Fyctia
Chapitre 43
Guillaume rejoint sa sœur sur la plage, le regard plus déterminé que jamais :
– Méline est de mon avis, il est temps de mettre chacun face à ses responsabilités. On va commencer par se pencher sur le cas de Marthe. Pour le vieux, c’est presque moins urgent, on sait exactement ce qu’on lui reproche. Tu as découvert une adresse qui ne doit plus être la bonne, mais ça restera une piste solide pour le trouver, le moment venu. S’il est encore vivant, je lui ferai la peau.
La voix de Guillaume ne tremble pas, son regard se voile, comme si son esprit s'était momentanément absenté. Solène, choquée par les propos de son frère, marque un temps d’arrêt puis se reprend :
– T’es devenu dingue ! Merde, Guillaume, t’as même pas fini ton école de gendarmerie et tu veux atterrir en cabane ? Et maman, tu as pensé à elle ? Comment veux-tu qu’elle se remette d’un truc pareil, si tu passes à l’acte ? Elle se sentira forcément responsable, ça la tuera !
– Et nous, si on ne fait rien, si on les laisse s’en tirer, on va survivre comment ?
Le silence de Solène en dit long sur ses pensées, sur son incapacité à trouver un quelconque contre-argument à renvoyer à son frère. Sa raison lui dicte de réfréner leurs instincts vengeurs, mais son cœur, son corps, ses tripes… Tout fait résonner en elle ce besoin irrépressible qu’elle ne nomme pas vengeance, mais justice !
Et si Guillaume avait raison ? Sa formation militaire lui donnerait de précieux outils, des compétences techniques et légales qui lui permettraient sans doute de mener cette action à bien, sans laisser de traces ? Et si le jeune homme était réellement capable de dissimuler un crime en le faisant passer pour un accident ? Marie ne serait jamais consciente de l’intervention de ses enfants dans le trépas de son père.
Encouragé par l’absence de réponse de sa sœur, Guillaume s’enhardit et commence à réfléchir à haute voix. Et s’il provoquait un accident de voiture, une chute dans un escalier, une ingestion de produit toxique ? Sans doute pourrait-il masquer son crime puis continuer sa vie sans heurts, enfin apaisé. Il envisagerait alors de se marier, de fonder une famille, de faire ses choix de carrière. Il prendrait soin, plus tard, de ses parents vieillissants, sans jamais leur révéler l’acte accompli pour l’honneur de Marie.
Avec plus d’assurance, le jeune homme reprend la parole :
– Pour le vieux, c’est même pas la peine de discuter, je m’en occuperai, le moment venu. Pour Marthe, on a deux options. Soit on l’approche à visage découvert, pourquoi pas Méline et toi, version fleurs et pompons. Ce pourrait être le retour inespéré de deux petites-filles vers leur grand-mère dont on les a privées, dont elles ne savent rien, si ce n’est les phrases couperet de leurs mères respectives. Méline et toi êtes encore des ados, on peut imaginer qu’à cet âge difficile, vous êtes en pleine rébellion contre vos parents, que vous cherchez à aller contre leur avis. Ce serait donc pour cette raison que vous aimeriez la connaître, pour « rattraper le temps perdu ». À ce moment-là, vous pourriez l’amener lentement mais sûrement à se prendre les pieds dans le tapis, quand elle vous ferait ses confidences. On a besoin de savoir ce qui s’est passé dans sa tête pour qu’elle ne protège pas ses filles. Si elle doit payer, on doit analyser ce qu’elle est et décider ensemble du sort qu’on lui réservera.
– D’accord, ça c’est ta première option. Et la seconde ? questionne Solène.
– La seconde, c’est d’imaginer une intrusion discrète dans sa maison pour tout fouiller. Il doit exister de vieux courriers des services sociaux, ou on peut tomber sur le dossier constitué par un avocat quand elle et Legrand ont divorcé, par exemple. Peut-être même un journal intime ! Imagine la mine d’or que ça représenterait ! se prend à rêver le jeune gendarme.
