Fyctia
Chapitre 55
Le poing levé, face à la porte d’entrée de sa maison d’enfance, Yvan hésite. Après quelques cartes postales imposées par sa hiérarchie à l’école des mousses, voilà des années qu’il a perdu tout contact avec sa mère. Se souvenant de la dureté avec laquelle elle le traitait, il a peu d’espoir quant à de chaleureuses retrouvailles.
Le militaire se surprend à ressentir une forme d’angoisse. Lui qui a vu des horreurs sur des terres de combats en OPEX, tant de faits de guerre qu’il aimerait effacer de sa mémoire, se sent en difficulté pour se retrouver face à Marthe.
L’enfant en lui finit par avoir le dernier mot, alors, se jetant à l’eau, il tambourine contre le battant de bois. Son cœur bat la chamade, son dos dégouline de sueur et ses jambes n’ont plus leur solidité habituelle.
Après quelques secondes, Yvan entend à travers la porte le bruit des semelles de bois des sabots de sa mère. Ce son, il le reconnaîtrait entre mille et même si plus de quinze ans se sont écoulés, il a le sentiment d’être revenu en arrière, comme par magie.
Quand elle ouvre la porte, Marthe ne semble pas aussi surprise que ce que son fils imaginait :
– Yvan ! J’espérais bien que tu viendrais !
Si celui-ci reste muet, un peu désarçonné par cette entrée en matière, Marthe ne laisse pas le silence s’installer :
– Allez, entre ! Avec un soleil pareil, tu vas cuire si tu restes sur le pas de la porte !
Toujours mal à l’aise, Yvan obéit et la suit dans le couloir. À défaut d’embrassades, il ouvre enfin la bouche :
– Tu n’as pas l’air très étonnée de me voir ici ! On dirait que tu étais au courant de ma venue en Gironde !
– Évidemment, que j’étais au courant ! Je connais tout le monde, ici ! Je sors, j’ai beaucoup d’amis ! C’est des gens que je croise au dancing de Libourne qui m’ont appris le veuvage de ta sœur. J’ai bien pensé à lui écrire, mais avec le sale caractère qu’elle a … ! Et ils m’ont dit que Daniel et toi, vous viendriez dans le coin !
Marthe se garde bien de lui parler des deux visites de Méline, car elle ignore si l’accident de voiture de Pascal est en lien ou non avec ce secret. Même si elle a quelques doutes, elle se garde bien de les faire naître à haute-voix. Le hasard a tout aussi bien pu emporter ce père de famille au mauvais moment.
– Tu veux dire que mes sœurs et toi, vous avez encore des connaissances communes ? demande Yvan.
– Oui ! Je dirais plutôt que des gens qui m’apprécient sont encore amenés à les croiser, par obligation. Pour le boulot, ou dans des associations… Mais ils sont bien au courant de qui elles sont ! Je ne me suis pas cachée pour dévoiler leur véritable nature !
Devant tant d’aplomb, les convictions d’Yvan chavirent, tanguent, alors il la questionne :
– Leur véritable nature ? Tu veux dire quoi ?
– Ah oui, c’est vrai que tu n’étais encore qu’un enfant ! Ces pestes mentent comme des arracheuses de dents. Elles passent leur temps à se victimiser pour régler leurs comptes avec moi. Peut-être que la mère que j’étais ne leur convenait pas, mais tout ce qu’elles ont raconté comme bêtises à Daniel, je l’ai payé cher ! Un divorce et une réputation à sauver ! J’y ai réussi, mais crois-moi, c’était pas rien. Alors, oui, sans doute que j’ai été en dépression et que j’ai été moins attentive avec toi après la mort de Pierre, mais elle a eu beau jeu, Marie, de se positionner en sauveuse pour t’envoyer à l’école des mousses ! Elle a bien réussi à couper les liens entre toi et moi !
