Fyctia
Chapitre 34
Un geste de la main pour dire au revoir, puis Claire s’engouffre dans sa voiture, démarre et prend la route. Depuis quelques semaines, ses habitudes avec Ernest se sont réinstallées, la régularité de leurs rencontres en forêt fait presque de lui son second compagnon. Chacun devine l’autre, tente d’apporter du désir et de l’originalité dans cette relation. L’appétit de Legrand en serait quasiment rassasié.
Son quotidien avec Laurette, lui, reste le même, routinier et empli de grisaille. Ce mariage n’a de sens que dans sa fonction sociale, dans la façade apparente aux yeux du monde, dans la possibilité de ne pas vivre seul.
Cet état de fait est peut-être moins réel pour Laurette, qui éprouve toujours quelques sentiments pour son beau moustachu. Certes, il n’est pas toujours facile à vivre, mais il est son élu, celui qu’elle veut rendre heureux. Sans doute porteuse du syndrome de l’infirmière, elle pense être chargée de la guérison des états d’âme de son époux. C’est donc un peu de sa faute, un peu à cause de son manque d’efficacité que leur union n’est pas complètement heureuse ! Encore un peu d’abnégation et elle y arrivera.
Dès son retour à l’appartement, Laurette sert le traditionnel verre d’apéritif à son mari et retourne dans sa cuisine. Legrand jette un œil à la table basse du salon et attrape le courrier qui l’y attend : son magazine consacré à la chasse, une facture d’électricité et une enveloppe en papier kraft.
À la vue de l’écriture sur le papier brun, son sang se fige, son ventre se liquéfie. Cette écriture maladroite, il la reconnaît. C’est celle qui figurait déjà sur le premier courrier anonyme reçu à la mairie. Jetant un œil au couloir pour s’assurer que sa femme n’allait pas surgir dans le salon par surprise, il s’agite, ouvre le pli avec maladresse, à la fois fébrile et terrorisé à l’idée de son contenu.
Sur une page blanche, les mêmes lettres majuscules qui semblent lui intimer la terreur :
« TU N’AS TOUJOURS PAS COMPRIS ! »
Saisi par une émotion intense, mélange de peur et de colère, Legrand froisse violemment la feuille pour mettre ensuite la boule de papier au fond de sa poche. Hors de question que sa femme tombe là-dessus et vienne le questionner. Pris d’un doute, il veut relire ce chiffon, revoir une fois encore les hiéroglyphes mal dessinés. Il se lève, part s’enfermer dans les toilettes pour détailler une dernière fois cette infamie.
Là, sous la lumière blanche de l’ampoule, son esprit s’éclaire. La réponse lui apparaît ! Il le tient, le salopard qui cherche à lui faire peur, c’est une certitude ! Celui qui le connaît depuis longtemps, celui avec qui il a fait la fête, celui qui connaît une partie de son passé, avec qui il a souvent vidé des bouteilles d’alcool, allant peut-être jusqu’à lui faire malgré lui des confidences intimes, celui qui avait un béguin pour Laurette, celui qui avait disparu de leur vie pour d’obscures raisons ? Gérald Triolet !
Son visage était apparu comme une évidence aux yeux de Legrand ! Le vengeur masqué, le connard bien-pensant, c’était forcément lui. Et que lui reprochait-il aujourd’hui ? De lever la main sur Laurette de temps à autre ? Ce qui signifierait que ces deux-là se verraient en cachette, qu’elle irait se plaindre auprès de lui ?
Le puzzle se met en place dans l’esprit de Legrand. Laurette et Gérald fricoteraient en douce, tenteraient de l’effrayer ? Mais pour quelles raisons son ancien camarade aurait-il usé d’un stratagème aussi tordu ? Pour le pousser à la fuite, pour qu’il disparaisse encore dans une autre région de France, laissant Laurette libre de ses mouvements, capable de demander ensuite le divorce. Évidemment.
