Sylvie Marchal Marie Chapitre 50

Chapitre 50

Le moteur du bus qui rugit sous les coups d’accélérateur maladroits du chauffeur comble le silence qui vient de s’installer entre les deux cousines. Si Solène ne décolère pas, dégoûtée par le discours simpliste de Marthe et la rapidité avec laquelle elle s’est dédouanée des douleurs portées par ses enfants, Méline est plus hésitante, son esprit ricoche d’une rive à l’autre d’un torrent d’hypothèses. Peut-être Marthe a-t-elle aussi beaucoup souffert et cette mise à distance des faits n’est que le symptôme de son instinct de survie ? Peut-être n’a-t-elle pas vraiment su l’entièreté des sévices subis par ses enfants ? Elle en sait l’essentiel, mais est-ce suffisant ?


D’habitude si proches, les deux cousines se sont presque fâchées :

– Reconnais quand même que pour obtenir ces photos de nous, elle a dû se démener, non ? insiste Méline.

– Mais enfin ! À quel moment c’est compliqué de demander ça à la fille d’une voisine ? Au pire, elle essuyait un refus, elle n’est pas partie faire la guerre, quand même ! rétorque Solène.

– Oui, mais ça signifie qu’elle pense toujours à nous, qu’elle aurait aimé nous voir grandir ! Et puis je la trouve agréable ! Elle parle avec gentillesse, elle nous pose des questions sur nos vies, mais surtout, j’aime bien ce qu’elle dégage ! Elle est vivante, coquette, bien plus féminine que le sont nos mères et bien plus que nous ne le deviendrons jamais, avec l’éducation un peu coincée qui est la nôtre. J’aurais adoré que ma mère soit comme ça, avec des fringues colorées et un peu sexy, des boucles d’oreilles qui sortent de l’ordinaire… J’aurais été super fière qu’elle vienne me chercher au lycée !

– Putain Méline ! Mais tu entends les horreurs que tu racontes ? Réfléchis, fais quelque-chose !

– Oh, tu te calmes un peu ? On y retourne encore mercredi prochain et après ça je me ferai vraiment fait un avis !

– Hors de question d’y repartir. Moi, c’est bon, j’ai compris qui est cette femme et je n’y refous pas un pied ! Je dirai à Guillaume de laisser tomber, on ne va pas se mettre en difficulté en essayant de régler nos comptes avec elle, elle n’en vaut pas la peine. Je pense qu’elle n’a jamais pris conscience de sa responsabilité dans ce que ses enfants ont vécu et elle n’en sera jamais capable. Je préfère qu’on se concentre sur le vieux. La décérébrée, je la laisse où elle est ! s’enflamme Solène.


À la descente du bus, les cousines se saluent avec fraîcheur et chacune repart, le cœur lourd, dans sa maison.


Dès le lendemain, Solène profite de la cabine téléphonique du lycée pour appeler Guillaume, lui déverser en vrac ses ressentis ainsi que ses souhaits pour la suite des événements. Convaincu que sa sœur a raison, il ne lutte pas et accepte de ne pas prendre de risques en construisant une vengeance contre Marthe pour se consacrer entièrement à leur cible ultime.


Le dimanche suivant, un soleil éblouissant réveille Solène à travers les lames de ses volets. Dix heures, déjà ! Elle qui aime se réveiller aux aurores est surprise de voir cette horaire tardif s’afficher sur les chiffres rouges de son radio-réveil ! Le stress des semaines passées n’est sans doute pas étranger à tout cela, elle perçoit parfaitement cette fatigue nerveuse qui la poursuit et enchaîne ses pensées autant que son corps.


En arrivant à la cuisine, la jeune femme aperçoit ses parents qui s’affairent à préparer des plateaux de tapas et une marinade pour le poulet qui cuira sur le barbecue :

– On va manger tout ça ? C’est énorme, les quantités ! questionne-t-elle.

– Mais non, chérie ! J’ai oublié de te le dire mais j’ai eu Marianne au téléphone, hier en fin d’après-midi et je leur ai proposé de venir passer la journée au jardin avec nous. Avec une météo pareille, hors de question de se priver d’un repas en famille ! répond Marie.


Devant le silence de sa fille, cette dernière s’étonne un peu :

– Tu n’as pas l’air ravie ! Je pensais que passer encore du temps avec ta cousine te comblerait ! Je me suis trompée ? Y-a-t-il quelque chose qui te chiffonne ?

