Sylvie Marchal Marie Chapitre 37

Chapitre 37

Laurette prend une tasse de thé, debout dans sa cuisine. L’idée de son mari se battant pour une autre femme lui est insupportable. Elle tourne en rond, hésite à le réveiller, à lui demander des explications quand elle est tirée de ses réflexions par des coups frappés à la porte. Il est à peine huit heures. Qui peut bien oser venir si tôt ?

À travers le judas, elle aperçoit deux hommes :

– Messieurs, bonjour. C’est pour ?

– Police, Madame. Ouvrez.

Livide, convaincue que c’est en lien avec la bagarre de la veille, Laurette s’exécute.

– Vous êtes Madame Legrand ?

– Oui, mais…

– Où est votre époux ? Il est au domicile ? demande le plus petit des deux, forçant un peu la porte pour entrer dans le corridor.

– Il dort encore, je…

– Guidez-nous, on vous suit jusqu’à la chambre.

Comme un robot, la femme obéit et parcourt les quelques mètres qui les séparent d’Ernest.

Le mari est déjà assis dans le lit, alerté par les voix masculines. Il sait que ce sont les forces de l’ordre et il devine qui les envoie.

– Monsieur Legrand, levez-vous, habillez-vous et suivez-nous. Nous avons reçu une plainte de M. Gérald Triolet pour intrusion à son domicile, cette nuit, et agression. Le médecin de garde aux urgences cette nuit lui a prescrit quinze jours d’ITT. C’est sérieux.


Legrand ne moufte pas, obéit. Laurette le regarde, incrédule. S’il s’est battu avec son ancien camarade, ce n’est sans doute pas pour une femme. Alors que reste-t-il ? Des problèmes d’argent ! Presque rassurée, elle laisse son époux s’éloigner, encadré par les deux policiers.


Arrivé au poste de police, Legrand est pressé de questions. Quels griefs a-t-il contre son ancien ami ? Pourquoi ne se fréquentent-ils plus ? Avaient-ils des intérêts communs qui seraient devenus des conflits ? Un petit trafic, peut-être ?


Les idées s’entrechoquent dans l’esprit d’Ernest, il sait qu’il lui est impossible d’évoquer l’agression qu’il a subie dans le parc, tout comme il doit taire les messages anonymes qui le mettent en garde pour l’avenir :

– Ben, je sais pas comment vous expliquer ce qui m’a pris ! J’ai trop bu hier soir, ça arrive ! J’ai pas été très cohérent, je me suis mis en colère pour rien, pour des vieux souvenirs. Je croyais qu’il avait le béguin pour ma femme, c’est pour ça qu’on avait pris nos distances ! Et puis, le whisky là-dessus, ça pique !

– Pas très cohérent, votre histoire ! D’après la victime, ça fait presque deux ans que vous ne vous fréquentez plus ! C’est un peu tard pour vous réveiller, non ? Autant vous dire que vous allez rester encore un peu avec nous.


Pendant que Legrand tente de faire face à ses accusateurs, Laurette s'est réfugiée chez son frère. Agnès est déjà partie travailler, alors Laurette s’ouvre sans détours à Philippe.


Blottie dans un coin du canapé, elle ose enfin lui déverser toutes ses inquiétudes, lui raconter par le menu l’enfer de ces derniers mois. L’agression d’Ernest juste avant Noël, dans le square, la marque sur sa joue, son air inquiet et suspicieux, comme s’il se sentait épié. La bagarre de cette nuit, sans doute avec la même personne que celui qui lui a infligé sa cicatrice. L’hypothèse d’une maîtresse dans les bras de son mari, puis la plainte de Gérald Triolet qui ne cadre pas avec ses suppositions :

– J’en deviens folle, Philippe, je te le jure. J’aime Ernest de tout mon cœur, je ne supporte pas l’idée de ne pas comprendre ce qui lui arrive.

– Es-tu certaine de ne pas comprendre ce qui se passe ? Ton mari est un homme compliqué, violent, même. On le sait tous les deux et cette bagarre en est la preuve. Je m’inquiète pour toi, ton avenir avec lui me semble impossible.

– Comment peux-tu parler ainsi ? C’est des à-priori, tu le croises peu souvent, vous ne discutez pas beaucoup !

– Je n’ai aucune envie de le connaître davantage, Laurette ! Tu crois que je suis aveugle ? Que je ne vois pas les traces de coups sur ton corps, même quand tu essaies de les dissimuler derrière des manches ou un foulard ?


Laurette, saisie, devient incapable de toute réponse. Mentir ne sert à rien, elle le sait. Il y a trop de connivence entre son frère et elle pour qu’elle puisse espérer le berner.


– Et Agnès, elle le sait ? Tu lui en as parlé ?

