Sylvie Marchal Marie Chapitre 40

Chapitre 40

Les frimas de l’hiver piquent le visage de Guillaume. Habitué à la douceur du climat océanique de sa Gironde, il se fait surprendre par ce vent de terre glacé. Immobile, il observe le portail de l’école de sous-officiers de la gendarmerie, à Tulle. Après son service militaire en brigade départementale, le jeune homme a trouvé sa voie. L’adrénaline, l’absence de routine, il vit cela comme une évidence. L’année de formation sera rude, mais cela en vaut la peine. Guillaume a vingt ans, à peine, et se réjouit d’être bientôt dans la vie active.


Depuis sa plus tendre enfance, le jeune homme présente un sens aigu de la justice. Dans la cour de l’école, déjà, il était redresseur de torts au service des plus faibles. Ses lectures d’adolescent, faites de super-héros et défenseurs de l’univers en tous genres, ont renforcé ses idéaux. Il aime l’uniforme et l’idée de se former au maniement des armes.


Perdu dans ses pensées, Guillaume ne perçoit pas la présence dans son dos. Une main large et solide s’abat sur son épaule.

– On hésite avant d’entrer, on n’est plus trop sûr de vouloir se frotter à la discipline militaire ? lui lance un grand gaillard roux, musclé comme un taureau.

– Bah… si ! Tu commences aussi l’école de sous-off aujourd’hui ? répond Guillaume.

– Tout juste ! Je m’appelle Sébastien Tellier , j’arrive de Besançon.

– Enchanté ! Tu es mon premier camarade rencontré en école de gendarmerie ! J’espère qu’on pourra s’entraider !


Guillaume ne pense pas si bien dire. Sébastien et lui logeront dans la même chambre d’internat, ce qui leur permettra d’étudier ensemble. Rapidement, Guillaume démontre de réelles aptitudes dans le maniement des armes et Sébastien devient un expert des procédures. Une complémentarité sans faille. 


Lors de leurs permissions, les garçons rentrent parfois dans leurs familles et, d’autres fois, ils y renoncent, désireux d’éviter les longs trajets en voiture. Lorsqu’ils restent à Tulle, Guillaume découvre la vie noctambule. Marie, mère-poule dans l’âme, lui autorisait bien quelques sorties, mais elle veillait toujours à venir le récupérer afin d’éviter un accident, une mauvaise rencontre. Le jeune homme s’alcoolisait modérément, ne voulait pas heurter sa mère.


Libéré de ce regard protecteur, Guillaume s’abandonne. La dernière sortie en boîte s’est soldée par une bagarre sur le parking. Le lendemain, la discussion a été houleuse entre Guillaume et Sébastien ;

– Tu te rends compte ? Si on ne t’avait pas arrêté, t’aurais presque tué ce mec à coups de poings ! Tout ça pour une nana qu’il draguait en même temps que toi !

– C’est bon, Seb. Merci pour hier, mais lâche-moi, pas envie d’en reparler. J’avais juste trop bu, je ne me contrôlais plus. Pas de quoi en faire des caisses. Et on n’est pas entraînés pour devenir des ballerines, non plus !

– Mais c’est quoi ce discours à la con ? Aucun rapport entre notre job et ce que tu as fait hier. Ça t’est déjà arrivé avant le centre de formation ?

– Non, même s’il m’arrive d’avoir les nerfs à fleur de peau, alcool ou pas.

– Mouais ! Mais vu ce que je connais de toi, on pourrait s’attendre à ce que tu aies plus de calme et de bon sens.

– Sans doute. Mais j’ai toujours été réactif, je te dis. C’est de naissance !


Sébastien fronce les sourcils, mais devine qu’il ne sert à rien de pousser la réprimande plus avant. Il a le sentiment que Guillaume se confie, en filigrane.


La nuit suivante, Guillaume dort mal, à l’internat. Son comportement violent, sur le parking de la boîte de nuit, lui en rappelle un autre : une crise de nerfs qui l’avait emporté au « Nuit-Blanche », dans la banlieue de Bordeaux. Le jeune homme avait dix-sept ans et s’était rendu en discothèque, en cachette. Il avait prétexté dormir chez Stéphane, camarade de lycée et en avait profité pour découvrir la liberté. Au bar, il avait reconnu Denise, une quadragénaire, amie d’enfance de Marie qui était venue à quelques occasions à la maison.

