Sylvie Marchal Marie Chapitre 36

Chapitre 36

Quelques courses traînent encore sur le sol, Marie n’a pas eu le temps de ranger ses emplettes dans les placards. La sonnerie du téléphone l’interrompt, mais avec Guillaume qui court autour d’elle et Solène dans les bras, la jeune femme n’a pas le temps d’atteindre l’appareil. Elle repart à sa tâche lorsque les tintements aigus retentissent à nouveau. Marie rabroue son fils pour qu’il se calme, pose sa fille dans le parc puis décroche :

– Marie ! Est-ce qu’il est chez toi ?

À l’autre bout du fil, Marthe semble agitée. On ne saurait dire si elle est inquiète ou en colère.

– Qui ? Yvan ? Patrick ? Tu aurais été au courant si j’étais venue chercher l’un des deux ! Il se passe quoi, exactement ?

– Patrick et Yvan se sont battus, pour je ne sais quelle raison. Quand j’ai voulu les séparer, Yvan m’a repoussée et il s’est enfui. Patrick est dans sa chambre, il refuse d’en sortir et de me dire quoi que ce soit !

– Comment ça, « battus » ? Ils se sont chamaillés ou c’est allé plus loin que ça ?

– On aurait dit de vrais chiffonniers ! Ils se sont mis de mauvais coups !

– Est-ce que quelqu’un est parti à la recherche d’Yvan ?

– Ben non. J’espérais qu’il était chez toi !


À ces mots, Marie ressent à nouveau cette haine profonde envers sa génitrice, incapable de protéger ses enfants, mais elle maîtrise sa colère. Elle se contient, au moins le temps de régler cette urgence :

– Je remets les petits dans la voiture, je fais le trajet entre chez toi et chez moi, c’est pas impossible que je le trouve au bord de la route. Toi tu fais le tour de ton quartier, voir s’il est planqué par-là.


Marie attrape Solène et Guillaume dans ses bras, claque la porte et court jusqu’à sa voiture. Elle roule vite, elle a hâte de se rapprocher de Blaye. Si son jeune frère est parti depuis peu de la maison, il sera sans doute plus proche de chez lui que de chez Marie. Son intuition est juste. À deux kilomètres de Blaye, elle aperçoit, assis sur un talus, une silhouette fine. Des cheveux noirs ébouriffés, les épaules voûtées, la tête entre les mains… C’est bien Yvan.


Lorsqu’il entend le bruit d’un moteur qui ralentit, l’adolescent lève la tête.

À la fois surpris et soulagé, il n’hésite pas longtemps avant de se lever et de se diriger vers la Renault Gordini. Un long regard soude les émotions du jeune homme à celles de sa sœur, ils n’ont pas besoin de se parler pour se comprendre. Elle est là, pour lui. Elle l’aime. Elle sait.


Le trajet du retour se fait sans un mot, seuls les pleurs de Solène brisent le silence. Marie a promis à Yvan de ne pas le ramener à Blaye. Ils vont d’abord faire le point, revenir sur ce qui s’est passé avec Patrick avant de décider de la suite à donner aux événements. 


Marie met les enfants à la sieste pour pouvoir rester seule avec son frère, pour lui consacrer toute son attention :

– Tu veux que je te serve un verre de jus de fruit ? Autre chose ?

– Merci Marie, j’ai pas soif. Ce dont j’ai vraiment besoin, c’est pas de boire ou de manger. C’est de changer de vie, de me barrer de là-bas, sinon je vais crever.

Les épaules d’Yvan s’affaissent un peu plus, il se mord les lèvres pour retenir des sanglots de rage et de désespoir.

– Je le sais bien, tu ne m’apprends rien, malheureusement. Ce que je voudrais savoir, c’est ce qu’il s’est passé aujourd’hui, avec Patrick.

– Rien de plus que d’habitude. La mère a reçu un gars à la maison hier soir, un que je ne connaissais pas. Ce matin, il était encore là. J’ai dit à Patrick que j’en avais marre, que j’avais l’impression de vivre dans un bordel. Et là, il est devenu comme fou. Il s’est mis en colère, il m’a dit que j’avais pas le droit de dire ça, qu’on avait de la chance parce qu’elle nous aime ! Je l’ai envoyé bouler et là, c’est parti en bagarre. La vieille est intervenue pour nous séparer, avec le type en question qui est sorti de sa chambre. Et c’est quand ça hurlait de tous les côtés que je me suis enfui.

