Sylvie Marchal Marie Chapitre 38

Chapitre 38

Une voiture la frôle puis la klaxonne, laissant le conducteur terrorisé à l’idée d’avoir manqué de renverser une passante. Quelle inconscience de traverser ainsi la rue en courant, sans même regarder autour de soi !

Laurette atterit sur le trottoir après un monumental vol plané et termine sa course à plat ventre, les bras endoloris de s’être mis en protection du bitume.


Un homme âgé se précipite, s’assure qu’elle va bien :

– Rien de cassé, Madame ? Voulez-vous que j’appelle les pompiers ? Ne bougez pas trop, on ne sait jamais !

– Je n’ai rien, aidez-moi à me relever, s’il vous plaît ! Je veux juste rentrer chez moi ! sanglote Laurette, la main en sang et le collant déchiré.

– Mais Madame, après une chute pareille, vous devriez voir un médecin !

– Ce que je veux, c’est rentrer chez moi et ne plus voir personne. Attendre que mon mari rentre et me reposer.

– Votre mari est au travail ? Voulez-vous qu’on le prévienne ?

D’un geste de la main, Laurette refuse, incapable d’expliquer que son mari est en garde à vue.


Au commissariat, dans le bureau de l’officier de police judiciaire, Legrand est assis sur une chaise, près d’un mur délabré sur lequel subsiste quelques plaques de peinture jaune. 

– Alors mon coco ? Toujours rien à nous dire sur les motifs qui t’ont poussé à pénétrer au domicile de Triolet ?

– Je vous le répète, c’est l’abus d’alcool qui m’a emmené là où je n’aurais jamais dû aller. Vous voulez quoi ? Que je lui présente des excuses ? Je peux ! Pas de soucis !

– C’est pas des excuses qu’il attend ! Avec la nuit qu’il a passée, ce qu’il demande, c’est que tu atterrisses devant un juge !

– Mais c’est quand même pas si grave ! Faut pas exagérer !

– Il me semble que c’est pas à celui qui porte les menottes de définir ce qui est sérieux ou non. D’ailleurs, on a creusé un peu sur toi ! Tu vivais en Gironde, avant. C’est bien ça ?


Les neurones de Legrand s’affolent. Qu’ont-ils trouvé à son sujet ? Des traces de ses déviances ? Il tente de se rassurer, persuadé que si tel était le cas, on serait venu l’arrêter à son domicile depuis bien longtemps.


– Oui, j’ai déménagé il y a quelques années. Et alors ? brave le cador déchu.

– Et alors ? On a appelé nos collègues du bordelais, tu as une plainte au cul qui est restée lettre morte. Tu n’avais pas donné ta nouvelle adresse, petit filou !

– Et de qui elle est, cette plainte ? ose Legrand, persuadé que l’attaque reste la meilleure des défenses.

– Un garagiste à qui tu n’aurais pas payé ton dû !


À ces mots, Ernest redresse ses épaules et retrouve son air supérieur :

– Ah ! Ça ? Un simple oubli de ma part, il ne m’a jamais relancé, sinon ce serait réglé depuis longtemps ! De l’argent, j’en ai, avec mon épouse ! On a un petit bas de laine, héritage de sa maman. Désormais, vous avez mon adresse, il n’a qu’à m’envoyer la facture, je le paierai dans la semaine.

– Ben voyons ! Prends-nous pour des ânes, en plus ! Quel dommage d’avoir des trous de mémoire ! En attendant, dis-toi que maintenant que nous avons fait connaissance, on prendra soin de rester près de toi, histoire d’avoir de tes nouvelles !


Legrand retrouve la raison et se décide enfin à adopter une attitude plus adaptée. Il n’a plus aucune envie de provoquer les policiers orléanais et de leur donner des motifs pour creuser plus avant sur son passé. Legrand n’oublie pas la lettre anonyme qui avait dénoncé son comportement incestueux, ni les rumeurs qui avaient couru dans le village. Si tout cela avait été classé sans suite, il n’était pas forcément nécessaire de retourner la merde, de prendre le risque que les filles, devenues adultes, soient interrogées et capables, peut-être, de faire éclater la vérité.


