jusqu’à lui toucher le bras, puis l’épaule. Ce dernier, ravi de ne pas avoir d’efforts à faire pour conquérir sa belle, s’empresse de l’attraper par la taille pour l’attirer à lui. Quelques instants plus tard, le couple s’embrasse à pleine bouche, sans avoir eu le temps d’échanger leurs prénoms. Devant cette triste scène, Solène, blessée, se décide à quitter le hangar. Quand elle aperçoit au loin Léna, une copine de lycée, grimper dans la voiture de son frère, elle se précipite :
– Oh Léna ! Trop bien de te voir là ! Vous repartez sur Libourne ? Vous pouvez me déposer ?
– Avec plaisir, beauté ! Mon frère nous ramène. Hein, Max ?
– Pas de problème, monte ! Tu me diras la route ! lance le grand blond avec gentillesse.
La fraîcheur de la nuit aide Solène à dégriser et, durant toute la route du retour, elle culpabilise d’avoir laissé Méline seule au hangar. En même temps, sa cousine est majeure, intelligente et elle connaît comme elle les codes de ce genre de soirées.
De retour chez elle, Solène traîne sous la douche bouillante, absorbée dans ses pensées. Elle enfile sa nuisette de coton bleu, se pelotonne sous la couette et tente de trouver le sommeil, sans jamais y parvenir. Elle s’en veut, elle craint la mauvaise rencontre.
Au petit matin, la jeune femme, épuisée, tombe dans les bras de Morphée. À treize heures, Marie vient toquer à sa porte :
– Ma puce, réveille-toi ! Il faut que je te parle ! J’ai eu Marianne au téléphone, elle n’est pas sereine. Méline n’est pas rentrée de la nuit. Vous ne deviez pas repartir ensemble ?
– Si. Enfin, non. C’était prévu comme ça au départ, mais finalement, elle a rencontré un type, ils se sont dragués et je ne voulais pas tenir la chandelle.
– Comment ça un type ? Tu le connais ?
– Non, mais j’ai essayé de la convaincre de revenir avec moi, elle n’a rien voulu entendre.
Marie se décompose, tracassée elle aussi par cette étrange nouvelle.
Au même moment, Méline se réveille dans un endroit qu’elle ne connaît pas. En ouvrant les yeux, elle sent un horrible mal de tête lui déchirer les tempes. Autour d’elle, tout est étroit, sombre et sale. Une couverture à l’hygiène douteuse recouvre son corps et, la soulevant, elle réalise qu’elle est nue, tout comme l’inconnu d’hier soir étendu à ses côtés. Prise de panique, elle le secoue :
– Oh ! Mais tu m’expliques ce que je fais là ?
– Mmm… Putain, me réveille pas aussi violemment, cocotte ! À ton avis ? Tu m’as chauffé toute la soirée, alors on a fini la nuit ici, dans mon van. Ne me dis pas que tu ne te souviens pas de nos exploits, je serais vexé ! ricane le grunge.
– Oh la vache… murmure Méline.
– Oh la vache ? Oh la cochonne, plutôt ! Sapée comme tu l’étais, je me doutais bien que tu étais bouillante, mais à ce point ! Dommage que ta cousine ne soit pas restée aussi, parce que si vous êtes toutes comme ça dans la famille…
Prise de nausées, Méline s’extrait péniblement du lit de fortune, attrape ses vêtements, se rhabille sous l’œil narquois du garçon et descend du van. Dehors, elle réalise qu’elle n’est qu’à quelques centaines de mètres du hangar.
Un peu rassurée de reconnaître les lieux, elle part en courant en direction de la route départementale et se hâte de lever le pouce en direction de chaque voiture qui passe. Les ombres froides des arbres rajoutent du sordide à ce retour et Méline craint le retour du jeune homme. Par chance, une Clio ralentit à sa hauteur et une septuagénaire descend la vitre de son véhicule :
– Et alors Mademoiselle ? Faut pas rester seule dans ce genre d’endroit ! C’est désert, on n’est jamais en sécurité, seule. Où allez-vous ?
Méline lui indique l’adresse de Marianne, et la vieille femme reprend :
– Je ne peux pas vous laisser là ! Montez, je vous raccompagne.
– Merci… c’est gentil. Vraiment gentil ! bredouille Méline.
Alors que la conductrice la questionne sur les raisons de sa présence en ces lieux, la jeune fille élude, regarde par la fenêtre et s’enfonce dans de sombres pensées. Peut-être qu’on ne peut échapper à son histoire, à son destin, aux fantômes qui planent sur nos vies. Son corps non plus ne mérite peut-être pas d’être respecté. Méline se dit que son chemin est peut-être de s’infliger les mêmes souffrances que celles subies par les femmes de sa famille. Son suivi psychologique ne mène à rien, elle le sait. Elle l’arrêtera.
« Je ne mérite pas mieux, je suis allée chercher ce que j’estimais devoir vivre. Pas d’avenir. Pas d’issue. »
13 commentaires
MALET Daniel
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Il y a 2 ans
Hanna Bekkaz
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Il y a 2 ans
Sylvie Marchal
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Il y a 2 ans
ooorianem
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cedemro
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Sylvie Marchal
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User230517
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Caroline Verdugo
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Geraldinedewt
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Isabelle Barbé
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Il y a 2 ans