Fyctia
Chapitre 48
Toujours vissé sur sa chaise de plastique vert, Manu patiente, un magazine à la main, quand Marie réapparaît à l’autre bout du couloir. En levant le nez, il aperçoit sa femme qui arrive vers lui, le visage fermé. Pour ne pas commettre d’impair, il la laisse approcher et attend qu’elle soit assise à côté de lui pour lui poser la question qui lui brûle les lèvres :
– Alors doucette, quelles sont les nouvelles ? Tu en sais un peu plus ?
– Pas vraiment, mais le radiologue a été plus clair que le généraliste sur ce qu’il recherche. Le docteur Poiret m’a bien causé de mes reins, mais en restant évasif. Au moins j’aurais pu me préparer psychologiquement. Là, on me parle d’une possible masse ! lance Marie d’une voix tremblante.
– Chérie ! Je suis d’accord avec toi, il aurait pu appeler un chat un chat, mais ça fait dix jours que tu me parles de cancer, donc tu t’es préparée au pire ! Et tu sais ce que je te dis…
– Oui, je sais ! « Tant qu’il n’y a rien… y’a rien ! ». Mais là, ça devient insupportable, cette attente !
– Il n’a pas évoqué d’autres possibilités qui expliqueraient tes analyses de sang ?
– Si. Il a parlé d’émotions intenses qui peuvent parfois dérégler les paramètres du corps humain. Mais en ce moment, tout va bien ! Les enfants ne nous causent pas de soucis, Guillaume est casé, il n’a plus les mauvaises fréquentations qu’il a eues par le passé, Solène est hyper facile, toi, n’en parlons pas…
– Tu plaisantes, Marie, j’espère ?
– Ben, non ! Pourquoi ?
– Mais parce que depuis que je te connais, je t’ai vue absorber des doses de stress qui ne sont pas humaines ! Oui, aujourd’hui, globalement, ça va ! C’est pas parce que les derniers mois ont été un peu plus calmes que ta vie est « ordinaire », pour autant qu’une vie puisse l’être ! Tu veux que je te rappelle ce par quoi tu es passée depuis notre rencontre ? Et la période d’avant, je ne t’en parle même pas ! Ce ne serait pas étonnant que ton corps profite finalement de cette accalmie pour relâcher les hormones de stress emmagasinées depuis toujours ! Je sais que tu ne veux pas qu’on en parle, c’est un accord tacite que je respecte, d’habitude ! Mais là… Excuse-moi de ne pas vouloir faire l’autruche ! Oui ton organisme a morflé et c’est une certitude.
Marie baisse la tête et encaisse les paroles de son époux. Il a raison, elle le sait, mais il lui est insupportable de l’entendre évoquer ces moments du passé qu’elle a enfouis, des vérités qu’elle a déposées dans un coffre cadenassé.
Profitant du silence de sa femme, Manu reprend :
– Bon, on va affronter les choses de face, une à une. Ce scanner, tu auras les résultats quand ?
– Dans l’heure qui vient. Le gars doit regarder les images, apparemment il y a déjà jeté un œil, mais il m’a dit vouloir l’avis d’un collègue.
– Alors, on attend et on voit. Et je viendrai avec toi dans son bureau, histoire de…
Lentement, les minutes s’égrainent, Marie et Manu se taisent. Main dans la main, ils communiquent en silence, se soutiennent, se comprennent. Cette communion perdure depuis des années, se renforce, même. Chacun est la plus grande chance de l’autre, la lumière qui passe à travers leurs fêlures, les embellit, les sublime. L’épreuve qu’ils vivent aujourd’hui n’est qu’une étape supplémentaire dans leur couple, une couche de ciment qui vient se rajouter à leur union.
– Allez ma caille ! On garde le sourire, le malheur ne peut pas toquer à la même porte à chaque fois ! On va passer notre tour, laisser la maladie aux gens d’une autre galaxie, et nous, en sortant d’ici, on ira jouer un ticket de loto. Tu imagines tout ce qu’on pourra vivre avec les millions de francs qu’on va gagner ?
