Fyctia
Chapitre 51
Comme chaque mardi, Méline termine son cours d’équitation à vingt heures et Pascal l’attend, confortablement installé dans sa 306 Peugeot flambant neuve. Dans l’habitacle, la musique résonne et la voix de Freddy Mercury parvient à filtrer jusqu’à l’extérieur. Cette habitude fait sourire Méline et lui donne l’impression que son père reste un éternel adolescent.
Lorsqu’il la voit arriver au loin, le visage de Pascal s’éclaire d’une fierté non dissimulée. La jeune femme que Méline est en train de devenir le ravit ! Elle est gentille, aimable, soucieuse des autres et son esprit est brillant. Que demander de mieux pour des parents ? De brillantes études ? Des amours qui sauront être à la hauteur ?
C’est bien ce dernier point qui inquiète Pascal depuis près d’une semaine. En l’espace d’une journée, Méline s’est assombrie, brusquement, comme tombée sous la foudre d’un orage d’été. Il la connaît par cœur, sa fille ! Et il n’a pas manqué d’observer la légère distension de ses relations avec Solène, habituellement si bonnes. Voilà des jours entiers qu’il se questionne, imagine les raisons de clair-obscur qu’il ne connaissait pas. S’il a bien tenté d’en parler à Marianne, il s’est vite fait rabrouer, la mère de famille trouvant normal qu’une jeune fille puisse avoir ses secrets et vivre quelques déconvenues. « Elle sait qu’elle peut compter sur nous, elle saura nous solliciter si elle en ressent le besoin ! ».
Alors, quand Méline annonce à son père, sur la route du retour, qu’elle ira faire du shopping avec Solène le lendemain, Pascal fronce les sourcils, se rappelant des propos un peu secs de sa nièce sur ce même mercredi, sur son impossibilité à accompagner Méline. Prenant sur lui, il s’astreint à ne pas faire remarquer ses doutes et pousse sa fille un peu plus loin dans ses retranchements :
– Super ! Tu sais que demain, je ne travaille pas. Veux-tu que je vous amène à Bordeaux en voiture ? Ce serait plus sympa pour vous que ces vieux transports en commun, non ?
– Ah ! J’avais oublié que tu étais repos demain ! Bah, écoute, c’est gentil, mais prends du temps pour toi, fais la sieste ou bouquine un peu ! C’est bien qu’on soit autonomes maintenant, avec Solène, et qu’on vous laisse un peu souffler ! répond Méline, consciente de l’énormité de son mensonge et lucide sur le fait qu’il lui faudra convaincre sa cousine de donner la même version des faits avant le prochain repas de famille.
– Pas de problème, ça m’aurait fait plaisir !
Méline s’empresse de changer de sujet de conversation, questionne son père sur le repas du soir et sur le programme télé qu’ils pourront ensuite partager.
Toute la soirée, Pascal observe sa progéniture du coin de l’œil et ce qu’il voit ne lui plaît pas. Bien qu’elle essaie de donner le change, le jeune fille monte en pression au fur et à mesure que le temps s’écoule.
Dans la tête du père de famille, un plan s’échafaude, lentement. Il ne laissera pas sa fille affronter de trop grands tracas seule, il faut qu’il comprenne de quoi il retourne. Demain, il la suivra, à distance, pour savoir si c’est bien à Bordeaux qu’elle se rend. Il s’inquiète surtout d’une éventuelle mauvaise rencontre avec un garçon, d’une histoire sombre qu’elle hésiterait à leur confier. Il sera là, à ses côtés, prêt à l’épauler.
Sur la route départementale qui longe l’autoroute roule un bus presque vide. De moins en moins de passagers utilisent ce transport vieillissant et préfèrent circuler seuls dans leur véhicule, loin de voisins bruyants ou mal-élevés. Derrière le mastodonte se trouve une Fiat panda noire et, un peu plus à distance, la 306 de Pascal.