– Non, elle m’a déjà fait quelques allusions sur ton mari. Elle a connu un homme violent avant moi, ça lui rappelle de mauvais souvenirs, donc je ne m’étends pas sur mes doutes. Enfin, quand je dis « doutes », je ferais mieux d’appeler ça des certitudes. Alors je te le demande en toute franchise : quitte ce monstre, sans délai. On pourra t’héberger, tout le temps nécessaire. On t’aidera pour les papiers du divorce, l’argent, tout ce dont tu pourrais avoir besoin.

– Qui te dit qu’il ne changera pas ? C’est vrai qu’il traverse une mauvaise passe, il boit un peu trop. C’est pour ça que parfois, ça dégénère. Mais ça se soigne, tu sais !

À ces mots, devant une Laurette qui n’en croit pas ses yeux, Philippe fond en larmes :

– Mais c’est juste dingue ! Tu ne comprends rien et lui non plus ! J’ai tout tenté mais on ne va jamais s’en sortir !

– Qu’est ce que tu essaies de me dire ? Tu as tenté quoi ? s’inquiète Laurette.

Philippe sanglote de plus belle, il a du mal à reprendre sa respiration. Entre deux hoquets, il poursuit :

– Je voulais lui faire peur, juste ça ! Pas le blesser !


Laurette se fige, les pièces du puzzle se mettent en place dans son esprit :

– Tu veux dire que, dans le parc, l’agression... ?

– C’était moi ! Je te demande pardon, je voulais juste l’effrayer, qu’il comprenne ce que c’était de ne plus être le chasseur, mais la proie ! J’avais prévu de lui glisser un mot de menace dans la poche, et un ou deux coups, pour qu’il s’en souvienne. Dans la vie quotidienne, il me fait peur. Vraiment. Mais ce soir-là, j’ai eu le dessus sur lui. Plus que ce que j’aurais pu imaginer. Et à cet instant, l’assurance que j’ai ressentie, la peur qui se dégageait de lui… Je suis devenu comme fou. J’avais pris un cutter au fond de ma poche pour ma sécurité, au cas-où il aurait été plus costaud que prévu. Et là, ma main a touché le métal, quand il était au sol, et la haine a pris le pas sur la raison. Je me suis comporté comme mon instinct me le dictait.


Laurette reste muette, les yeux écarquillés. Philippe poursuit :

– Et peu de temps après cette triste nuit, nous sommes venus chez vous, pour le repas de Noël. Tu avais encore une trace de coup sur le bras, sous du fond de teint. Ton salopard de mari n’avait rien compris. Alors, j’ai continué à lui écrire, pour tenter de l’effrayer, qu’il sache qu’on le surveillait. Et puis, j’ai fini par me dire que s’il ne comprenait pas mes messages, c’est qu’il ne savait peut-être même pas de quels maux on lui parlait. Je commence à penser que ton mari, au-delà de la boisson et de la violence, a forcément plusieurs secrets. Il a causé du tort à d’autres personnes, c’est une évidence. Reste à savoir qui, et quoi.

– Philippe, tu n’as pas osé ? C’est toi le monstre ! s’écrie Laurette en quittant précipitamment l’appartement.



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16 commentaires

cedemro

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Il y a 2 ans

Philippe n'aurait pas dû faire ces aveux à Laurette. La pauvre est aveuglée par son amour... Je sens que les choses vont bientôt partir en vrille si Ernest apprend la vérité d'une quelconque façon.

Karen Kazcook

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Il y a 2 ans

Whaou Philippe !

sophie loizeau

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Il y a 2 ans

Philippe sent bien qu il y a bien plus qu un secret, j espère que Laurette arrivera à faire la part des choses

sophie loizeau

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Il y a 2 ans

Alors là, quelle surprise, le frère de Laurette, chapeau bas

MALET Daniel

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Il y a 2 ans

Il n'y a pas que de l'encre dans votre plume...

User230517

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Il y a 2 ans

https://youtube.com/watch?v=sIM3KLAXekg&si=EnSIkaIECMiOmarE

User230517

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Il y a 2 ans

Les personnes sous influence ont beaucoup de mal à réaliser la gravité des sévices qui leur sont infligés. Veux qui prennent leur défense peuvent provoquer des réactions de rejet à leur égard. Cf. Laura Rapp sur le net et en tant qu'amie sur fb.

Monica Bellucci

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Il y a 2 ans

Peut-être que Laurette va taire ce qu'a fait Philippe par peur des représailles...🤔

Monica Bellucci

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Il y a 2 ans

Bon bah, Philippe ne va pas avoir l'effet escompté. Sa sœur va plaindre son mari et en vouloir à son frère. 🙄 Argh! Qui va arriver à arrêter ce salaud?

Hanna Bekkaz

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Il y a 2 ans

Quelle révélation ! Philippe, je l'avais pas vu venir lui 😁 L'étau se resserre autour d'Ernest, c'est bon ça !
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