Sylvie Marchal Marie Chapitre 58

Chapitre 58

Allongée sur son lit, les yeux rivés au plafond, Méline écoute en boucle un CD de Queen, le groupe préféré de son père. Ce matin encore, elle a dormi tard et s’est réveillée vêtue de l’ensemble noir, short et débardeur Adidas, qu’elle portait la veille. Comme elle n’a pas la force de passer à la salle de bains, la jeune fille ne s’oblige pas à se lever. Inutile aussi d’aller jusqu’à la cuisine, son corps refuse d’ingérer plus qu’un yaourt par jour. Même la soif lui est devenue imperceptible depuis que Pascal est mort et c’est bien parce que sa mère veille sur elle que Méline est encore dans un état de santé raisonnable.


Quand on toque à la porte de sa chambre, la jeune fille marmonne, pensant voir Marianne franchir la porte :

– Entre ! Mais je n’ai besoin de rien, merci.

– C’est moi, ma chouquette. Ta mère est restée à la cuisine avec la mienne, répond Solène avec douceur.

– Ah ! Je ne vous avais pas entendues arriver. T’es pas obligée de venir me voir si souvent, tu sais. J’ai fait n’importe quoi ces derniers temps et je n’étais même pas à la maison quand mon père a eu son accident. Si ça se trouve, si j’étais restée là au lieu d’être allée chez qui tu sais, il ne serait peut-être pas sorti, on serait restés là, tous les deux, à bavarder ? Je ne peux pas le dire à ma mère, mais si tu savais comme je m’en veux… murmure Méline, les yeux brillants.


Solène vient s’asseoir en tailleur juste à côté de sa cousine, sur le couvre-lit parme. D’une main rassurante, elle lui caresse la joue et l’attire jusqu’à elle. La tête de Méline vient se poser sur les genoux de son âme jumelle et toutes les deux se nourrissent de cette proximité.

Pendant cette communion silencieuse, Solène tente de faire taire la voix sourde de la culpabilité qui trotte dans sa tête depuis que son oncle est décédé. Elle se souvient parfaitement d’avoir semé le doute dans son esprit, trois jours avant que Méline ne retourne chez Marthe. Elle avait clairement fait comprendre à Pascal que le shopping annoncé par sa fille pour le mercredi suivant n’existait pas. C’est elle qui avait semé la graine du doute dans l’esprit de son oncle, elle qui avait peut-être provoqué cette virée en voiture, cet excès de vitesse. C’est elle, la coupable.


Chaque jour, le poids de ce secret pèse plus lourd sur la jeune fille. Seul Guillaume, son aîné, recueille ses confessions pleines de larmes, quand elle réussit à accéder au téléphone en dehors de la présence de ses parents.


– Méline, s’il te plaît, avale au moins le jus d’orange que ta mère m’a demandé de t’apporter dans ta chambre. Ça ne peut te faire que du bien !

– La seule chose qui pourrait me faire du bien, ce serait de me réveiller de ce cauchemar, de passer la porte de la cuisine et de voir mon père assis là, un sourire aux lèvres ! Mais toi et moi, on sait bien que ce ne sera pas possible.

Solène baisse la tête en silence. Tout autour d’elles rappelle la trop grande jeunesse de Méline pour affronter un pareil tsunami. Des posters de la série Charmed accrochés au mur aux flacons de vernis à ongles épars sur les étagères et le bureau, chaque objet indique la jeunesse de l’occupante des lieux et vient cruellement trancher avec l’ambiance de plomb qui règne entre ces quatre murs.


– J’ai vraiment pas soif, merci, poursuit Méline devant le verre que sa cousine continue à lui tendre avec insistance.

– OK, je ne vais pas te forcer. Et si on sortait un peu ? Si on allait prendre un peu l’air, où tu voudrais ?

– Pas envie non plus ! On va forcément croiser des potes du lycée et je n’ai aucune envie qu’ils me regardent comme une bête curieuse. La pauvre gamine qui vient d’enterrer son père, bonjour la pitié dans leur regard. Oublie-ça, je suis bien dans ma chambre et j’ai aucune envie d’en bouger.

– Alors, un petit tour sous la douche, pour te rafraîchir un peu ? Ou même un bon bain ? Je te le prépare et je mets le taquet de mousse et d’huile parfumée ? propose Solène.

