Sylvie Marchal Marie Chapitre 30

Chapitre 30

Depuis qu’il a annoncé à Claire la fin à leur liaison, Legrand est convaincu que plus rien ne peut lui arriver. Tel un phénix qui renaît de ses cendres, il brille au milieu du petit peuple des employés de mairie, déploie ses ailes au-dessus de la tête de ces êtres insipides.

L’œil gauche plein d’arrogance et l’œil droit empli d’une fausse humilité, il manœuvre pour asseoir ses acquis, pour conforter son image flatteuse et irréprochable.


Sous cette apparente sérénité, Legrand n’oublie pas la violente agression dont il a fait l’objet il y a quelques semaines. Chaque pore de sa peau transpire la peur ressentie à cet instant, sa joue ressent encore la brûlure de la lame, ses doigts perçoivent toujours la texture poisseuse de son propre sang, tout comme son nez se rappelle cette odeur cuivrée, synonyme de sa soumission à un bourreau inconnu. Des nuits entières, Ernest s’est rejoué la scène, mettant à chaque fois un visage différent sur le corps de l’agresseur. L’image qui lui apparaît la plus vraisemblable est, à chaque fois, celle du mari de Claire, fou de jalousie, qui le suit discrètement pour ensuite le tabasser dans le parc. Le scénario est crédible, puisque comme Claire et lui, cet homme est employé par la mairie. Cela aurait largement pu faciliter l’agression en donnant au coupable toutes les indications nécessaires sur ses horaires, y compris ceux de cette fameuse soirée durant laquelle on lui avait confié une mission tardive, ses trajets, ses habitudes…


Lorsqu’il aperçoit la jeune femme dans les couloirs, Legrand ajuste son comportement selon les circonstances. S’il la croise seul, il feint de ne pas la voir, détourne son regard avec le courage d’un oisillon. Si elle se trouve au milieu d’un groupe de collègues, il les salue rapidement et disparaît d’un pas alerte.


Une tasse de café à la main, Legrand s’installe pour la fin de matinée dans son petit bureau aux murs délavés quand le service courrier vient lui déposer sa petite liasse quotidienne. Au milieu des enveloppes, une écriture attire son attention. Son nom et l’adresse de la mairie ont été inscrits en lettres capitales, comme si son expéditeur souhaitait masquer son écriture.

En alerte, l’homme se redresse sur sa chaise et ouvre le pli avec précipitation. Il en extrait une feuille sur laquelle est inscrit « JE PENSE QUE LE PREMIER AVERTISSEMENT NE T’A PAS SUFFI ».


Le sol se dérobe sous les pieds de Legrand, sa vue se brouille. Puis, vivement, il décroche le téléphone pour appeler Claire et lui demander de venir le rejoindre immédiatement dans son bureau.

Quelques secondes plus tard, elle arrive, prête à déverser sur lui la colère qu’elle ressent depuis qu’il l’a abandonnée :

– Alors maintenant, tu changes d’avis ? Tu as envie de me revoir ? Tu me prends pour qui, finalement ? Une girouette ou une fille facile qui s’allonge quand tu en as envie ? Si tu crois que tu es le seul homme à me courir après, détrompe-toi ! Des prétendants, j’en ai bien plus qu’il n’en faut !

– Claire, arrête-ça ! D’accord, je n’ai pas été complètement franc avec toi et si je veux que notre histoire s’arrête, ce n’est ni par caprice, ni parce que tu ne me plais plus. C’est ton mari…

– Quoi, mon mari ? Qu’est-ce-que tu veux qu’il vienne faire dans notre histoire ? J’ai toujours pris garde à ce qu’il ne sache rien. Notre union n’est pas folichonne, mais je l’aime bien, je n’ai aucune envie de lui faire de la peine. C’est donc mon problème et pas le tien !

– Si, justement, je suis concerné aussi maintenant ! Tu m’as demandé, après les vacances de Noël, d’où venait cette fine cicatrice sur ma joue, alors sache que je ne suis pas tombé, mais que j’ai été agressé. Et c’était volontaire, j’étais visé personnellement parce que celui qui m’a fait ça a glissé un mot dans la poche de mon manteau. Si c’est pas ton mari, je veux bien aller au diable.

Claire accuse le coup, se tait et essaie de recouper toutes les informations dans son esprit.

– Et quel jour as-tu été agressé ?

– Le soir de la réception du maire, mon dernier jour de travail avant les vacances.

