Sylvie Marchal Marie Chapitre 46

Chapitre 46

Pour masquer leur agitation, Solène et Méline se sont placées face à face et font mine d’être en grande conversation :

– Fais semblant de rire, imagine que je viens de te raconter une blague d’enfer ! lance Méline.

– Ben oui, c’est si simple ! rétorque Solène, prise de panique.


Méline attrape sa cousine par le bras et la fait pivoter, afin qu’elle ne se trouve plus face à Marthe. Hors de question que le regard de la jeune fille se fixe sur elle pendant qu’elle parcourt les dernières dizaines de mètres qui les séparent.


– Quand elle sera à quelques secondes de nous, je te prends par le bras et on s’engage sur le chemin en sens inverse, comme si on quittait le parcours. On s’avance, on la croise, on la salue comme n’importe quel promeneur et on applique le plan !

– Je ne suis plus sûre d’en être capable ! hésite Solène

– Arrête de te laisser bouffer par le stress ! Rien ne pourra aller correctement tant qu’on n’aura pas brisé ce silence, ces secrets qui ont éclaté notre jeunesse, à nous aussi. Et puis, il n’y aura pas forcément de grosses conséquences. Si on estime que la vieille est à peu près hors de cause, on arrêtera ça et on se penchera ensuite sur le cas du vieux ! tente Méline, pour la rassurer.

– Hors de cause, c’est vite dit et…


Un geste brusque de Méline interrompt Solène, la pousse en avant pour s’élancer sur le petit chemin. Comme l’une n’est plus vraiment en état de parler, l’autre prend le relais et jacasse sans interruption. Chaque cousine se raccroche au regard de l’autre, aucune n’ose poser les yeux sur celle qui a défini, à distance, une si grande part de leur vie.


Le jeune binôme n’est plus qu’à trois mètres de Marthe, plus aucun son ne sort de leur bouche. Seul le crissement des semelles de leurs chaussures résonne dans leurs oreilles.


Dans leur plan initial, il appartenait à Solène de reconnaître sa grand-mère, Marie étant plus à même que Marianne d’avoir conservé de vieilles photos de famille, mais quand les filles arrivent enfin à la hauteur de leur grand-mère, Méline sent la main de sa cousine trembler contre son bras. Ce qu’elle redoutait se produit, Solène est incapable de lever le nez et de regarder Marthe en face.


Les corps se croisent, le destin semble vouloir s’échapper quand soudain, une voix douce et calme se fait entendre dans leur dos :

– Mesdemoiselles ! Excusez-moi !

Les filles se raidissent et stoppent leur progression. Marthe vient de les interpeller !

– Oui ? répond Méline en se retournant.

– Je suis désolée de vous interrompre, mais je ne peux pas m’en empêcher ! Vous allez me prendre pour une folle, sans doute, mais je…

– Pas de problème, Madame, qu’y a-t-il ? poursuit Méline.

– Je m’appelle Marthe Legrand. Est-ce que mon nom vous dit quelque chose ? demande la promeneuse, d’une voix émue.


Solène comprend ce qui se joue. Puisque la vie lui donne une chance qu’elle n’avait pas su saisir quelques instants plus tôt, c’est qu’il faut désormais foncer sans se poser de questions.


Avec une expression de surprise sur le visage, elle scrute chaque réaction de sa grand-mère :

– Marthe Legrand ? Mais alors, vous êtes… Mais comment nous avez-vous reconnues ?

– Solène, Méline, mon Dieu… Si j’avais pu imaginer un jour pouvoir vous croiser, vous rencontrer ! J’ai toujours pensé à vous et j’ai quelques photos à la maison. J’avais demandé à une amie de Marie, dont la maman vit à côté de chez moi, d’avoir la gentillesse de me donner de vos nouvelles, de temps en temps. Il y a quelques années, elle a même pris l’initiative de me donner une dizaine de clichés de mes petits-enfants. Bien entendu, vous avez grandi, mais vos beaux visages se reconnaissent bien. Et il faut dire qu’en plus, vous ressemblez beaucoup à vos mamans !


Marthe semble s’être pris un uppercut en plein visage, elle est sonnée, ko debout. La sincérité qui émane de ses propos donne confiance aux filles, elles sentent qu’elles peuvent marquer l’avantage, alors Solène enchaîne :

– Donc vous pensez à nous ? Vous ne nous avez pas oubliés, Guillaume et nous ?

