Fyctia
Chapitre 32
Armée de la clé prêtée par sa sœur, Marianne pénètre sans bruit dans l’appartement. Hors de question de réveiller Guillaume, lui aussi aura besoin d’être en forme dans les jours à venir.
Dans le couloir, Marie lui fait face, courbée par la douleur d’une contraction. Son visage grimace, son souffle est haletant. Derrière elle, Manu pose la valise sur le sol pour soutenir sa femme. Il lui murmure des phrases de réconfort, caresse son avant-bras. D’un sourire, il remercie Marianne de s’être déplacée en pleine nuit pour venir garder Guillaume et leur permettre un départ serein pour la maternité. En réponse, elle lui renvoie un clin d’œil, heureuse de pouvoir leur rendre ce service. Si le ventre de Marie semble sur le point d’exploser, celui de sa sœur est déjà rond comme un ballon.
Marie se redresse, étreint sa cadette avec force et prend congé :
– Guillaume ne se réveillera pas avant huit heures, normalement. Ça te laisse le temps de récupérer quelques heures de sommeil dans le canapé, on t’y a mis une couverture et un oreiller.
– Merci, je verrai ! Mais je ne suis pas certaine d’avoir envie de dormir ! Je suis excitée comme une puce, je crois que je vais rester plantée à côté du téléphone en attendant de vos nouvelles.
Marie, profitant d’un court répit entre deux contractions, éclate de rire :
– Comme tu voudras, mais par expérience, je peux te dire que ça devrait durer quelques heures, au minimum !
– Et alors ? Pour un événement pareil, je pourrais attendre des jours entiers ! Allez file, Madame Maman ! Et je compte sur toi pour tout me raconter, ça m’aidera à me préparer ! Enfin, heu… non ! Pas tout, ça va m’angoisser ! Oh, mais je ne sais plus, moi, à force ! Allez file, fais nous un beau bébé et on verra les détails après !
Les deux sœurs, complices, s’embrassent de nouveau et Marianne regarde le couple disparaître dans la cage d’escalier.
Le trajet en voiture jusqu’à la maternité est calme, les contractions se sont un peu apaisées.
Manu, bercé par une douce euphorie, se charge de la conversation :
– Tu te rends compte que dans deux mois, toi, Guillaume, le bébé et moi, nous déménagerons, notre rêve de toujours va devenir réalité ! Une maison, un jardin, une chambre pour chaque enfant, une salle à manger assez grande pour recevoir la famille ou des amis… On y fêtera les anniversaires, on y vivra des Noël merveilleux tous ensemble ! On pourrait même adopter un chien ? Tu en penses quoi ?
– J’en pense quoi ? Qu’avec une tornade comme Guillaume et un nourrisson, ce serait suicidaire de vouloir nous rajouter un être vivant qui bave et qui peut devenir incontrôlable à tout moment ! Tu veux ma mort ?
Ce genre de répliques fait fondre Emmanuel. Souvent sombre, préoccupée, sa femme est également capable de traits d’humour imparables, avec un sens de la formule plutôt bien senti. Hilare, il reprend :
– Un chat alors ? Ou une tortue ? On l’appellerait Caroline, les enfants passeraient des heures à la chercher dans le jardin ! Pendant ce temps-là, ils seraient occupés et ne feraient pas de bêtises !
– Évidemment ! Mais pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ? Mais non merci quand-même !
Une nouvelle contraction signe la fin de la conversation, Marie attrape la main de son époux sur le levier de vitesse et la serre avec force. La maternité se rapproche, les affaires sérieuses vont enfin commencer !
