Sylvie Marchal Marie Chapitre 59

Chapitre 59

Le nez dans son cahier de philosophie, Solène profite des premiers rayons du soleil d’automne. Sa magnifique chevelure tombe en cascade sur ses épaules, retenue par une simple barrette à l’arrière de la tête et sa veste tailleur noire au-dessus de son jean slim la range définitivement dans le clan des adultes.

Assise sur un petit mur de pierre qui fait face à l’établissement, elle n’aperçoit pas Méline qui la rejoint. Deux mains viennent obstruer les yeux de Solène, la faisant sursauter :

– Salut morue ! C’est quiiii ? gronde une voix rauque derrière elle.

– Andouille ! Tu veux que je fasse un arrêt cardiaque ou quoi ?


Méline éclate d’un rire franc, et cela réchauffe le cœur de sa cousine. Si le chagrin habite son âme en permanence, la jeune orpheline accepte de laisser la vie revenir en elle, par petites bribes. De cela, elle n’éprouve déjà plus de culpabilité, car elle a déjà compris que sa vie ne serait plus jamais le même, peu importe la façade qu’elle lui construirait. Elle sait que la douleur restera attachée à sa cheville, inamovible boulet de bagnard, mais elle apprend déjà à avancer avec ce sinistre compagnon. Le suivi psychologique entrepris au cours de l’été lui fait du bien, sa mère en est persuadée.

– T’as cours à quelle heure, toi ? demande Méline à sa cousine.

– Je commence à dix heures, mais j’ai pris de l’avance pour réviser. Je savais que je serais mieux ici, au calme, plutôt qu’à la maison. J’aurais trop été tentée d’allumer la télé ou de me remettre au lit !

– OK, moi je file, j’attaque à neuf heures, je vais être en retard si ça continue !

Méline dépose un baiser affectueux sur la joue de Solène et s’éloigne d’un pas rapide.


Au même moment, le facteur de Blaye dépose une missive dans la boîte aux lettres de Marthe. Une simple enveloppe blanche, sur laquelle son nom est inscrit en lettres majuscules, au stylo noir. Le petit rectangle blanc stagne quelques heures dans son coffret d’acier, le temps pour Marthe de rentrer de la plage. Quand elle gare sa voiture dans l’allée, son compagnon à quatre pattes reconnaît le bruit du moteur et aboie pour lui souhaiter la bienvenue. Comme à son habitude, elle prend le temps d’ouvrir son coffre pour en sortir ses affaires pleines de sable, les secoue puis les range. Son parasol vient prendre place sur la terrasse tandis que la serviette de bain atterrit tout droit dans le lave-linge.

Terrassée par la chaleur du milieu de journée, elle s’empresse d’ouvrir la porte d’entrée pour foncer en direction de la cuisine, ouvre le réfrigérateur et se sert un grand verre de Perrier glacé. Comme elle attend un colis, elle attrape la clé de la boîte aux lettres pendue à un crochet et se décide à affronter une dernière fois la canicule avant de rester au frais pour le reste de la journée.


Derrière la petite porte de métal vert, aucun carton, mais une lettre. Un peu intriguée par l’écriture en lettres capitales, Marthe s’empresse de l’ouvrir. À l’intérieur, elle aperçoit une simple feuille. Quand elle la déplie, la sexagénaire fronce les sourcils et reste interloquée. On lui envoie, sans autre explication, une photocopie de l’acte de décès de Pascal. Intriguée, elle retourne le papier, espérant y trouver une quelconque annotation qui expliquerait cet envoi. Aucun mot n’est écrit, mais une croix est dessinée, une sorte de message catholique, sans doute. Presque effrayée par l’absence de message plus clair, Marthe s’interroge et hésite à appeler l’un ou l’autre de ses enfants. Bien qu’en froid, l’un d’eux pourrait quand même l’éclairer sur cette étrange missive. Peut-être Yvan, même s’il ne donne plus de nouvelles depuis sa visite-surprise ? Non, lui aussi a sans doute été influencé par ses frères et sœurs.

Après quelques dizaines de secondes d’hésitation, Marthe se réfugie dans sa maison, non sans jeter un œil aux alentours. Personne...


