Sylvie Marchal Marie Chapitre 39

Chapitre 39

– Baisse le son, Solène ! Ton frère a des devoirs à faire !

– Oh ça va ! maugrée la fillette, mettant « Like a prayer » en sourdine.

Madonna est son idole, elle aimerait lui ressembler, mais c’est sans compter sur la vigilance de Marie qui surveille l’image de sa fille comme le lait sur le feu. «  Tu ne sais pas de quoi le monde est fait ! » lui répète-t-elle sans cesse.


Les années passent à une vitesse folle, les enfants sont devenus des adolescents heureux et les adultes vivent un quotidien bien huilé. Marie et Marianne se fréquentent avec bonheur, leurs maris s’apprécient. Solène et sa cousine Méline sont élevées en sœurs. Daniel et Yvan, tous deux marins, restent en contact de loin en loin avec la petite tribu. Isabelle est devenue couturière, elle a déménagé à Paris où elle vit seule, mais heureuse.


Marthe, elle, habite toujours dans la maison de Blaye, Patrick y dort de temps à autre, quand ses minima sociaux ne lui permettent plus de se nourrir. Un lien étrange unit ces deux êtres, une forme d’interdépendance entre un champignon et son hôte. Difficile, d’ailleurs, d’identifier qui est le parasite de l'autre, chacun entretenant les psychoses de l’autre.


Si Marie a régulièrement cherché du travail, son manque de confiance en elle, ses angoisses enfouies, la peur du jugement d’autrui… tout a fait que ses démarches n’ont abouti qu’à des contrats de quelques semaines, sans projet d’avenir. Son issue de secours, c’est le bénévolat. Entrée presque par hasard au secours populaire, la jeune femme prend plaisir à oublier ses propres blessures pour prendre soin de ceux qui sont le plus en douleur, ceux que la vie a encore plus lourdement heurtés.


La famille Vito vit modestement, mais correctement, du salaire d’Emmanuel et offre le meilleur à ses enfants. Des vacances à la mer en été, quelques sorties, tout est mis en œuvre pour ne pas reproduire la non-éducation des Legrand.

Le dimanche, les familles de Marie et Marianne se retrouvent autour d’activités communes, de grandes marches au bord de l’océan ou en forêt, suivies d’un repas joyeux. En fin de journée, les enfants aiment se nicher dans la caravane remisée au fond du terrain, en attente de l’été suivant. Là, ils se confient leurs bêtises de la semaine, leurs secrets, mais aussi parfois leurs inquiétudes.


Ce dernier dimanche du mois d’août sonne l’heure de la rentrée au collège. La chaleur de cet été 1989 reste étouffante. Guillaume arbore fièrement son nouveau tee-shirt Adidas, Méline et Solène portent, comme souvent, la même tenue, chacune dans une couleur différente. La robe débardeur de Méline est jaune fluo, celle de sa cousine est orange, en harmonie avec le soleil de ce début de soirée. Les filles ont insisté pour rester ensemble jusqu’après le repas du soir, les parents ont cédé, heureux de ces moments partagés.


Pour la première fois, assise derrière la petite table pliante en formica de l’Ondia, Méline ose une question :

– Vous savez, vous, pourquoi on ne sait pas grand-chose sur notre famille du côté Legrand ? Leur mère est vivante, on l’a croisée en courses, elle est venue vers nous et maman s’est énervée, elle m’a attrapée par l’épaule pour faire demi-tour. J’ai eu peur de sa réaction, je ne l’avais jamais vue comme ça, alors j’ai pleuré. En arrivant à la maison, elle s’est excusée et m’a dit qui était cette dame qu’elle ne voulait plus la voir. Qu’elle était mauvaise. Et que je ne devais pas vous en parler !

– Oui, ça, on sait qu’elle est vivante. Maman ne nous l’a pas caché, elle nous a juste dit que cette Marthe était quelqu’un de méchant et qu’elle leur avait fait vivre une enfance qu’elle préférait oublier, que c’est pour cela qu’elle avait mis un couvercle là-dessus et que même si « la vieille » était encore de ce monde, elle la considérait comme morte ! explique Guillaume.

– Pour leur mère, admettons. Mais leur père ? On ne sait même pas son prénom, ni s’il est encore vivant. Si la vieille était une sale bête, sans doute que leur vieux aussi. Il ne devait pas valoir beaucoup plus cher que sa femme ! renchérit Solène.