– Non, non ! Rien du tout. Je pensais avoir la journée tranquille pour bosser sur un projet pour mon club d’écriture ! ment Solène.

– Alors, tu t’excuseras auprès des invités et tu disparaîtras dans ta chambre dès que tu auras fini de manger…


Au son de la voix de sa fille, à peine plus grave que d’habitude, Marie a parfaitement perçu le mensonge, mais, bienveillante, elle se donne le temps de l’observation et renonce à un interrogatoire en règle. Après tout, les filles peuvent bien avoir leurs secrets et se permettre quelques chamailleries de temps à autre.


La fin de matinée s’écoule avec un peu de stress et un léger pincement au cœur pour Solène. Même si elle en veut un peu à sa cousine d’avoir réfléchi avec tant de naïveté, elle se refuse à être spectatrice d’une déchirure familiale supplémentaire imposée par son aïeule. Après réflexion, Solène se dit qu’elle marquera le coup auprès de Méline quelques jours encore, le temps de s’assurer que celle-ci ne retourne pas à Blaye mercredi prochain, puis elle fera un pas vers elle, pour apaiser la situation et permettre à leur complicité de vivre à nouveau.


Une heure durant, Solène s’enferme dans sa chambre et en profite pour écrire. Prendre le stylo et poser des mots sur le papier, voilà qui la soulage, depuis l’enfance. Au-delà d’une thérapie, c’est une nécessité absolue, vitale, une façon de libérer son esprit, de faire le tri dans ses émotions et d’éclairer le monde qui l’entoure. Un quart d’heure avant l’arrivée de Méline, Pascal et Marianne, elle soulève la pile de tee-shirts qui cache habituellement sa prose, glisse sur l’étagère de son armoire son cahier-confident et retourne auprès de ses parents, apaisée.


Pour l’apéritif, Méline s’installe spontanément sous le cerisier, sur la chaise qui jouxte celle de Marie, alors que Solène part s’asseoir à côté de son oncle Pascal. Les adultes s’échangent des sourires complices, heureux de voir les adolescentes entrer pleinement dans leur monde.


Pascal, qui considère Solène comme sa deuxième fille, connaît parfaitement les dernières évolutions de sa vie :

– Et la fac, alors ? Tu commences à y voir plus clair pour la rentrée prochaine ? Tu hésites encore entre lettres classiques et lettres modernes ? Sacré dilemme, mais je suis certain que tu sauras faire le bon choix !

– Tu sais, tonton, je commence à me dire que prof, c’est pas un métier qui me conviendrait. Par contre, vivre au milieu des livres, ça, c’est évident, c’est pour moi ! s’enthousiasme Solène.

– J’ai confiance en ta force de caractère, petit bulldozer ! Tu travailles tellement que ça se passera bien ! Mais, n’oublie pas de te détendre un peu ! Tu sais ce qu’on dit, qui veut voyager loin ménage sa monture ! Méline m’a dit que vous retourniez faire les magasins, mercredi ?

– Mercredi ? Impossible pour moi, je fête un anniversaire chez une camarade de classe, donc pas de shopping pour moi ! Et j'espère que Méline n'ira paslance Solène, fermement.





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9 commentaires

lausand

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Il y a 2 ans

Bel éclairage sur la psychologie de là grand mère et les répercussions sur ses petits enfants

Amphitrite

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Il y a 2 ans

Débloquée!

Sylvie Marchal

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Il y a 2 ans

Merci mille fois !

Karen Kazcook

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Il y a 2 ans

Oh non, les cousines doivent se réconcilier et laisser tomber la vieille toupie !!

cedemro

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Il y a 2 ans

Voilà que les problèmes pointent leur nez une fois de plus. Cette divergence entre Méline et Solène n'a pas échappée à Marie et là Solène vient d'exposer sans le vouloir leur plan à Pascal je crois bien...

Ryan Reynolds

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Il y a 2 ans

Amazing story 😍

User230517

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Il y a 2 ans

Voici un cas typique de rupture famille causé par les manigances d'un manipulateur. Isoler pour mieux régner

Caroline Verdugo

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Il y a 2 ans

Quelle tristesse de voir les cousines se disputer pour l’autre 😢
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