Dans la cage d’escalier de leur immeuble, Laurette pose sur le carrelage du hall les deux cabas qui l’accompagnent lors de chaque sortie destinée à faire les courses. Son embonpoint est de plus en plus difficile à porter, surtout lorsque les températures sont aussi chaudes qu’aujourd’hui. Il n’y a pas suffisamment de vent à Orléans et bien que la Loire ramène un peu de fraîcheur, cela ne suffit pas à rendre les journées confortables. Ernest ne l’accompagne plus jamais pour ce genre d’expédition, il n’appartient qu’à elle et à ses douleurs articulaires d’assurer le ravitaillement du foyer.

Si Legrand sort, ce n’est plus que pour aller s’acheter du tabac ou s’offrir un ballon de rouge au zinc du café du coin. Leur vie à deux n’est plus qu’une question d’habitude et de silences suspendus, une somme d’habitudes et de renoncements.

En vieillissant, Ernest s’est presque adouci. S’il cogne encore sur Laurette, ce n’est plus qu’à coup de mots acides et blessants. Mille fois, l’épouse meurtrie a voulu partir. Mille fois, elle a renoncé. Et aujourd’hui, elle se trouve bien trop vieille et fatiguée pour mener ce combat. En récupérant le courrier, elle ne prête pas attention à cette enveloppe marquée de lettres noires. La relance de la facture d’électricité lui saute aux yeux et réactive sa tachycardie. Dans un soupir, elle reprend ses cabas en main et se lance à l’assaut de l’escalier, son dernier obstacle avant de pouvoir se reposer quelques minutes.


Quand elle passe la porte d’entrée, elle aperçoit Ernest au salon, vautré sur le canapé. Depuis une heure qu’elle est partie, la larve n’a pas bougé de trois centimètres. Elle s’avance vers lui et lui tend ce que le facteur leur a déposé, inquiète de cette probable facture impayée. Legrand s’en saisit en silence et ouvre les enveloppes les unes après les autres. À la troisième missive, il se redresse et s’assied un peu mieux sur le sofa. Il chausse ses lunettes, retourne le papier dans tous les sens et marmonne des phrases que Laurette ne peut comprendre :

– Oui Ernest, je sais ! On est déjà à découvert, mais va falloir payer l’EDF ! Que veux-tu que je te dise ? lance-t-elle, incertaine.

– C’est pas ça que je te dis ! C’est une photocopie d’avis de décès. Vu les noms de la famille du défunt, c’est le mari d’une de mes filles.

– Tu veux dire de Gironde ? interroge Laurette.

– Oui, de ma vie d’avant ! Mais putain ! Qu’est-ce que ça vient faire là ? J’ai plus de contacts avec eux depuis des lustres ! Regarde !


Dans la voix de Legrand, une forme d’inquiétude transparaît. Pourquoi le passé lui revient-il aujourd’hui comme un boomerang ? Et il ne le connaît pas, ce Pascal ! Il se souvient de Manu, celui qui a épousé Marie, puisqu’il était à leur mariage. Mais pour Marianne, aucun lien n’a jamais existé entre les deux hommes.

Laurette garde le silence et attrape la feuille que lui tend Ernest :

– Et ça ?

– Quoi, et ça ? demande Legrand.

– Cette croix, dessinée au dos de la feuille ? On dirait un crucifix !


Le vieil homme se ratatine, il a la gorge sèche. Il n’a aucune réponse à cette question.



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7 commentaires

cedemro

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Il y a 2 ans

Le destin rattraperai t'il enfin ces monstres ? J'espère !

Mikwg

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Il y a 2 ans

Chapitre dévoré !!! Excellent.

io antique

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Il y a 2 ans

bravo, vivement la suite..

Karen Kazcook

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Il y a 2 ans

Ah de nouveaux petits coups secrets... Suspense ! J'adore 💕

ooorianem

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Il y a 2 ans

Un coup de pouce pour toi, en espérant que cela t'aide un peu ! Je viens de publier un nouveau chapitre sur le concours New Romance, n'hésite pas à passer si le coeur t'en dit :)

Sylvie Marchal

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Il y a 2 ans

Merci mille fois ! Je vais venir vers ta story moi aussi 🙂

User230517

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Il y a 2 ans

Le retour de manivelle ?
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