Devant tous les efforts de sa cousine, les vaines attentions qu’elle tente de mettre en œuvre, Méline est touchée et, enfin, sa carapace craque. Elle qui tentait de nier l’évidence, elle qui vivait dans une forme de déni, profite enfin de cet instant pour fendre complètement l’armure. Son corps semble perdre ses dernières forces, elle se laisse retomber sur son lit en position fœtale, secouée par des sanglots de plus en plus intenses.


Solène, d’abord surprise que ces propositions insignifiantes aient eu un tel impact, comprend ensuite que c’était simplement le moment. L’instant pour Méline d’accepter cette nouvelle réalité. Sans un bruit, sans un mot, elle s’allonge derrière sa cousine et vient mouler son corps contre le sien. Passant ses bras autour des épaules de sa cousine, elle la contient avec douceur, lui imprime de lentes caresses sur les bras puis dans ses cheveux. Après d’interminables minutes, les sanglots s’espacent puis le silence revient. Aucune des filles ne souhaite rompre cet instant, toute parole serait superflue.


Quand Méline s’en sent capable, elle reprend une position assise sur son lit, suivie par Solène. Les filles se tiennent la main en guise de serment. Le serment de rester soudées pour toujours, de se protéger mutuellement.


Toujours en silence, Méline se lève, se dirige vers son armoire en pin laquée de blanc, l’ouvre puis commence à farfouiller sur un rayonnage. Quand elle a trouvé ce qu’elle y cherchait, elle lance à Solène :

– Allez, je pars me laver, j’en ai pour dix minutes max. Si je mets cette robe patineuse blanche pour aller boire un Orangina avec toi, ça ira ? Personne ne fera de commentaire, genre « elle n’est même pas en deuil » ?

– Le premier qui oserait dire un truc pareil, je lui pète les deux rotules ! sourit Solène, heureuse de la volonté de sa cousine.


Une demi-heure plus tard, les filles quittent la maison à pied et prennent la direction du café des sports, juste à côté de la mairie. Là, elles s’installent en terrasse, irradiées par les rayons d’un soleil d’été aussi brûlant que le feu qui anime l’âme de Solène. Sa rage et sa colère sont momentanément contenues par ce retour à la vie de Méline, mais il lui faudra aussi évacuer toute cette noirceur avant qu’elle ne prenne définitivement racine dans son esprit. Elle perçoit que le vécu de sa famille, au passé comme au présent, est un terreau qui pourrait rendre vivace de sérieux dysfonctionnements. Les propos de Méline la ramènent sur terre et interrogent ses propres blessures :

– Je t’ai dit ou pas que ma mère voulait que j’aille voir un psy ? J’irai, mais en même temps, j’ai rien à lui dire. Mon père n’est plus là, point barre. Je n’ai aucune envie de remuer la vase plus que ça, ça me tirerait vers le fond. T’es pas d’accord avec moi ?

– Je sais pas. Après tout, peut-être que c’est une bonne idée. Je me posais même la question d’un suivi pour moi, et encore plus pour Guillaume. Je crois qu’on est nombreux à être partis en vrac. Je te raconterai...

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12 commentaires

cedemro

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Il y a 2 ans

Enfin un peu de douceur. Le lien qui unit ces deux amies fait vraiment du bien !

Caroline Verdugo

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Il y a 2 ans

Enfin un peu de lumière au bout du tunnel

Hanna Bekkaz

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Il y a 2 ans

Magnifique chapitre !

henora

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Il y a 2 ans

C’est un moment plein de sentiments ! Merci

Karen Kazcook

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Il y a 2 ans

J'adore ce lien entre les cousines... Que d'émotions 💕 bravo

Sylvie Marchal

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Il y a 2 ans

Merci Karen ! Ça me fait le même effet lorsque j’écris cette histoire !

User230517

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Il y a 2 ans

L'impression injustifiée de culpabilité peut être destructrice, c'est la raison pour laquelle l'aide de l'entourage est importante et nécessaire

SandNémi

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Il y a 2 ans

Très émouvant ce chapitre, tu m'as tiré les larmes !

Sylvie Marchal

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Il y a 2 ans

♥️

Isabelle Barbé

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Il y a 2 ans

Ouf Méline se reprend en main, Merci Solène 🙏
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