Fyctia
Chapitre 35
Le visage tuméfié, Legrand erre dans la nuit, incapable de décider de la suite à donner aux événements. Aller porter plainte au commissariat ? Impossible, il lui faudrait raconter sa vie, faire l’inventaire de ceux qui pourraient lui vouloir du mal, donc celui des motivations qui seraient à la source de la haine qu’on lui voue.
Doit-il se rendre chez Claire, pour casser la figure à son mari ? Après tout, si le bonhomme dormait vraiment à Dijon le soir où il a été agressé, rien n’empêche que le cocu a pu recruter quelqu’un, n’importe quel bras cassé qui aurait accepté un contrat facile pour un peu d’argent.
Cette hypothèse s’installe dans son esprit, Legrand en imagine les moindres détails :
– OK pour aller casser la tronche à ton gars, tu me donnes combien pour ça ?
– Je sais pas, quel est ton prix ? De quoi payer ton loyer le mois prochain, ça irait ?
– Oh, ça fait pas beaucoup, ça !
– En même temps, tu ne risques pas grand-chose ! Je ne te demande pas d’aller buter quelqu’un, je ne mets pas un contrat sur sa tête. Disons que c’est un avertissement, ou une petite punition, comme tu préfères !
– Et si la police venait à me choper ?
– Tu n’écoperais que de quelques remontrances, une petite garde à vue sans doute, mais rien d’insurmontable pour un costaud comme toi.
– Donc tu veux juste que je lui fasse peur, que je lui mette trois coups dans le pif, c’est bien ça ?
– Tu as tout compris. Et si tu t’en sens capable, je double ton salaire à condition que tu lui laisses un petit souvenir quelque part pour signer ce premier avertissement. Une brûlure de cigarette sur la main, une marque quelconque… Rien qui puisse te mettre trop en difficulté avec la loi, mais si ça te tente…
Le bourreau aurait souri, à cet instant, heureux à l’idée de pouvoir laisser ses démons s’exprimer à travers la haine d’autrui.
Hanté par cette scène, Legrand se résout à l'idée de quitter Claire, définitivement cette fois. Son corps ressent à nouveau la douleur infligée par la lame du cutter, mais aussi le manque cruel de la peau de sa maîtresse contre la sienne.
Sans solution évidente, Legrand se décide à rentrer à l’appartement, inquiet de l’explication qu’il doit inventer pour justifier l’état de son visage.
Frôlant les murs, priant pour ne croiser aucun voisin, il monte péniblement l’escalier qui le conduit à son domicile.
Quand il passe la porte, Laurette est là, elle l’attend, inquiète :
– Te voilà enfin ! Ernest, j’étais morte de peur ! Tu es parti à une heure si tardive, sans un mot d’explication et…
En découvrant son mari qui s’avance vers elle, le visage bleui, l’épouse malheureuse ne peut retenir un cri d’effroi.
– Mon Dieu ! Mais que t’est-il arrivé ?
– Rien ! Ça va, je vais bien, on ne va pas en faire toute une histoire. Je voulais aller m’acheter des cigarettes, je suis tombé sur un clochard qui m’a demandé des sous, je l’ai rembarré, il l’a mal pris et ça s’est fini comme ça !
Laurette fond en larmes.
– Je t’en prie ! Arrête un peu de me mentir ! Déjà cette agression dans le parc et maintenant, ça ! On va aller voir la police, il faut porter plainte !
Ernest se renfrogne :
– Hors de question , tu vas me lâcher un peu ! J’ai pas besoin de tes conseils !
– Ernest, tu me caches quelque chose ! Quoi que ce soit, je peux t’aider ! Tu as joué de l’argent ? Tu as des dettes ? Si c’est ça, alors je peux t’aider. Quand maman est morte, elle m’a laissé un petit plan d’épargne. Je ne t’en ai jamais parlé parce que c’était ma petite sécurité, en cas d’urgence. Mais aujourd’hui, je crois qu’il est temps d’aller récupérer cette somme. C’est ça, mon amour ? Je ne te laisserai pas tomber.
Cet élan de générosité rend Legrand encore plus teigneux :
– Comment ça, tu as des économies et tu en fais un secret ? Alors notre mariage ne veut rien dire pour toi ! Mais quelle salope ! J’ai épousé une garce !
L’homme lève un poing rageur qui vient s’abattre sur la pommette de sa femme. Laurette s’effondre, à moitié assommée.
Son mari fait demi-tour, claque la porte et disparaît dans la chambre conjugale.
Après quelques minutes, un peu calmé, il revient au salon, s’approche de Laurette qui sanglote, assise sur le sol :
– Pardon mon amour. C’est cette agression qui m’a rendu fou, je n’aurais pas dû réagir comme ça. Tu voulais m’aider, je sais, mais l’idée que tu puisses me mentir est insupportable. Promets-moi de ne plus jamais refaire ça.
Laurette, hébétée, tend une main en direction de son mari :
– C’est moi qui m’excuse, Ernest. J’ai été plus que maladroite. Je te jure que je ne te cacherai plus rien.
Legrand relève sa femme et l’accompagne à la salle de bains. Il attrape une serviette éponge humide, la passe sur le visage de sa moitié pour essuyer les quelques gouttes de sang échappées de sa narine.
Des larmes se mêlent aux traces rouges, alors Ernest frotte, encore.
Comme pour se faire pardonner, il se colle contre le dos de Laurette, ses mains viennent se poser sur les épaules de sa victime. Il la masse, lui murmure, à nouveau, des mots d’excuse à l’oreille.
Laurette reste mutique, observe le visage abîmé de Legrand dans le miroir. Mille idées la traversent à chaque seconde. Si Ernest n’a pas de problèmes financiers, pas de dette de jeu, alors, une seule option reste possible. C’est sans doute une histoire de femme. Plus blessée encore par cette possible trahison que par le coup de poing qu’elle vient de recevoir au visage, elle se sent laide, faible et inutile.
Elle hésite, se mord la langue pour ne pas laisser échapper cette question qui lui brûle les lèvres. Y-a-t-il un autre amour dans la vie d’Ernest ? Est-ce pour elle qu’il est sorti sans se donner la peine d’un mot d’explication ? Pour elle qu’il s’est battu jusqu’à finir dans un pareil état ? Si tel est le cas, il est sans doute pris par la passion. Cette idée lui est insupportable, elle refuse de perdre l’homme de sa vie. Elle se battra avec ses propres armes pour le reconquérir. Elle se rendra à nouveau indispensable à son bien-être, chaque jour.
Legrand, toujours collé à Laurette, l’apprivoise avec des mots doux, des murmures d’amour. Ses mains glissent des épaules de sa femme jusqu’à ses hanches. Il l’entoure, l’enrobe, la pétrit avec douceur. Lorsque les lèvres de son mari se posent sur la peau fine de son cou, elle tressaille, mais se laisse faire.
Quand il la prend par la main pour l’attirer dans le lit conjugal, elle ne lutte pas et s’abandonne entre les bras de son époux.
Au petit matin, Laurette se réveille la première, le cœur en berne. Elle pose son regard sur le visage tuméfié de Legrand et, pour la première fois, elle doute.
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cedemro
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Karen Kazcook
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Sylvie Marchal
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Geraldinedewt
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Caroline Verdugo
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User230517
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Il y a 2 ans