– Mais jamais de la vie ! Comment le pourrais-je ? Les histoires de famille sont toujours compliquées, vous êtes désormais assez adultes pour le deviner, et ce qui est sûr, c’est que je pense chaque jour à mes petits-enfants qui grandissent loin de moi. Enfin, loin de mes yeux, parce que vous savoir à quelques dizaines de kilomètres sans pouvoir profiter de vous, c’est une douleur de tous les instants ! déballe Marthe, en apnée.


Un long silence s’installe, laissant la sexagénaire les yeux humides, la bouche entrouverte, comme si elle cherchait ses mots. Les deux cousines se taisent, chacune espérant que l’autre vienne débloquer la situation. Une fois encore, Marthe les sauve :

– Si j’osais ! Je ne veux pas vous mettre en porte-à-faux, mais ce n’est peut-être pas le hasard qui nous a permis de nous croiser ! J’ai toujours cru au destin, et là, c’est un cadeau du ciel ! J’aurais tellement de questions à vous poser, j’ai tant envie de savoir qui vous êtes, de découvrir vos projets, vos envies ! Je me doute bien que vous avez dû entendre des choses désagréables sur moi, mais si vous nous donniez une chance de faire connaissance… Vous ne seriez pas forcément obligées d’en parler à vos parents ! Est-ce-que vous accepteriez de venir à la maison, un jour, pour un goûter par exemple ?

– Merci, c’est… Enfin, ce que je veux dire, c’est que nous sommes très touchées, hein Méline ?

– Carrément, remuées, même !

– C’est un peu gênant de mentir à la famille, c’est vrai ! Mais en même temps, nous aussi, entre nous, les petits-enfants, on a souvent parlé de vous, c’est pas banal, une grand-mère qui vit pas loin de nous et qu’on ne connaît pas ! annone Solène.

– Je comprends, les filles. Loin de moi l’idée de vous forcer la main, mais sachez que vous êtes les bienvenues. Vraiment. Je vous laisse mon adresse, mon numéro de téléphone et vous serez libres de décider de la suite des événements.


Du fond de son sac, Marthe extrait un petit calepin, un stylo et griffonne ses coordonnées à la hâte.

Pendant ce temps, Méline s’est accroupie et caresse la tête de Coki, le croisé griffon, impassible au bout de la laisse qui le relie à sa maîtresse.


– Tenez, prenez ce papier et faites-en ce qui vous semblera le mieux. Je peux simplement vous dire que Coki et moi, on serait ravis de vous connaître. Et puis, s’il vous plaît, arrêtez de me vouvoyer, ça me fait trop mal au cœur !


L’échange a été serein et c’est avec beaucoup de simplicité que les trois femmes se saluent puis se séparent.


Dès que Marthe pénètre dans la forêt, Méline ne peut dissimuler sa joie :

– Et dire qu’on a failli passer à côté sans réussir à se présenter ! Incroyable ! C’est elle qui nous a tendu la perche, l’univers nous envoie un signe !

– Complètement de ton avis ! On va la laisser mariner un peu, se faire désirer et dans trois ou quatre jours, on l’appelle pour lui proposer de se voir mercredi prochain !




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9 commentaires

cedemro

-

Il y a 2 ans

Mon esprit tordu me suggère que Marthe n'est pas totalement honnête... J'ai comme l'impression qu'elle espionne ses filles depuis un bon moment déjà. Je commence à avoir peur pour la suite.

Karen Kazcook

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Il y a 2 ans

J'ai presque pitié de la vieille, tiens. Tu es forte pour nous retourner !

Rose Lb

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Il y a 2 ans

Cp!

User230517

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Il y a 2 ans

Le destin est bizarre... Mais il peut être fourbe

Chantal90

-

Il y a 2 ans

Déçue par ce chapitre, qui semble un tantinet bâclé et manquer cruellement de réalisme. Cette rencontre est trop facile. Depuis le début, Marthe est décrite comme une sorcière alcoolique, nymphomane, "salope", méchante et égoïste, qui est presque plus fautive qu'Ernest et ici elle se comporte en grand-mère éplorée, quelque chose m'échappe. Marthe serait-elle finalement différente de l'infâme portait qu'on dresse d'elle jusque là ? Hâte de lire la suite.
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