Même s’il n’est pas très fier de sa stratégie, il se rassure en se disant que la fin justifie les moyens. Il a confiance en sa fille, mais perçoit l’importance de son récent changement d’attitude.
Quand le bus effectue un arrêt à Blaye, Pascal reste au loin, mais il ne peut rater le sac à dos rouge de sa fille lorsque celle-ci apparaît sur le trottoir.
Blaye… en aucun cas, elle ne peut être là pour faire du shopping, le lieu est bien trop rural. Et si elle avait rendez-vous avec un jeune homme, il aurait sans doute été présent près du vieil abribus en béton, pour l’accueillir.
Lentement, presque sournoisement, une idée commence à poindre dans l’esprit du père de famille. Il la refuse, la rejette, mais elle revient, comme les rouleaux de l’Atlantique ramènent inlassablement l’écume sur le sable.
Blaye, berceau de la famille de Marianne, lieu du malheur de sa femme et de sa fratrie… C’est bien le seul lien qui lui apparaît, alors, rapidement, Pascal décide de garer sa Peugeot devant la mairie, à une petite centaine de mètres de là où se trouve sa fille. Il continuera les investigations à pied, en prenant garde de ne pas se faire repérer.
Méline marche d’un pas décidé pendant quelques dizaines de secondes puis se fige brusquement devant une maison vieillissante. La pharmacie qui lui fait face lève le voile sur ce mystère, car s’il n’est jamais venu chez Marthe, les descriptions des lieux que son épouse avaient pu faire correspondent. Le visage de la femme qui ouvre la porte à Méline est encore plus édifiant ! Au loin, Pascal semble apercevoir un clone de Marianne, plus âgée d’une bonne vingtaine d’années. Le doute n’est plus permis !
Hésitant entre se ruer dans la direction de sa fille, puis lui hurler dessus à pleins poumons, ou courir prévenir sa femme pour décider avec elle de la gestion de crise, il serre les poings et s’oblige à calmer sa respiration. Conscient que Méline ne court aucun danger immédiat, il opte pour la deuxième solution et se précipite, en sens inverse, vers le parking sur lequel il venait de se garer.
En ce milieu d’après-midi, Marianne sera encore au bureau de Poste, mais il pourra y entrer sans difficulté et demander à lui parler quelques minutes. Il grimpe dans sa voiture, effectue un rapide demi-tour et s’engage rapidement sur la départementale, en direction de Libourne.
Pressé, Pascal accélère. Il est tellement surpris et déçu par la cachotterie de sa fille qu’il marmonne tout seul, pour extérioriser sa colère et ses craintes. Plus que deux kilomètres et il atteindra son but !
Plus que deux virages et il entrera dans le bourg.
Là, Pascal jette un œil sur le compteur et réalise qu’il roule à près de trente kilomètres-heure au-dessus de la limite autorisée. Agacé, il appuie fermement sur la pédale de frein pour faire décélérer son véhicule, mais, par malheur, il n’a pas encore eu le temps de s’habituer à son nouveau véhicule, à ses réactions. Le freinage est beaucoup trop brutal, la voiture réagit en faisant une grande embardée.
En plein milieu du virage, Pascal tente d’en reprendre le contrôle, mais sans succès.
La 306 décolle, s’enroule dans un premier envol et ricoche contre un platane qui borde la route. Puis, comme dans un cauchemar, deux nouveaux tonneaux s’ensuivent, jusqu’à ce que le véhicule aille s’encastrer dans un autre tronc, soixante mètres plus loin.
15 commentaires
Hanna Bekkaz
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Il y a 2 ans
SandNémi
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Il y a 2 ans
Caroline Verdugo
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Il y a 2 ans
MALET Daniel
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User230517
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Il y a 2 ans
Karen Kazcook
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Sylvie Marchal
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cedemro
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Monica Bellucci
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Il y a 2 ans