Les deux femmes s’étaient un peu perdues de vue, sans se fâcher. Guillaume et Solène ne s’en étonnaient pas. Ils avaient tous deux remarqués que si leur mère avait bon cœur, ses relations avec les « autres » semblaient lui coûter et que, de ce fait, elle les laissait souvent s’étioler. Ça aussi, ils le trouvaient normal.


Debout devant le zinc, Guillaume avait observé Denise, un peu trop maquillée, heureuse de sa sortie nocturne. Le jeune homme, gardant un bon souvenir de l’amie de sa mère, était allé la saluer. Le sourire lumineux de la quadra l’avait replongé instantanément dans le passé, lorsqu’elle venait passer une après-midi avec ses deux filles chez Marie et Manu.

– Salut ! Tu me reconnais ?

– Guillaume ? évidemment ! Tu as grandi, mais tu n’as pas tant changé ! Quelle joie de te revoir ! Comment va ta sœur ? Et tes parents ?

La conversation s’était engagée, chacun voulant connaître le présent et les projets de l’autre. Après une dizaine de minutes à bavarder, Guillaume avait enfin osé poser la question qui lui brûlait les lèvres :

– Je sais que maman et toi, vous n’êtes pas fâchées. Mais pourquoi vous avez arrêté de vous voir, alors ? Je sais que maman ne fréquente pas grand-monde et souvent, les relations s’arrêtent, comme ça, sans raison.

– Tu sais, Guillaume, les difficultés de ta mère, tu ne devrais pas t’en mêler !

– S’il y a quelque chose à comprendre, à savoir, c’est sa famille qui devrait être au courant, non ? Pas toi ou d’autres gens. Alors de quoi ne dois-je pas me mêler ?

– Ton père sait la vérité, je pense.

– Putain ! Et moi alors ? s’était emporté brusquement Guillaume.


Devant la réaction épidermique du jeune homme, Denise s’était figée. En son for intérieur, elle savait qu’il avait raison. Sa propre mère, ancienne voisine de Marthe, lui avait tout raconté, pourquoi le couple avait divorcé, ce qui s’était raconté dans le quartier, à l’époque.

Elle savait. Comme sa propre mère savait.


Dans un grand soupir, Denise accepta de lancer une demi-réponse, pire qu’une bombe :

– C’est trop dégueulasse. C’est pas à moi de t’en parler.


Guillaume, blême, était sorti de la discothèque. Son ami l’avait retrouvé sur le parking, se défonçant les poings contre le crépi des murs. Il avait fallu de longues minutes pour le ramener à la raison.


Guillaume avait deviné, entre les lignes, même si les mots ne pouvaient pas encore venir se plaquer sur cette réalité qu’il pressentait depuis toujours. Les silences de sa mère, cette angoisse viscérale qu’elle avait pour eux, pour leur corps ? Cette pudeur maladive ? Son placement chez les sœurs ?


Les enfants ont des dons pour deviner ce qu’on leur cache. Guillaume s’en voulait de ne jamais avoir accepté d’accueillir ses pressentiments, de s’être voilé la face.


Ce que le futur gendarme voulait désormais savoir, c’était l’étendue du drame vécu par sa mère. Jusqu’à quel seuil du « dégueulasse » allait-on ?


Qui était coupable ?

Qui était complice ?

Qui savait et n’avait jamais parlé ?


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7 commentaires

cedemro

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Il y a 2 ans

Voilà que le petit-fils s'en mêle... Son expertise du maniement des armes annonce une possible vengeance, surtout avec son tempérament explosif expliqué dans ce chapitre...

User230517

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Il y a 2 ans

Les secrets de famille sont souvent perçus par les "héritiers" des traumas. Une sorte de mémoire génétique https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/644214/memoire-transmission-generations

jeannedlbcq

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Il y a 2 ans

Oh j'espère qu'il va réussir à se contrôler et ne pas reproduire ce même schéma.

Isabelle Barbé

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Il y a 2 ans

Moi aussi....

alainD

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Il y a 2 ans

Aïe comment va t'il réagir quand il apprendra toute l'histoire?

Hanna Bekkaz

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Il y a 2 ans

Le trauma comme un héritage transgénérationnel, autre héritage, la violence... Ce récit nous fait explorer bien des facettes de l'humain, plutôt habile pour captiver le lecteur sur cette histoire sordide, et néanmoins touchante.
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