Le cerveau de Marie fonctionne à toute vitesse, elle ne laissera pas Yvan repartir dans cette vie de cauchemar :

– D’accord. J’ai compris. Dis-toi que Patrick ne pourra jamais voir les choses comme nous. Il est fragile, cassé par l’abandon qui l’a conduit à être placé par les services sociaux dans cette famille de fous. La vieille le manipule comme elle l’entend. Il l’appelle « maman » depuis longtemps et avec sa faiblesse d’esprit, il lui suffit de dire qu’elle l’aime comme son fils pour qu’il la croit. Il la suivrait jusqu’au bout du monde. Il n’a plus qu’elle. Mais toi, tu n’es pas tout seul. On est tous autour de toi. Même Daniel.

– Comment ça, même Daniel ? Je n’ai aucune nouvelles de lui, il s’en fout bien, de ma vie.

– Détrompe-toi ! Il est venu à la maison, il y a quelques semaines. Je n’ai pas pu te faire venir parce que Dan m’a fait promettre de tout faire pour qu’il ne croise pas la vieille. Il ne voulait pas tenter le diable, même s’il avait très envie de vous voir, Isabelle et toi. Mais on a parlé de vous, beaucoup.

– Et alors ? Quel rapport avec le fait que je ne veuille pas repartir à Blaye ?

– La Marine est devenue une deuxième famille pour lui et on était tous persuadés que tu pourrais y trouver ta place. Des voyages, un salaire, des camarades et tout ça très loin d’ici.

– Mais j’ai pas l’âge ! Ils ne vont jamais m’engager !

– Dan s’est renseigné pour nous. Tu pourrais entrer à l’école des mousses. Tu serais en internat, nourri, logé, blanchi et tu aurais un peu d’argent versé par l’État chaque mois.


Les yeux d’Yvan retrouvent leur éclat. Il s’imagine cette nouvelle vie, la chance d’un nouveau départ :

– Juste une question ! Je ne suis pas majeur, il va me falloir la signature de qui tu sais ?

– C’est exact. Mais ça, je m’en occupe. Tu restes ici, tu surveilles les enfants le temps de leur sieste. Ils ne devraient pas se réveiller avant mon retour.


Marie disparaît, telle une tornade. Pied au plancher, elle se dirige vers la maison de Marthe. Elle n’a plus peur, plus de boule à l’estomac. Rien ne la retient puisqu’il ne s’agit pas d’elle mais de son petit frère. Elle le sauvera.

Arrivée à Blaye, elle entre sans frapper dans la maison familiale. Marthe, surprise, laisse tomber le torchon qu’elle avait à la main :

– Toi non plus tu ne l’as pas retrouvé ? Ah mon Dieu !

– Arrête ce cinéma ! Yvan est chez moi, il va bien et…

– Et tu ne m’as pas appelée ? Mais tu es devenue folle !

– Je ne t’ai pas téléphoné parce que tu ne mérites pas d’avoir des nouvelles de ton fils. Alors maintenant tu te tais et tu m’écoutes. À partir de ce jour, Yvan ne mettra plus un pied ici. Je suis venue chercher ses affaires, il va être pris en charge par Daniel et moi. On l’inscrit à l’école des mousses, il sera loin de toi. N’ouvre même pas la bouche pour protester sinon je te garantis le pire. Et je t’affirme que quand le courrier d’inscription arrivera, tu vas le signer!


Devant cette détermination, Marthe reste bouche-bée et regarde Marie s’emparer des affaires d’Yvan à la hâte, les jetant dans des sacs plastiques en guise de valise.

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11 commentaires

cedemro

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Il y a 2 ans

Cette Marie déterminée, je l'adore. Marthe mérite ce qui lui arrive. Enfin, la vie d'Yvan pourra prendre un sens. J'espère que Manu comprendra ce que fait Marie...

sophie loizeau

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Il y a 2 ans

Quelle énergie, marie semble métamorphosée parce cette seconde naissance et par le retour de daniel

Duten

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Il y a 2 ans

J'aime la détermination de Marie!

MALET Daniel

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Il y a 2 ans

Enfin, un éclair de résilience dans cet univers « diabolique ». Merci pour ce scénario captivant !

Karen Kazcook

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Il y a 2 ans

Wow quel aplomb ! Bravo Marie !

User230517

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Il y a 2 ans

Le rêve d'une victime, affronter son bourreau. Malheureusement la plupart n'en ont pas la force. La solitude passée fragilise. Les non dits détruisent irrémédiablement

Hanna Bekkaz

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Il y a 2 ans

Marthe mise au pied du mur par sa victime d'autrefois, le début de l'abandon de la marâtre par les siens a-t-il sonné ?

Monica Bellucci

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Il y a 2 ans

Ah j'aime cette rébellion! 😊

Geraldinedewt

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Il y a 2 ans

Marie en sauveuse de son petit frère... ça j aime

Sylvie Marchal

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Il y a 2 ans

Le caractère se réveille et se révèle 😘
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