Sylvie Marchal Marie Chapitre 54

Chapitre 54

La chaleur écrasante du soleil d’août provoque un contraste insolent entre le jardin et l’intérieur de la maison de Marianne. Les volets ne s’ouvrent plus, l’absence de Pascal y laisse une sensation de vide, de froid et d’obscurité.


Chaque jour, la mère et la fille se rendent au cimetière, incapables de passer une journée sans retrouver celui qui leur manque tant. Elles lui parlent, prennent soin de sa nouvelle demeure et, surtout, lui promettent qu’elles se relèveront, pour lui. Elles vivront, en mémoire de l’homme souriant qu’il était, la tête haute et feront à nouveau, un jour, des projets. 


Isabelle, malgré les circonstances, n’a pas réapparu, se contentant de faire livrer un bouquet avec une carte de condoléances. Marianne ne s’en est même pas offusquée, car, les années passant, les liens avec leur plus jeune sœur se sont distendus. Non pas que les filles se soient fâchées, mais la benjamine s’est créé une nouvelle vie au fil de ses années parisiennes et a effacé, petit à petit, toute trace de son passé. Les courriers à ses sœurs, comme ses coups de téléphone, se sont espacés, jusqu’à devenir un souvenir.

C’était sans doute sa façon à elle d’oublier, d’enfermer dans les malles du passé, l’enfant qu’elle avait été au profit de l’adulte qu’elle avait choisi de devenir. Cet instinct de survie pouvait se comprendre et même si, parfois, ses aînées le regrettait, elles avaient fini par l’intégrer.


Daniel, lui, vient juste de repartir de Gironde. Après des mois passés à des milliers de kilomètres de la France, il était prévu qu’il revienne auprès des siens, mais jamais il n’aurait imaginé les tristes circonstances dans lesquelles il allait retrouver ses sœurs. Comme par le passé, il a été une épaule à la fois solide et discrète, a entouré à sa manière les jours d’horreur. Contraint par l’organisation de son régiment, il quitte sa famille à regrets, conscient de rater Yvan à quelques jours près.

Le cadet de la famille arrivera mi-août, lui aussi soumis aux dates de congés octroyés par la grande muette.


Un mélange de pudeur et d’émotion règne quand Yvan arrive chez les Vito. Des embrassades sincères, mais gauches ponctuent les phrases de bienvenue. Plus de deux ans qu’on ne l’avait pas vu, le petit dernier !

Attablé, une tasse de café à la main, il découvre avec fierté la vocation militaire de Guillaume, observe Solène, devenue une vraie jeune femme alors qu’il avait quitté une gamine. Yvan pose quelques questions sur les circonstances du décès de Pascal, s’inquiète de l’état d’esprit de Marianne et de Méline. Sensible et maladroit, il appréhende le moment où il sonnera à leur porte, craignant leurs larmes et son incapacité à les réconforter. Poliment, il s’enquiert aussi de la vie de Marie et Manu, puis, enfin, il pose la question qui lui brûle les lèvres :

– Et la mère ? Et Patrick ? On sait comment ils vont ?

La stupeur des adultes ne le surprend pas franchement et il n’ignore pas le regard noir que lui lance Solène.

– Pas plus que ça ! J’ai bien quelques connaissances communes qui font exprès, quand je les croise en courses, de me parler d’elle. Tu sais, sa façade tient toujours la route, les gens de l’extérieur s’imaginent une brave femme, quand elle leur fait ses sourires mielleux. Mais je coupe court, je ne veux plus entendre parler du passé.


La présence de Solène interdit à Marie de s’avancer davantage sur ce terrain miné. Sa fille sait l’essentiel, c’est désormais un fait établi, inutile d’aller plus avant dans le détail.


Yvan baisse les yeux, sans répondre, alors Marie interprète sa réaction comme le regret d’avoir abordé un sujet douloureux, sans savoir qu’au fond de lui, un autre sentiment prévaut.

Si Yvan a coupé les ponts avec ses parents, ce manque lui est encore cruel. Ses pensées sont encore souvent à Blaye et, comme d’autres enfants de parents mal-aimants, il revit les gestes durs et le manque d’amour, se demandant comment il aurait dû faire pour être respecté. Si sa conscience lui confirme qu’il n’est en aucun cas responsable de cette rupture, son inconscient lui chuchote encore fréquemment que s’il faisait des efforts, sa mère pourrait l’aimer. 


Quoi de pire pour un humain que de ne pas être protégé par la seule personne qui devrait, en bon mammifère, donner sa vie pour protéger son petit ?