La jeune femme réfléchit à nouveau, compte sur ses doigts et marmonne à voix basse avant de reprendre :

– C’est impossible ! Il était à Dijon, parti la veille et revenu deux jours plus tard. Je suis certaine qu’il était bien là-bas parce qu’il est allé aider son frère à déménager et je les ai eus rapidement au téléphone chaque soir, mon mari bien-sûr, mais ma belle-sœur aussi, pour dire un petit bonjour.


Legrand ressent une forme de soulagement mais aussi un nouveau goût de peur qui s’installe dans son arrière-gorge. Effectivement, ce deuxième avertissement ne colle pas si bien avec le mari de Claire. Leur relation a cessé, il ne servirait plus à grand-chose de le passer à nouveau à tabac.


Le visage de la jeune femme s’illumine tout à coup :

– C’est donc pour ça que tu ne voulais plus me voir ? Tu pensais que mon mari nous espionnais ?

– Il y a un peu de ça et …


Legrand n’a pas le temps de terminer sa phrase. Claire se penche sur lui, attrape son visage avec gourmandise entre ses mains et vient plaquer sa bouche sur celle de cet homme qui l’attire tant. Son côté sombre et taiseux, différent de celui qu’il affiche à la face du monde, lui plaît terriblement. Legrand se laisse faire, alors elle vient prolonger ce baiser en s’asseyant sur ses genoux, puis glisse ses mains sous sa chemise pour retrouver sa peau. L’excitation monte, la peur d’être surpris par l’un ou l’autre de leur collègue ne fait que décupler leurs pulsions. L’homme soulève sa partenaire, la renverse sur son bureau, remonte sa jupe. Leurs retrouvailles sont à la hauteur du manque qui avait existé.


Au même instant, Laurette se rend chez son frère, Philippe. Cette journée de congé lui fait le plus grand bien, elle se sent souvent fatiguée, moins dynamique qu’auparavant.


Agnès lui ouvre la porte :

– Entre ma jolie ! Philippe ne va pas tarder à rentrer du travail pour déjeuner avec nous. Pose tes affaires, installe-toi au salon ! Tu veux un petit porto pour patienter ?

– Avec plaisir ! Un petit remontant ne fait jamais de mal ! Ça ne te dérange pas, si j’ouvre la fenêtre, que je m’allume une cigarette ?

– Pas de soucis ! Alors, quelles nouvelles ? demande Agnès.

– Rien de spécial, ça va ! Ernest a repris le travail! répond Laurette en expirant sa première bouffée.

– Justement, ce n’est pas des nouvelles de ton mari que je te demandais. C’est toi qui m’intéresses. Pour être franche, je te trouve fatiguée, épuisée, même. Et si tu gardes ton beau sourire, si tu continues à prendre soin de tout le monde, j’ai l’impression que tu as perdu la lumière qui illuminait ton regard. Alors, je m’inquiète un peu. Et je me disais que peut-être, de femme à femme, il y a des choses que tu voudrais me dire.


Laurette se ratatine comme un fruit sec, baisse les yeux. Au moment où elle ouvre la bouche pour répondre à Agnès, la poignée de porte s’abaisse. Le retour de Philippe sonne la fin de la possible confession.


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15

15 commentaires

cedemro

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Il y a 2 ans

Voilà un nouveau suspect... Philippe peut très bien avoir vu les marques sur sa soeur. L'avertissement numéro deux s'en vient...

sophie loizeau

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Il y a 2 ans

Une idée m est venue, ce serait l ancien compagnon d armes de Legrand qui l aurait agressé parce qu il aurait découvert toute la vérité sur le comportement de Legrand, à suivre... Tout comme la confession de laurette

SandNémi

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Il y a 2 ans

Allez Laurette, faut le dire avant qu'il ne soit trop tard !

Karen Kazcook

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Il y a 2 ans

Mince... Laurette va t elle pouvoir enfin se confier ?

kratere

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Il y a 2 ans

C'est génial,on attend la suite avec impatience à chaque chapitre

User230517

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Il y a 2 ans

La perversion continue. C'est une nécessité absolue de garder une personne à manipuler

Geraldinedewt

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Il y a 2 ans

Lauréate mais mets le dehors !! Ouvre les yeux toi aussi, allezzz

Geraldinedewt

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Il y a 2 ans

Laurette*

Hanna Bekkaz

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Il y a 2 ans

Un chapitre qui sème le doute sur le maître-chanteur qui poursuit Legrand, et nous dévoile un peu plus l'imposture qu'est cet homme. Quelle justesse aussi dans la description de l'extinction de Laurette à son contact. Je suis déjà impatiente de retrouver cette galerie de personnages...

Isabelle Barbé

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Il y a 2 ans

Réagit Laurette..... Confies toi, fais toi aider pour le quitter, tu mérites tellement mieux....
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