– Il a dû leur cogner dessus, ou être un sacré alcoolique, quelque chose comme ça ! rajoute Méline.

– Certainement, mais ça arrive dans d’autres familles et je ne suis pas sûre que le silence soit aussi important ! C’est peut-être pire que ça ! Imaginez ! Il a tué quelqu’un ? Si ça se trouve, il a été mis en prison, ou il y dort encore ! lance Guillaume.

– En tous les cas, je ne sais pas ce qu’il a fait, mais c’est forcément grave ! poursuit Méline. Le soir de cette rencontre avec la vieille, je me posais encore pas mal de questions. J’étais à table avec papa, maman amenait le repas. J’ai hésité, mais je me suis dit que c’était maintenant ou jamais, après avoir aperçu sa mère ! Alors j’ai demandé « Et ton père, c’était quoi son prénom ? ». Et là, maman est devenue toute blanche et le plat lui a échappé des mains. La moitié du repas est parti sur la nappe. J’ai cru qu’elle allait me hurler dessus, et finalement, même pas ! Elle a fait demi-tour sans un mot et elle est partie s’enfermer dans la cuisine.


Les hypothèses vont bon train, chacun émet une hypothèse pour expliquer cette omerta. Les conversations vont encore bon train quand, sourire aux lèvres, Marianne passe la tête par la porte de la caravane : « Méline, un bisou aux cousins, c’est l’heure de partir ! »


Méline s’exécute et lance un clin d’œil à Solène et Guillaume, pour leur signifier qu’en bons fans des Goonies, ils sauront mener leur enquête.


Le surlendemain, Guillaume quitte le collège à pied. Il n’a plus cours depuis quinze heures et sa mère s’active au local du Secours Populaire. La maison sera vide, son père est au travail et Solène encore en classe.


Arrivé devant la maison, il attrape la clé de la porte d’entrée, attachée à l’intérieur de son cartable. D’un geste désinvolte, il jette son sac dans l’entrée et part directement dans la chambre de ses parents. Là, il entreprend une fouille méthodique des lieux. Guillaume se doute que s’il peut trouver une information, ce sera dans cette pièce, d’habitude interdite d’accès, ou au grenier, fermé à clé en permanence.

Rien sous le lit. Rien non plus dans les tiroirs des tables de chevet. Le jeune homme ne trouve pas davantage d’indices dans la commode, ouvre la boite à bijoux sans percevoir le léger renflement sous le tissu d’habillage. Dans l’armoire parentale, des piles entières de vêtements ont pris possession des lieux. Par acquit de conscience, Guillaume entreprend de transférer le linge sur le lit, pour y voir plus clair. Alors qu’il pensait ne découvrir aucun trésor, une pochette cartonnée apparaît derrière une ultime pyramide de lainages. Tremblant, il s’assied et l’ouvre.


Il y découvre le livret de famille de ses parents, avec, en haut, un nom. Ernest Legrand. Puis une enveloppe jaunie par le temps. À l’intérieur, un courrier d’une religieuse qui évoque le séjour en maison d’enfants d’une certaine petite Marie.




Tu as aimé ce chapitre ?

11

11 commentaires

cedemro

-

Il y a 2 ans

Et voilà que les enfants réveillent un passé qui devrait rester enfoui pour leur propre intérêt... Le destin est cruel !

Monica Bellucci

-

Il y a 2 ans

On a tous cherché à un moment où un autre à savoir d'où l'on venait. C'est important pour e construire. Et quand il y a des secrets de famille, rien de tel pour attiser la curiosité. J'espère seulement qu'ils n'iront pas jusqu'à prendre contact avec lui.

sophie loizeau

-

Il y a 2 ans

L âge de curiosité des enfants, jusqu où vont ils aller dans leurs decouvertes

Karen Kazcook

-

Il y a 2 ans

Ah les enfants...

User230517

-

Il y a 2 ans

Les cadavres cachés au fond des placards ressurgissent tôt ou tard

Delf Lgd

-

Il y a 2 ans

Tout semble paisible…quand soudain 😱 Viiiite la suite 🙏🏻
Vous êtes hors connexion. Certaines actions sont désactivées.

Cookies

Nous utilisons des cookies d’origine et des cookies tiers. Ces cookies sont destinés à vous offrir une navigation optimisée sur ce site web et de nous donner un aperçu de son utilisation, en vue de l’amélioration des services que nous offrons. En poursuivant votre navigation, nous considérons que vous acceptez l’usage des cookies.