Hésitant, Yvan se donne encore une minute de réflexion solitaire et silencieuse pour savoir s’il ira sonner à la porte de la maison familiale. Juste pour saluer Marthe, pour lui montrer qu’il ne lui tient pas rancune du passé, lui signifier qu’il comprend que la mère idéale n’existe pas. Peut-être, alors, lui ouvrira-t-elle les bras…


Le lendemain, Yvan se présente avec ponctualité chez Marianne. Comme pour Isabelle, la distance géographique a induit chez lui une forme de distance affective. Il a beau être sincèrement affecté par le veuvage précoce de sa sœur, par la détresse de sa nièce, trop jeune orpheline, le marin ne peut s’empêcher de penser qu’il ressentirait cette émotion à l’identique pour la femme d’un camarade de régiment qui se trouverait dans la même situation. Après une petite heure de conversation, il accompagne les deux femmes au cimetière, pour saluer une dernière fois celui qui fut son beau-frère. Puis, pressé de d’échapper à cette douleur qui ne lui appartient pas, Yvan avance une visite prévue chez un ancien camarade d’école pour pouvoir disparaître.


En grimpant dans la voiture que Marie lui a prêtée pour la durée de son séjour, Yvan ne sait pas encore dans quelle direction il va prendre. Ce retour en Gironde lui fait ressentir une nostalgie qui, habituellement, ne vient jamais à sa rencontre. Les paysages du passé réveillent en lui l’enfant qui n’avait pas fini de grandir, celui dont les rêves n’ont pas eu le temps d’aboutir.


Soudainement inspiré, le militaire prend d’abord la direction du stade de football qui a vu naître ses premières performances sportives. Élevé à la dure, Yvan était de ceux qui n’avaient pas peur de l’affrontement physique avec un adversaire, fut-il bâti comme une armoire à glace ! Tout le ramène à ses huit ans : la texture de la pelouse roussie par le soleil, la vieille rambarde qui borde le terrain, rongée par la rouille…

Enivré par cette immersion dans le passé, Yvan a envie de revoir l’école primaire du village de son enfance, celle où Madame Lahet, sa maîtresse de CP, lui a appris à lire. Seulement trois kilomètres séparent le stade de l’école, alors il n’hésite pas davantage et reprend le volant.


Après avoir garé son véhicule, Yvan entreprend de faire le tour du bâtiment, jette un œil par la fenêtre, réalise que l’intérieur des classes a entièrement été rénové. La cour de récréation, elle, est restée telle qu’il l’avait connue, autrefois.


Cet élan de nostalgie réactive le sentiment d’abandon qui étreint régulièrement le petit garçon abandonné caché derrière ce colosse.


Mû par une force qu’il ne maîtrise pas, Yvan se décide enfin à prendre le chemin qui mène à la maison de son enfance.


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11 commentaires

belledandie

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Il y a 2 ans

Je viens de lire tous les chapitres d'une traite tant j'ai été happée par cette histoire...vivement la suite!!!

Sylvie Marchal

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Il y a 2 ans

Merci mille fois ! C’est juste mon plus beau cadeau 🥰!

Monica Bellucci

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Il y a 2 ans

Une maman, quel que soit son comportement, reste celle qui nous a mis au monde. Cela créée un lien unique. L'enfant à besoin de la reconnaissance de sa mère. Lorsqu'il ne l'a pas, il culpabilise et se demande ce qu'il a fait de travers...

Sylvie Marchal

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Il y a 2 ans

Merci Patrick pour ce regard ! Je trouve aussi cette douleur bien cruelle pour un enfant, même s’il est devenu adulte …

Monica Bellucci

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Il y a 2 ans

Au fond de soi, on reste un enfant toute sa vie...

User230517

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Il y a 2 ans

Chacun est blessé à sa manière par les moments négatifs de sa vie mais il est incompréhensible de revenir sur des lieux de souffrance

Hanna Bekkaz

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Il y a 2 ans

Le retour des cadets, merci de nous donner de leurs nouvelles en ces circonstances 🙏 Marthe aura abimé chacun, marqué de sa griffe le destin de quiconque dans son sillage...

cedemro

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Il y a 2 ans

Pourquoi faut-il que ce monstre attire encore sa progéniture !? J'espère que cette rencontre lui révélera enfin l'amplitude de sa laideur et qu'il la fuira comme tous ces autres enfants. C'est Méline qui mérite l'attention, pas cette chose immorale (même la qualifier de bête serait une insulte à mes yeux en ce moment) !
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