– Vas-y, fais-moi rêver ! On en fera quoi, de cette fortune ? répond Marie, heureuse de se prendre au jeu et de quitter, le temps d’un instant, cette réalité qui la poursuit.
– Facile ! Déjà, on part en voyage, pour souffler un peu. Nous, les enfants, mais aussi Marianne, Pascal et Méline. On pourrait même inviter tes frères et Isabelle. Pour la destination, je ne serai pas pénible, je te laisse le choix, à condition qu’il y ait des plages de sable blanc, de l’eau translucide, mais pas de requin, un bar à volonté, un jet-ski…
– C’est la base ! Le petit voyage qui permet de se recentrer sur soi et de ne pas tout dépenser de manière impulsive, à cause du choc psychologique ! sourit Marie. Et après ?
– Après ? On achètera une grande maison en Bretagne, immense ! Tu l’aimes tellement, ce sentier des douaniers ! On ira s’y promener chaque jour, ou presque. On donnera de l’argent à des associations, celles qu’on choisira ensemble ! Tu donneras pour quelle cause ? continue Manu.
Marie ne répond plus, son esprit divague. Aider des associations, pourquoi pas, mais ce qui la rendrait heureuse, plus que tout au monde, serait de créer une fondation pour l’enfance. Acquérir un château, avec un beau parc arboré, recruter des personnels qualifiés et bienveillants, créer une maison d’enfants, une vraie. Pas une copie de celle des religieuses qui l’avait accueillie, même si cette rupture avec sa famille lui avait donné quelques semaines d’oxygène.
Une voix masculine la tire de ses pensées :
– Madame Vito ? Veuillez me suivre, je vous prie ! lance le radiologue.
– Je peux l’accompagner ? Je suis son époux ! demande Manu.
– Pas de problème, si Madame en est d’accord.
Marie opine du chef et se lève, lentement. Elle a conscience que ce qui se dira de l’autre côté de la porte du bureau peut faire basculer le cours de sa vie, d’un instant à l’autre. Blême, elle franchit la dizaine de mètres qui la sépare de ce qu’elle aperçoit, au loin, comme étant la chaise du condamné. Elle s’y installe, raide et angoissée, silencieuse.
– Bon, Madame, permettez-moi d’aller rapidement dans le vif du sujet. Comment vous sentez-vous ?
– Euh, inquiète ! murmure Marie.
À ces mots, le radiologue sourit, un peu narquois :
– Pardonnez-moi, il est vrai que ma question n’était pas claire. La fatigue, sans doute ! Ce que je vous demande, ce sont vos symptômes, ce que vous ressentez physiquement. C’est le versant clinique de l’interrogatoire, pour valider définitivement ce que nous avons vu sur les images.
Marie, blessée par l’arrogance du médecin, se ressaisit :
– Pas très difficile, je dors mal, j’ai mal au ventre, au dos, je suis sur les nerfs depuis ces histoires d’examens médicaux…
– Depuis que vous avez des examens à passer ? Ou avant, peut-être ? Parce que vous n’êtes pas malade, à proprement parler. Vos glandes surrénales ont marqué le coup après trop de stress, sans doute. Un traitement médicamenteux devrait faire l’affaire. Mais il va falloir apprendre à gérer vos émotions, Madame, sans ça… Des événements récents difficiles ?
À ces mots, Manu analyse rapidement la situation. Bien que soulagé d’entendre ces nouvelles rassurantes, son cerveau ne peut s’empêcher de faire le lien entre ce qu’il sait du passé de Marie et l’impact que cela a encore sur elle, chaque jour. Et cette idée lui est insupportable.
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cedemro
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Il y a 2 ans
Karen Kazcook
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Il y a 2 ans
Caroline Verdugo
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User230517
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marco
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mariecrt
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Geraldinedewt
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Marjococo
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Mikwg
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Il y a 2 ans