Legrand jette le papier dans la cuvette des toilettes, tire la chasse d’eau et sort de la petite pièce en claquant la porte. Il traverse le couloir et lance avec force :
– Ne m’attends pas pour dîner. J’ai à faire !
Il saute dans sa voiture et roule à tombeau ouvert à travers la ville. Il n’attend qu’une chose, sauter à la gorge de Gérald Triolet et lui faire payer toute la trouille qui a habité son corps des mois durant. S’il avait su que c’était ce petit cancrelat qui lui avait infligé ça, il serait allé le trouver bien plus tôt et lui aurait flanqué une correction pour lui apprendre à lorgner sur sa femme ! Il avait eu du culot, malgré tout, de s’en prendre à lui dans le square et d’aller jusqu’à lui marquer la joue au cutter. Elle avait dû se plaindre à foison, cette garce de Laurette.
Désireux de prendre l’ennemi par surprise, Legrand profite de la sortie d’un habitant de l’immeuble pour entrer dans le hall sans sonner. Solide sur ses appuis, il traverse la cour intérieure et se dirige comme une fusée vers la maisonnette du gardien d’immeuble. D’un bond, il ouvre la porte violemment et fond sur la silhouette qui était devant l’évier, lui saute sur le dos.
L’homme, surpris et terrifié, lâche la tasse qu’il tenait entre ses mains. Ignorant tout de son agresseur, Triolet se débat avec force, tente de dégager son cou de l’étau qui l’enserre. Conscient qu’il ne pourra pas lutter longtemps avec si peu d’oxygène, il choisit la seule option possible.
Il jette ses pieds en l’air, prend appui sur le meuble qui lui fait face et pousse vers l’arrière, utilise au mieux tous ses muscles et son adrénaline. L’effet est immédiat, son agresseur, sous l’impulsion du corps de Gérald, chavire et tombe lourdement à plat dos. Ses mains s’écartent, la respiration du concierge reprend avec avidité.
À peine le temps de reprendre ses esprits que Triolet se jette dans la bagarre. Il fait volte-face et manque de s’étouffer en reconnaissant son agresseur
– Putain mais c’est pas vrai ! Toi ici, tu oses ? hurle Gérald en bourrant le visage de Legrand de coups de poing. Mais de quel droit ? Connard, je vais te faire bouffer tes dents !
– De quel droit ? Tu sautes ma femme, tu m’agresses et tu crois que ça va se passer comme ça ? rugit Legrand, à plat-dos, bloqué par Gérald qui s’est assis à califourchon sur son torse.
Legrand tente de rendre coup pour coup mais la rage de Triolet est plus forte que tout. Desserrant sa prise, il se relève pour rouer son ancien ami de coup de pied :
– Pauvre con ! Je n’ai jamais revu ta femme depuis ce repas où tu l’as à moitié traitée de pute. Ce que j’ai vu de toi m’a dégoûté et j’ai pris mes distances avec toi, comme avec elle. Votre vie, c’est pas mon problème !
Legrand, au sol, crache du sang. Sa lèvre supérieure a éclaté sous les coups de l’homme qu’il est allé provoquer, pensant tenir son mystérieux justicier.
La punition est double pour lui… Non seulement la correction reçue cette nuit ne s’arrêtera que lorsqu’il implorera le pardon de celui qu’il était venu maltraiter, mais en plus, dans l’anonymat le plus total, quelqu’un l’observe, le surveille.
Mais que sait vraiment cette ombre sur sa vie ?
18 commentaires
cedemro
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Il y a 2 ans
MALET Daniel
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Il y a 2 ans
Monica Bellucci
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Il y a 2 ans
sophie loizeau
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Il y a 2 ans
User230517
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Il y a 2 ans
SandNémi
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Il y a 2 ans
Caroline Verdugo
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Il y a 2 ans
Geraldinedewt
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Il y a 2 ans
Karen Kazcook
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Il y a 2 ans
Sylvie Marchal
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Il y a 2 ans