Yvan, sonné par cette prise de position radicale mais assumée, est assailli par le doute :
– Tu es en train de me dire…
– Que je prends tes sœurs pour des menteuses ? C’est bien ça ! Qu’elles aient été un peu élevées à la dure, sans doute ! Mais dans les années soixante, c’était comme ça ! Pas de quoi en faire un plat ! Tout le monde avait un martinet accroché au mur de la cuisine, tout le monde demandait une pension à ses gosses quand ils commençaient à aller bosser !
– Et pour le vieux ?
– J’ai longtemps hésité avant de me faire une opinion, mais si le père avait vraiment été comme ça, j’aurais été la première à me rendre compte qu’il y avait un problème, non ? Et surtout, depuis le temps, il aurait récidivé et il serait déjà en prison ! Tu vois bien, le fait qu’il ne se soit rien passé, c’est bien la preuve que j’ai raison.
Yvan prend les arguments de sa mère en pleine tête, c’est un KO en direct. S’il a toujours gardé du lien et de l’affection pour ses sœurs, c’est bien parce qu’elles se sont occupé de lui. Mais a-t-il un jour donné l’occasion à Marthe de s’expliquer ? Ce qu’elle lui renvoie aujourd’hui lui semble possible. Et ce qui l’interpelle surtout, c’est que le voisinage, l’entourage amical de la famille a pris fait et cause pour Marthe ! Cela, il le percevait presque déjà, puisque Marie, à demi-mot, lui avouait parfois sa difficulté à croiser des gens de sa vie « d’avant », puisque quasiment tous avaient pris parti pour Marthe.
Marthe la flamboyante, Marthe la bonne-vivante…
Désireux de cacher son trouble, Yvan décide de changer de sujet de conversation :
– Et si tu me parlais un peu de toi ?
– Moi, je suis la femme la plus heureuse du monde, aujourd’hui ! Le retour de mon petit garçon me comble plus que tout ! répond Marthe, revenant volontairement à une posture plus raisonnée.
– Ben écoute, je me dis que la vie est courte. J’ai discuté avec beaucoup de camarades, notamment quand nous sommes envoyés en mission sur terrain de guerre. Ça serait con de mourir sans avoir fait la paix avec ses parents ! Moi, tout ce que je sais, c’est que ça fait quinze Noël où je n’ai pas appelé ma mère. Peut-être qu’il est temps de voir ce qui est encore possible…
Le trouble d’Yvan est sincère, l’émotion perce dans sa voix.
Marthe enfonce encore davantage le clou :
– Si tu veux finir tes vacances ici, tu es le bienvenu ! Ta chambre n’a pas bougé, ton lit est encore là. Parfois, Patrick y dort, lorsqu’il revient à la maison, mais tu es ici chez toi. Où dors-tu, en ce moment ?
– Chez… chez Marie et Manu. Je vais rester là-bas, c’était prévu comme ça, mais je reviendrai te voir pendant le séjour. Histoire qu’on se parle davantage, que tu me racontes un peu ta vie sur ces dernières années et moi, je tenterai d’en faire autant.
Marthe, regonflée par cette nouvelle victoire de son égo sur la vérité, sert un café à son fils, commence à le questionner sur sa vie, s’intéresse, s’extasie, s’inquiète à retardement. Heureux, Yvan répond à ses demandes, elle se réinstalle dans son rôle de mère toute-puissante et manipulatrice. En jetant un œil à sa montre, le militaire s’interrompt :
– Je vais devoir te laisser, on m’attend pour passer à table, à Libourne.
Marthe se plie de bonne grâce à la volonté de son fils, le raccompagne à la porte et l’embrasse chaleureusement.
Quand il se retrouve seul sur le trottoir, Yvan a le tournis. Ses sœurs ont-elles menti, ou non ? Et si le père était innocent ? A moins-ce-que Marthe ne soit en train de l'utiliser ?
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cedemro
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Il y a 2 ans
Valerie moigner
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Il y a 2 ans
Louisette
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jeannedlbcq
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Karen Kazcook
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Caroline Verdugo
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calou40990
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marco
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User230517
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Isabelle Barbé
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Il y a 2 ans