– Tu crois vraiment que cette femme qui n’est quasiment pas allée à l’école et qui, apparemment, passe le plus clair de son temps à faire la bringue, prend le temps de s’asseoir et de sortir sa plus belle plume pour poser ses états d’âme sur un joli papier ? J’y crois pas un seul instant.
– Tu as sans doute raison, mais si je te propose aussi cette option, c’est parce que c’est la moins coûteuse humainement pour Méline et pour toi. Aller se jeter dans le gueule du loup, même pour mieux l’abattre, c’est forcément violent pour vous, pour votre santé mentale. On ne sait pas comment cette folle va réagir, ni les horreurs qu’elle va dégueuler sur nos mères. Même si vous savez que c’est faux, que c’est de la haine gratuite, vous n’en sortirez pas indemnes.
– D’un côté, tu as raison. Mais si on veut être efficaces, on ne doit pas lésiner sur les moyens. Toi, tu te sens prêt à abréger les jours du vieux et tu as peur pour nous à l’idée qu’on parle avec une personne toxique ? Je me permets de te faire remarquer que si Méline et moi acceptons de faire cette démarche, on pourra carrément mettre en œuvre les deux stratégies dont tu parlais. On cuisinera discrètement Marthe, mais on aura aussi accès à sa maison sans avoir besoin de se cacher. Quand l’une de nous lui parlera, l’autre pourra fouiner, sous prétexte d’aller aux toilettes par exemple ! argumente Solène.
Le frère et la sœur viennent à cet instant de signer un pacte avec le diable, sans avoir conscience que leurs élans spontanés peuvent les amener bien au-delà du supportable. Leurs idéaux de justice sont portés par la naïveté de leur jeunesse, leur lucidité est entachée par les douleurs que leurs mères leur ont transmises malgré elles.
Solène, motivée comme jamais, reprend :
– Je me charge de convaincre Méline que ce plan d’attaque est le meilleur. Reste à trouver par quel moyen on rentre dans la vie de Marthe. Lui dire que nos mères nous tapent sur le système, qu’on a besoin de retrouver notre grand-mère, passe encore. Mais on ne va quand même pas aller sonner à sa porte pour lui raconter ça, c'est vraiment pas crédible.
– Bien entendu ! J’ai déjà ma petite idée sur le sujet !
– Vas-y, accouche, tu m’intéresses !
– Elle sort souvent, elle voit beaucoup de monde, apparemment ? commence Guillaume.
– Oui, et alors ?
– Elle a forcément des habitudes en extérieur, comme boire un café dans un bar avec une amie, faire une marche au bord de l’eau, aller à un club de danse pour les vieux… Je ne sais pas encore où la trouver, mais elle a forcément des endroits de prédilection. Si on trouve ces lieux, les moments où elle s’y rend souvent, il suffirait de tomber sur elle « par hasard ». Elle ne pourra pas t'identifier, la dernière fois qu’elle t’a vue, tu étais bébé. Mais imagine que maman ait gardé une photo d’elle, parce qu’il y avait Yvan ou Isabelle dessus. Toi, tu ferais semblant de tomber des nues, de la reconnaître, tu irais à sa rencontre, bouleversée…
– Et là, murmure Solène, elle nous ouvrirait grand les bras, trop heureuse de faire du mal à maman et à Marianne en leur volant ce qu’elles ont de plus cher ! L’amour de leurs filles...
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Sarah B
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Il y a 2 ans
Sylvie Marchal
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Il y a 2 ans
cedemro
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Il y a 2 ans
Caroline Verdugo
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Il y a 2 ans
User230517
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Il y a 2 ans
Karen Kazcook
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Il y a 2 ans
kleo2790
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Il y a 2 ans
SandNémi
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Il y a 2 ans