Tracassé par cette éventualité, Legrand entend l’officier de police judiciaire lui parler comme dans un rêve, la voix amortie par la distance de ses pensées :

– Vous serez donc convoqué chez le juge à une date ultérieure. Je ne peux que vous conseiller de vous attacher les services d’un avocat, ça vous sera utile. En attendant, vous pouvez rentrer chez vous.


Legrand salue poliment ses geôliers, puis décide de rentrer chez lui sans tarder. Ces quelques heures, menottes au poignet, soumis à la pression d’autres hommes le mettant en situation d’infériorité, cela lui est insupportable. Il sent renaître en lui la peur que son propre père lui infligeait, la nuit.


Fatigué, en colère contre lui, en rage contre la terre entière, il rentre chez lui en claquant la porte. La journée touche à sa fin, Laurette a déjà baissé les volets et allumé les lampes du salon. Trois heures déjà qu’elle est rentrée, qu’elle a soigné les plaies sur ses bras après être tombée en courant dans la rue, bouleversée par les révélations de Philippe. Elle a bien réfléchi, Laurette. Pas un mot de ce qui s’est dit entre son frère et elle n’atterrira dans les oreilles de son mari. Hors de question de rajouter de l’huile sur le feu, mais il ne lui sera pas possible non plus de pardonner à Philippe son acte violent. Comment a-t-il osé se mêler de sa vie privée, s’en prendre aussi lâchement à son époux ? Il aurait pu venir leur parler franchement, à découvert, s’il avait été plus courageux !

Effondrée, Laurette a bien conscience qu’en fermant la porte à son frère, elle perd la seule famille qui lui reste, mais elle n’envisage pas d’autre solution.


Terrassée par le traumatisme que son mari a subi au commissariat, l’épouse modèle ne le presse pas de questions. Elle se lève, part à sa rencontre et lui ouvre les bras. Legrand, toujours silencieux, vient s’y réfugier. Il lui caresse les cheveux, le dos, respire son parfum. Laurette est son havre de paix, son pilier, celle qui le sauvera de tous ses démons.


Plantés au milieu du salon, ils sont toujours enlacés quand le mari desserre enfin les dents :

– Tout va bien, tu sais. Je ne sais pas ce qui m’a pris. Enfin, si ! Je t’aime et je ne supporte pas l’idée qu’un autre homme puisse t’approcher. Le courrier qui était sur la table, hier, c’était un message anonyme disant que Triolet avait des vues sur toi ! Je ne douterai jamais de toi, mais une colère noire contre lui m’est venue. Alors, j’ai claqué la porte pour aller m’expliquer avec lui. Je n’aurais jamais dû !

Laurette fait mine de croire de mensonge, elle feint d’ignorer les courriers anonymes, ceux dont Philippe a avoué être l’auteur.

– Et la police ? Ça ira ?

– Pas de soucis, c’est rien de grave. Je serai convoqué plus tard, sans doute pour écoper d’une amende. Le hic, c’est que la plainte de Triolet a fait remonter à la surface une vieille histoire que j’avais complètement oubliée ! Je suis parti de Gironde en laissant une dette dans un garage automobile, faudrait que je règle ça rapidement. Le plan épargne de ta mère, il se monte à combien, exactement ?

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10 commentaires

cedemro

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Il y a 2 ans

Et voilà qu'il va extorquer la pauvre Laurette. La dette ne semble pas minime... Je déteste tellement cet homme !

sophie loizeau

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Il y a 2 ans

Quelle déception, mais c est tellement difficile pour les victimes de se croire victimes...

User230517

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Il y a 2 ans

On y est. Le pervers profite de sa victime dans tous les domaines...

Karen Kazcook

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Il y a 2 ans

Profiteur de dingue 🤦🏻‍♀️

Delf Lgd

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Il y a 2 ans

Holala mais Laurette ouvre les yeux !!!

Caroline Verdugo

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Il y a 2 ans

Quel culot et quel manipulateur

Hanna Bekkaz

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Il y a 2 ans

Quelle crapule ce type ! Laurette devient son propre bourreau en choisissant de soutenir ce monstre et d'écarter son frère.

Isabelle Barbé

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Il y a 2 ans

Pauvre Laurette, ne lui confie pas tes économies, il ne te mérite pas ce manipulateur ignoble.
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