À son arrivée, la future maman est conduite au sixième étage, et dès l’examen terminé, la sage-femme annonce :
« Madame est déjà à sept centimètres, on part directement en salle de naissance. »
Emmanuel n’en croit pas ses oreilles ! Il savait sa femme courageuse, mais elle a exprimé peu de plaintes au regard des efforts déjà fournis par son corps ! La notion de douleur, chez Marie, est toujours un peu différente du commun des mortels. Sa sensibilité est exacerbée là où l’on imaginerait la caresse d’une plume, et sa résistance est démultipliée là où le commun des mortels serait mis à genoux. Manu transcrit cela comme un possible stigmate de son enfance, un kit de survie inhérent à ce que son corps et son âme ont traversé.
Trente minutes que Marie est sur la table. Les douleurs ne la quittent plus, elle transpire, serre les dents, ne parle quasiment plus. Manu, impressionné, se tient à ses côtés, l’encourage.
La sage-femme s’installe, guide, ordonne, rassure jusqu’à ce que la tête du nourrisson apparaisse. Encore deux poussées et le petit être gluant, à la fois rose et tapissé de vernis blanc, est attrapé par les mains expertes de la maïeuticienne pour être déposé sur le ventre de sa mère.
« Félicitations, Messieurs Dames ! Voilà une très jolie petite fille, en pleine santé ! Et comment va-t-on l’appeler ? »
À ces mots, Marie fond en larmes. Une fille, elle l’espérait tellement ! Cela n’enlève rien à l’amour qu’elle porte à Guillaume, mais cette petite sera sans doute sa vraie réparation, l’enfant qui deviendra une femme heureuse et sereine. D’un simple regard, elle interroge son mari pour vérifier qu’il est toujours d’accord pour donner à cette enfant le prénom qui avait été choisi. D’un hochement de tête, il le lui confirme et reste silencieux, comme pour l’encourager à l’annoncer elle-même.
– Solène. Elle s’appellera Solène, c’est le prénom que nous voulions si c’était une fille.
– Parfait, je le note immédiatement ! Un deuxième et un troisième prénom, peut-être ? Comme tout le monde, celui des mamies ? poursuit la sage-femme.
Pendant quelques secondes, on pourrait entendre les mouches voler.
– Non, un seul prénom, ça ira bien ! On n’est pas trop portés sur les traditions, c’était déjà la même chose pour la naissance de son grand-frère, on ne va pas faire de jaloux dans la fratrie ! reprend Manu, habilement.
Quelques heures plus tard, la maman et le bébé sont installés dans une chambre de la maternité.
Manu se charge à nouveau de procéder à la grande annonce, mais cette fois-ci, il ne téléphone pas à Marthe. Si elle le souhaite, Marie s’en chargera, sans urgence, après leur retour à l’appartement. Manu appelle donc ses parents, puis Marianne, à leur domicile. Celle-ci n’a pas dormi de la nuit, à la fois inquiète et excitée, impatiente d’avoir de bonnes nouvelles.
– Oh Manu, si tu savais l’effet que ça me fait ! Les hormones, sans doute, mais pas que ! Je suis toute tourneboulée ! Et une petite demoiselle ! Elle l’espérait tellement ! Tu imagines, si moi aussi je venais à avoir une fille ? On les prendrait pour des sœurs, elles passeraient leur temps à jouer ensemble !
– En même temps, si c’est un petit gars, on l’invitera quand même, va ! Je suis certain que Solène ne fera pas de ségrégation ! rit Manu.
Lorsqu’il retrouve la chambre de sa femme, elle s’est endormie, épuisée. Solène dort à poings fermés dans le petit berceau de plexiglas. Alors, Manu s’allonge à côté de celle qu’il aime, lui caresse les cheveux en admirant les deux femmes de sa vie.
14 commentaires
cedemro
-
Il y a 2 ans
sophie loizeau
-
Il y a 2 ans
SandNémi
-
Il y a 2 ans
Karen Kazcook
-
Il y a 2 ans
Clarice Starling
-
Il y a 2 ans
Sylvie Marchal
-
Il y a 2 ans
User230517
-
Il y a 2 ans
calou40990
-
Il y a 2 ans
MALET Daniel
-
Il y a 2 ans
Isabelle Barbé
-
Il y a 2 ans